Le cas du Bouddha historique
Gautama Shakyamuni, descendu des cieux Tushita (paradis bouddhique), est né au VIe siècle avant notre ère, en Inde du Sud, non loin de la frontière népalaise, à Kapilavastu, au nord de Bénarès. Sa naissance est marquée par des phénomènes miraculeux et insolites. À peine sorti du ventre de sa mère, il fait sept pas vers chacun des points cardinaux : à l’est, au sud, à l’ouest et au nord. Le chiffre sept symbolise la réalisation spirituelle et le centre, l’Absolu d’où partent les rayons divins. Il a déjà réalisé les dimensions horizontale et verticale de l’être, ainsi que le centre non duel de l’Absolu. Les premières paroles énoncées varient dans en forme suivant les écoles, mais non en fond : l’enfant lève la main droite, pointe le doigt vers le ciel et proclame son état de Bouddha, à savoir celui qui a réalisé l’Éveil, l’être dont l’esprit est purifié de toute souillure, dont les qualités spirituelles (l’amour, la compassion, la joie altruiste, la sagesse transcendante et omnisciente, l’équanimité...) sont pleinement épanouies. Il affirme également l’universalité de son enseignement. Des lotus fleurissent sous ses pas et les arbres se couvrent de fleurs à son passage. À dater du jour de sa naissance, il lui reste à grandir en tant qu’être humain ordinaire, car il est à la fois pleinement homme et pleinement Bouddha.
Le Bouddha est Celui qui a parcouru le chemin de l’Éveil jusqu’à la réalisation ultime des trois corps : le dharmakaya, qui est le Corps Absolu de la Claire Lumière de l’Esprit ; le Sambhogakaya, qui est le Corps de Gloire, pouvant apparaître dans les terres pures (paradis bouddhiques) et aux êtres avancés spirituellement ; et le nirmanakaya, qui est le Corps d’Émanation, la manifestation pure en ce monde, tel le Bouddha historique Shakyamuni, qui enseigna pour le bien de tous les êtres, afin de les libérer de la souffrance et de l’ignorance et les mener à l’Éveil spirituel. Le Corps absolu (dharmakaya) est comme un soleil dont les rayons sont les deux corps formels (sambhogakaya et nirmanakaya), qui sont l’expression spontanée de la compassion pure. Les rayons jaillissent du soleil de l’Esprit et en sont inséparables. C’est l’indivisibilité des trois corps du Bouddha, le triple corps en un.
Le Bouddha choisit de naître dans une famille de la noblesse, les Gautama. Sa future mère, la reine Maya, rêva qu’un éléphant blanc (symbole de pureté en Inde) pénétrait son corps par le sommet de la tête. Peu de temps après, la reine ressentit un état de paix et de sérénité. Elle pria son mari, le roi Suddhodana, de l’envoyer dans un endroit où elle pourrait méditer dans la solitude. Le souverain accéda à sa requête et Maya se trouva dans un état de profonde félicité, durant neuf mois et six jours. Venant d’achever sa retraite, elle était en train de se promener dans la forêt, lorsqu’elle ressentit les premières douleurs de l’enfantement. Tout en prenant appui sur la branche d’un arbre, elle donna le jour à l’enfant Bouddha Shakyamuni, sorti de son flanc droit. Ses parents le prénommèrent Siddharta. La reine devait mourir d’une fièvre maligne sept jours après cette naissance divine.
« Contrairement à la légende, écrit André Bareau, qui fait de lui le prince héritier d’un roi riche et puissant, vivant dans l’opulence et l’oisiveté, se livrant à tous les plaisirs et ignorant tout des souffrances et des peines, le futur Bouddha dut connaître une jeunesse fort rude, exposée à de multiples dangers. Cela eut pour heureux résultat de tremper son caractère et de lui permettre d’acquérir les qualités grâce auxquelles il devint par la suite le fondateur de l’une des plus importantes religions du monde. » (1)
À 16 ans, il se marie avec la princesse Yasodhara qui mettra au monde un fils prénommé Rahula. À 29 ans, Siddharta décide de quitter le palais, afin de mieux connaître les conditions d’existence du peuple de son royaume. En l’espace de quatre jours, il se rend compte de la précarité de l’existence humaine : naissance, vieillesse, maladie et mort. Il sait désormais que son pouvoir royal sera impuissant à libérer les gens de cette douloureuse situation.
