Réaliser la vérité de notre Esprit selon les préceptes du bouddhisme zen


Nous allons montrer la manière de réaliser la vérité de notre Esprit selon les préceptes du bouddhisme zen. La chose est simple mais elle est rendue complexe à travers les explications données par les instructeurs exprimant des approches différentes d’une même vérité dans un jargon religieux spécifique. En vérité, on peut dire qu’il n’existe qu’un seul enseignement du Bouddha, mais une multitude de bouddhismes. En dehors de tous ces systèmes, et quel que soit celui que nous avons adopté, il nous faut absolument pénétrer au cœur de cet enseignement unique du Bouddha qui est l’objectif du kyûdô17 et l’essence même du zen et du budô.

Je ne fais ici que retransmettre l’enseignement des sages hindous de la dimension des Vâlmiki, Vyâsa, Adi Shankarâchârya ou Râmânujâchârya, et des centaines d’autres, jusqu’au seigneur Bouddha en personne. Je ne dis rien de plus que ce que contiennent les écritures sacrées correctement interprétées, rien de plus que ce qui compose l’essence des religions, la sève unique qui alimente le tronc, les branches, les fleurs et les fruits de l’arbre de la vérité que certains nomment Dieu, Principe absolu, nirvâna18, ou par quelque autre nom. Ce que nous allons écrire maintenant doit nous faire entrer de plain-pied dans la vérité du kyûdô, non par la porte de l’explication, mais par celle de l’expérimentation.

En effet, les écritures sacrées de l’Inde comme les Purânas, les Upanishad ou les Védas, etc., mettent toutes l’accent sur l’expérience de transcendance, ici et maintenant, comme l’enseigna le seigneur Krishna à son disciple Arjuna. Cette expérience intime est la seule manière de réaliser Dieu en évitant le piège des concepts mentaux et des projections forcément limitées de notre ego intellectuel. Cependant, si l’homme peut atteindre ce Dieu inconnu et imper- ceptible que nul n’a jamais vu, c’est que ce Dieu n’est pas un être, voire une forme sublime, mais seulement la respiration cosmique qui met en route les créations et les détruit une fois l’évolution parvenue au fait de sa perfection. Dieu n’est probablement rien d’autre que le Mystère des Mystères qui, agissant sur l’énergie primordiale originelle, met en route les lois de la nature. Comment atteindre ce Mystère qui est à l’arrière-plan de toute manifestation depuis l’atome jusqu’aux galaxies géantes ? Si les sages y sont parvenus et si des écoles nous enseignent des techniques pour atteindre le satori puis le nirvâna, c’est parce que tout homme possède en essence la nature de ce Dieu, une étincelle de pure divinité, immortelle et infinie.

Au cours de son évolution, la conscience, qui est le produit de la forme et de l’Esprit (Dieu en l’homme), s’éveille. Elle est chaleur dans le minéral, sensibilité dans la plante, instinct dans l’animal, puis devient intelligence dans l’homme. Lorsque celui-ci commence à être sensible à cette conscience éveillée, il est alors proche de se sentir plus âme que personne humaine. En lui un sixième sens s’éveille et l’intuition (kan en japonais) fait son apparition. Sans cette intelligence intuitive, l’homme n’éprouve aucun intérêt pour le beau, le bon et le vrai. C’est toujours par cette intelligence intuitive qu’il comprend la nécessité d’arrêter le cycle le conduisant d’une prison à l’autre dans une ronde éternelle (samsâra en sanskrit) de naissances et de morts, ronde faite de petites satisfactions et de grandes souffrances.

On donne à ce Dieu différents noms afin de pouvoir l’imaginer et l’adorer. Ce Dieu est le Brahman des hindous, le nirvâna des boud- dhistes, le Père des chrétiens ou Allah pour les musulmans, mais en vérité, Il est sans nom et sans forme et le seul moyen de découvrir son Mystère 19 est d’entrer en soi-même car chaque être humain est porteur au plus profond de lui-même d’une partie de ce Dieu ; et cette étincelle de divinité infiniment pure n’est guère différente de Dieu, pas plus que ne le sont les anneaux du corps d’un serpent ou les vagues de l’océan. Comme il faut bien désigner ce Dieu interne, il a été appelé âtma par les hindous, monade par les Grecs, Esprit par les gnostiques chrétiens, etc. Pour simplifier notre étude, nous lui donnerons le nom de Soi.