Une nuit, alors qu’il n’a pas encore trente ans, il quitte définitivement le palais afin de se rendre dans la forêt et pratiquer la méditation. Il fait le vœu d’arriver à l’Éveil pour libérer les êtres de la souffrance : « Tant que je ne serai pas devenu capable de libérer les êtres du samsara – le cycle conditionné de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort – et de les conduire au nirvana, je ne retournerai pas à mon palais. »
En chemin, il rencontre un mendiant auquel il offre sa tenue royale. Il revêt les guenilles du pauvre et s’adonne à une vie ascétique extrême durant six ans. Au bout de cette période de jeûne, il est devenu bien faible. Un jour, deux jeunes paysannes lui offrent un peu de nourriture, qu’il accepte. Il retrouve peu à peu ses forces en se nourrissant avec modération. Près de la rivière Niranjana, il entend des pêcheurs chanter que « la corde du luth doit être ni trop tendue ni trop détendue ». Il comprend alors que la voie du juste milieu est celle qui mène à la réalisation spirituelle. Renonçant à toute forme de mortification, Siddharta se rend à Bodhgaya, au sud de Bénarès. Là, assis en lotus sous un figuier pipal, il entre dans le profond état de méditation vipassana et fait ce vœu : « Dès ce moment où je m’assieds jusqu’à ce que j’ai obtenu l’illumination complète, je ne bougerai ni mon corps ni mes jambes. »
Mara, le prince de ce monde, s’inquiète de voir ce jeune prince méditer ainsi. Il se dit que si Siddharta parvient à l’Éveil absolu, c’en est fini de sa domination ténébreuse sur les êtres. Tout comme Jésus lors de sa retraite dans le désert, le démon (Mara) tente d’empêcher par tous les moyens la réalisation spirituelle de Siddharta. La plus grande tentation que Siddharta doit affronter est l’égoïsme spirituel, visant à garder uniquement pour soi les fruits de l’Éveil. Après avoir été tenté de différentes manières (volonté de puissance, enfermement dans l’ivresse sensuelle...), il met en fuite Mara par l’amour et la compassion qu’il porte à tous les êtres. Après 49 jours (7 semaines) de méditation intense, il obtient la parfaite illumination par une nuit de mai 531 avant notre ère.
Une voix du ciel proclame : « Nous avons trouvé le plus grand maître de tous, celui qui fera le bien d’innombrables êtres dans les temps à venir. » Le dieu Brahma, créateur du ciel et de la terre, lui prie de faire tourner la roue du Dharma (l’enseignement de la voie bouddhique). Le Bouddha accepte, après avoir hésité un court instant devant l’énormité de sa tâche.
Certains auteurs ont décrit l’illumination du Bouddha comme une foudre éclairante. Or, d’après Hans Wolfgang Schumann, dont la biographie sur Bouddha fait autorité dans le monde entier, « l’illumination s’est développée sur trois tiers de nuit (environ neuf heures) et fut ainsi un processus graduel. Cela est en accord avec sa propre déclaration selon laquelle, dans sa doctrine, le progrès est graduel et qu’il n’y a pas de compréhension soudaine (...). En outre, l’expérience de l’illumination lui donna le sentiment d’appartenir, en tant que Bouddha, à une catégorie distincte d’êtres, n’ayant que les apparences extérieures en commun avec les êtres non libérés. La connaissance que la douleur pouvait certes encore le toucher physiquement mais ne pouvait plus l’affecter mentalement, et que rien ne pourrait inverser sa libération, lui conférait cette supériorité détachée qu’il exposa durant les quarante-cinq années de son enseignement aux rois et aux mendiants, aux amis et aux adversaires. » (2)
La tradition orthodoxe considère cette illumination (Bodhi) comme une expérience de compréhension qui révéla au Bouddha tous les éléments de son enseignement sous sa forme finale et complète. En d’autres termes, elle prétend qu’obtenir la bouddhéité transforma Siddharta en possesseur de la vérité. Heureusement, il peut être prouvé que la pensée créatrice de Gautama continua même après sa Bodhi. Pour lui, en tant que personne, l’illumination était la fin de sa quête de l’émancipation, mais pour son enseignement, elle fut le début d’un long développement.
Le Bouddha va parcourir pendant plus de quarante ans les régions du Gange moyen, en prêchant sa voie spirituelle à tous, en fondant une communauté de moines mendiants et de laïcs pieux (Sangha), comprenant aussi bien des hommes que des femmes, issus de toutes les classes sociales. Vers 486 avant Jésus-Christ, miné par la fatigue et la dysenterie, il se couche sur le flanc droit et s’endort dans la paix bienheureuse du nirvana. Ses nombreux disciples vont poursuivre son œuvre.
Les quatre nobles vérités : un enseignement scientifique de l’esprit pour se libérer de la souffrance
Le premier enseignement de Bouddha, peu après son illumination à Bodhgaya, porte sur les quatre nobles vérités, qu’il donna à Sarnath, près de Bénarès, à savoir la vérité de la souffrance, la vérité de l’origine de la souffrance, la vérité du chemin qui mène à la cessation de la souffrance, la vérité de la cessation de la souffrance. Lama Namgyal donne à ce sujet un excellent enseignement, dont nous nous inspirons largement :
– La vérité de la souffrance : en général, la souffrance provient de tous les phénomènes physiques ou mentaux et, en particulier, de la naissance, de la maladie, de la vieillesse et de mort. Par ailleurs, il y a bien d’autres tourments dans la vie : ne pas obtenir ce que l’on cherche, ne pas garder ce que l’on possède, être séparé de ceux qui nous sont chers, perdre son statut social, rencontrer ce qui est indésirable, etc.
En résumé, il y a trois types de souffrances communs à toute l’humanité : la souffrance qui est l’expérience de la douleur elle-même, physique ou mentale, causée par toutes sortes de maux ; la souffrance liée à l’impermanence du bonheur mondain ; la souffrance de l’existence conditionnée relative aux êtres humains.
À cause de la saisie égocentrique (attachement égoïste) vient la dualité d’un sujet et d’un objet. Dues à cette saisie dualiste, l’attraction pour ce que l’on veut et la répulsion pour ce que l’on ne veut pas se manifestent en notre esprit. Cette polarité engendre simultanément en nous l’ignorance fondamentale.
De l’attraction vient le désir-attachement, de la répulsion vient la colère-aversion, et l’absence de conscience claire voile le sens de l’existence. À ces trois tendances de base, on ajoute habituellement l’orgueil et la jalousie. Mais le Bouddha a dit qu’il y avait vingt et un mille tendances subséquentes au désir, de même qu’à la haine et à l’aveuglement, ainsi qu’aux trois à la fois. C’est pour remédier à cela qu’il a exposé quatre-vingt- quatre mille sortes d’enseignements (Dharma).
Par la force de toutes ces émotions, les êtres créent des actes à travers leur corps, leur parole et leur esprit, ce qui produit le karma (loi de cause à effet). Cela a pour conséquence leur transmigration dans le cycle de l’existence (samsara).
Dans le bouddhisme, on considère que les êtres portent la responsabilité intégrale de tous leurs actes, ceux qui sont négatifs résultant en malheur et ceux qui sont positifs en bonheur. Le Bouddha a donc déclaré qu’il fallait d’abord reconnaître l’état de souffrance de l’existence conditionnée et puis rechercher l’origine, ou les causes de cet état de fait. Ensuite, il faut suivre le chemin qui mène à la cessation définitive de la souffrance et, finalement, actualiser la délivrance ultime.
D’après le Bouddha, tous les éléments composés sont impermanents, toutes les tendances émotionnelles engendrent la souffrance, tous les phénomènes sont vacuité et dénués d’existence propre, seulement l’état de nirvana est paix.
– Lavéritéducheminquimèneàlacessationdelasouffrance: c’est le chemin spirituel qui permet de purifier tous les voiles de l’esprit, notamment par la pratique de la Voie Octuple ou à huit branches : la compréhension juste, c’est la reconnaissance de la nature de la souffrance du cycle de l’existence (samsara) et la « transcendance de la souffrance » (littéralement nirvana) ; l’intention juste, c’est ne pas avoir un état d’esprit malveillant, mais au contraire bienveillant ; la parole juste, c’est ne pas parler négativement, mais exprimer des paroles bénéfiques ; la conduite juste, c’est ne pas nuire à autrui au moyen de notre corps physique, mais agir de manière attentionnée ; le moyen d’existence juste, c’est ne pas avoir une activité nuisible, mais être intègre ; l’effort juste, c’est ne pas commettre des actions insensées ou inutiles, mais des actions bienfaisantes ; la vigilance juste, c’est préserver une attention constante envers tous nos actes du corps, de la parole et de l’esprit ; la méditation juste est principalement fondée sur la pratique de la pacification mentale (samatha) et la vision pénétrante (vipassana). Afin de pratiquer ces techniques de méditation, il est recommandé de demander conseil à un guide spirituel.
En résumé, il ne faut nuire ni à soi-même ni à autrui, mais s’aimer soi-même et aimer son prochain.
– La vérité de la cessation de la souffrance : la nature essentielle de l’esprit peut être comparée à un joyau à cinq facettes, qui symbolisent la transformation des cinq tendances émotionnelles en les cinq sagesses d’un Bouddha. Il ne s’agit pas de les réprimer, car cela engendre beaucoup de frustration.