Si l’on s’en tient à l’enseignement des sages déjà cités, cet Esprit ou Soi est notre véritable identité, et c’est forcément en nous-mêmes que nous aurons à le découvrir jusqu’à ce que nous réalisions qu’en tirant notre flèche vers une hypothétique cible, c’est notre propre cœur que nous touchons. Toutefois, ce centre divin est enfoui sous plusieurs couches de peaux ou principes. Énumérons-les. Ce sont 1) le corps physique grossier et vital ; 2) le corps affectif responsable de nos peurs, colères, désirs, etc. ; et 3) le corps mental utilisant le cerveau et engendrant nos pensées, les bonnes comme les mauvaises.

Le mental est un important principe et le tuer n’est qu’une manière de parler, signifiant simplement qu’il faut arrêter son bavardage incessant et souvent stupide. En fait, et en simplifiant, le mental est double : une partie inférieure et rationnelle est attirée par les deux corps dont nous venons de parler et qui forment la personne humaine mortelle (ce que nous croyons être !) et un mental supérieur abstrait de nature subtile qui, lui, est attiré par l’âme, le reflet lumineux du Soi (ce que nous sommes réellement). Par des pratiques comme le zazen ou le kôan, un pont est établi entre le concret et l’abstrait, entre notre monde et celui des êtres libérés, entre le monde éphémère 20 et le monde réel, entre l’individuel et l’universel. Le latin religare (religion) qui signifie « relier », n’a pas d’autre sens que d’être un pont reliant l’homme à Dieu que nous, pratiquants de kyûdô, appelons vacuité 21.

Malheureusement, nous sommes prisonniers du monde car nous ne possédons rien d’autre que des sens matériels et ne pouvons donc percevoir que ce qui est grossier. Nous voyons le monde avec cinq sens en plus ou moins bon état, mais pas son essence. Nous voyons les hommes mais nous ignorons ce qui les relie, tout comme nous ne comprenons pas la nature du lien unique qui confère la vie et l’unité aux quatre règnes de la nature – le minéral, le végétal, l’animal et l’humain.

Par conséquent, il n’est pas question de tuer le mental inférieur mais de le transférer sur une octave plus élevée. Le mental (similaire à l’ego) est cependant tenace. Il est indiscutablement l’ennemi le plus terrible que chaque pratiquant de budô devra vaincre un jour ou l’autre car c’est lui qui nous rend esclaves des trois prisons que nous expérimentons à chaque instant sans arrêt possible, depuis notre naissance jusqu’à notre dernier souffle.

La première prison, dite de fer, est celle de l’état de veille, état dans lequel nous engendrons des causes porteuses de bonheur ou de mal- heur futur. C’est le monde objectif grossier dans lequel nous récoltons ce que nous avons semé dans le passé et dans le présent, mais un monde qui nous permet d’apprendre nos leçons et celui où nous pouvons nous transformer et nous améliorer. Bien qu’illusoire, il est celui où, par l’expérience, l’âme s’éveille et révèle toutes ses potentialités.

Après une journée d’effort et quelquefois de souffrance, le mental exténué s’endort et fait l’expérience de la prison d’argent, celle de la condition subjective onirique. Il s’agit là d’un monde d’effets et non de causes, dans lequel nous ne pouvons être qu’un témoin passif (du moins pendant très longtemps !).

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17. Dans le mot « kyûdô », nous avons kyû qui signifie « arc » dans l’ancien vocable chinois, et dô qui signifie « la voie », un sentier de discipline et d’accomplissement. Quant au mot « yumi », c’est le vocable japonais désignant l’arc en général.
18. Le nirvâna n’est pas annihilation de tout, mais son contraire, « l’absolu de tout ».
19. « Le Mystère le plus profond de la connaissance finale ne doit pas être dévoilé à celui qui n’est ni fils, ni disciple, et dont le mental n’est point calme. » (Shvetashvataropanishad VI, 22)
En définitive, l’objet des Mystères sacrés dont le Kyûdô est l’une des expressions est, selon la formule de Platon dans le Phédon, de « rétablir l’âme dans sa pureté primitive ».
20. À propos du monde illusoire, le célèbre sûtra de la Prajnâpâramitâ nous conseille de le voir pour ce qu’il est :
« Ainsi dois-tu considérer ce monde qui s’enfuit
Comme une étoile à l’aube, une bulle sur l’eau vive,
La lueur d’un éclair dans un nuage d’été, Une lampe qui vacille, un fantôme, un rêve. »
21. Le mot « vacuité » se dit mu en japonais. C’est la traduction du wu chinois et de la shûnyatâ des bouddhistes.

 

Michel Coquet 

                        
                                                                              

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 Le Kyûdô - Art sacré de l'éveil