La pratique principale consiste à reconnaître leur absence de réalité. Par exemple, lorsqu’on est sous l’emprise d’un attachement excessif ou d’une très forte colère, il faut d’abord réaliser que ces pulsions conflictuelles n’ont vraiment aucun sens et qu’elles n’engendreront en nous que des troubles psychosomatiques, sans compter tout le mal infligé aux autres à cause d’elles.
De même l’orgueil, qui est un sentiment de supériorité vis- à-vis des autres, et la jalousie, qui est un complexe d’infériorité par rapport à autrui, feront que nous deviendrons une personne antipathique et pleine d’angoisse.
L’ignorance fondamentale est le manque de lucidité de l’esprit. Par la reconnaissance de l’inanité de toutes ces tendances, l’énergie négative se transforme naturellement en énergie positive. Il existe une possibilité de dissiper ces souffrances, d’en détruire les causes et de s’en libérer. Surgit alors un état de lucidité, de paix et de plénitude parfaites - et non pas un néant comme on le croit parfois en Occident. Cette nature libre de toute souffrance, d’ignorance et d’attachements, est présente en chacun, homme ou femme. Il est dit qu’ils possèdent, à l’égal de tous les êtres, la « nature de Bouddha ».
La voie bouddhique renvoie l’individu à sa propre responsabilité, à partir de la connaissance des principes enseignés par le Bouddha. L’éthique bouddhique est étrangère à des notions d’interdits ou de commandements extérieurs et elle doit être considérée, à la lumière de la sagesse qui accompagne le développement spirituel, comme le comportement qui minimise la souffrance et maximalise la lucidité. Il faut à la fois suivre les préceptes découlant de cette éthique et trouver la vraie liberté de son esprit. Vouloir suivre les préceptes à la lettre affaiblit l’esprit et lui fait perdre son élan et son activité. La lettre peut tuer l’esprit. Nous en avons un exemple dramatique avec les intégristes. Quand dans chaque acte de la vie, l’esprit reste le même que celui de la sagesse bouddhique, nos actions sont naturellement justes. On doit donc s’efforcer de respecter les préceptes de l’éthique suivant les degrés de notre évolution spirituelle. Ne pas tuer, respecter chaque vie, toute existence : il ne s’agit pas seulement de l’acte physique car on peut aussi tuer avec le regard, la parole, la pensée. Il est question de ne pas léser autrui. Par cette compréhension, tout crime, toute haine, toute jalousie, toute animosité disparaissent. Ne pas mentir c’est également ne pas se mentir à soi-même. La méditation peut être une confession silencieuse. Elle permet de voir ce qui est vrai, non ce qui plaît. Au sujet de la sexualité, le bouddhisme n’interdit pas l’amour, mais il faut trouver le véritable amour. La perversité est de considérer les êtres comme des objets. En pratiquant la méditation par exemple, naturellement, le véritable amour pour toutes les existences se développe. Ne pas s’enivrer, ne pas prendre de drogues cela veut dire aussi ne pas s’illusionner, pour demeurer lucide, puisque seule la connaissance spirituelle libère.
À cette conduite éthique s’ajoutent les pratiques de méditation, le cœur de la tradition bouddhique. Elles visent à transformer l’homme en éclairant et pacifiant son esprit, en éliminant peu à peu ses tendances négatives et en cultivant ses qualités. La méditation engendre un équilibre et un bonheur subtils, qui atténuent tout naturellement la convoitise, la haine et l’égoïsme, et développent la sagesse lucide et la compassion. « Cette voie spirituelle est libre de dogmatisme, dit Jean-Pierre Schnetzler, les enseignements étant comparés, selon une métaphore bien connue, à une barque permettant de passer d’une rive à l’autre, de la confusion à la lucidité transcendante. Ceci donne au bouddhisme une dimension d’ouverture et de tolérance, et contribue à développer une attitude respectueuse à l’égard des autres traditions religieuses. » (3)
L’amour et la compassion : une science du bonheur intérieur
Du point de vue bouddhiste, explique Lama Namgyal, ces deux qualités n’incluent pas la notion d’attachement ou de possessivité. Il ne faut pas les confondre non plus avec la condescendance ou la fausse pitié. Bien sûr, nous devons éprouver de l’amour pour nos parents, notre famille, nos amis, etc. Mais cet amour-là reste limité et nous devons tendre à dépasser cet état de partialité en étendant nos souhaits altruistes à tous les êtres, que nous les connaissions ou non. Il est même possible d’éprouver de la bienveillance envers ses adversaires, mais cela suppose d’avoir déjà atteint un certain niveau spirituel.
L’amour bouddhique, c’est de souhaiter que tous les êtres soient heureux et obtiennent les causes du bonheur, l’Éveil spirituel. La compassion bouddhique, c’est de souhaiter que tous les êtres ne soient plus malheureux et soient libérés des causes de la souffrance.
Nous pouvons nous exercer à la bienveillance avec toutes les personnes qui nous sont les plus proches ; puis envers toutes nos relations sociales ou professionnelles. Progressivement, notre capacité d’embrasser davantage d’êtres s’étendra à notre région, notre pays, notre continent, notre monde et à tout l’univers sans aucune discrimination raciale, religieuse, nationale, sexuelle ou autre.
De même que le soleil ne choisit pas de briller sur une partie du monde et non sur une autre, mais illumine tout ce qui se présente devant lui, ainsi faut-il développer cette ouverture du cœur sans partialité ni jugement.
Dénué de motivation égocentrique, le pratiquant spirituel ne préfère par certains individus à d’autres et ne fait plus de distinction entre amis et ennemis. Pour celui qui perçoit la vérité ultime, tous les êtres sont dignes d’attention et de respect.
Il est toutefois impossible d’avoir un amour et une compassion parfaitement purs avant d’avoir développé une certaine estime et connaissance de soi-même. Il est donc indispensable d’effectuer un travail spirituel sur soi, avant d’aller aider les autres ou, tout au moins, de s’améliorer tout en leur portant simultanément secours.
« Celui qui, à travers l’expérience de ses propres souffrances, désire mettre fin à celles d’autrui est le meilleur des êtres », dit le Bouddha. (4) Le dalaï-lama a lui-même déclaré : « Je crois que le but de toutes les grandes traditions religieuses n’est pas de construire de grands temples à l’extérieur, mais de créer des temples de bonté et de compassion à l’intérieur, dans nos cœurs. » (5)
L’esprit d’éveil : la bodhicitta, une science de la bienveillance
Il y a trois moyens de développer la bodhicitta :
– Premièrement, en pensant constamment aux êtres et en cultivant l’attitude altruiste de l’amour compatissant.
– Deuxièmement, en souhaitant, jour et nuit, réaliser l’état de Bouddha uniquement dans le dessein de libérer tous les êtres de la souffrance. ;
– Troisièmement,ens’évertuantàsepurifierparl’attention portée à sa propre conduite mentale et physique, en ne suivant pas ses tendances négatives ; par ailleurs, en s’engageant à accomplir le bien d’autrui à travers les actes du corps, de la parole et de l’esprit sans la moindre intention égoïste.
Afin d’actualiser réellement l’état d’Éveil suprême, le bodhisattva (celui qui a prononcé les vœux d’aspiration d’application de la bodhicitta) se doit de pratiquer les Vertus de Perfection (paramitas) : le don (générosité), la conduite éthique, la patience, la persévérance, la méditation et la sagesse. Si l’on réunissait tous les enseignements du Bouddha en un seul, on obtiendrait la bodhicitta.
Les vertus de perfection (paramitas) : une science de la sagesse
– La générosité se présente sous trois formes, à savoir le don externe, le don interne et le don ultime : la générosité matérielle qui consiste à aider les personnes en leur donnant tout ce dont elles ont besoin pour vivre : aliments, vêtements, logement, médicaments... Le don de protection qui est le fait de protéger et de soigner les êtres de tous les maux physiques ou mentaux. Le don du dharma (enseignement bouddhique) qui consiste à partager ses connaissances en diffusant ou en enseignant le chemin spirituel qui mène à la libération de la souffrance et à l’état d’Éveil.
– La conduite éthique se présente sous trois aspects, le premier qui consiste à éviter de faire le mal, ce qui permet de stabiliser l’esprit ; le second qui est de faire le bien, ce qui développe les qualités en soi ; le troisième qui est d’agir de sorte à faire évoluer les êtres spirituellement, ce qui amène à l’Éveil parfait. Il y a dix actes négatifs à abandonner et dix actes positifs à pratiquer. Les dix actes nuisibles sont les suivants : ôter la vie consciemment à quelque être que ce soit, même s’il s’agit d’une petite créature, car quand il s’agit de la vie, il n’y a ni grand ni petit. Prendre directement ou indirectement le bien d’autrui lorsqu’il ne nous a pas été donné ou proposé. Avoir une conduite sexuelle incorrecte, comme par exemple tromper sa femme. Tromper les êtres avec nos paroles, en mentant ou falsifiant la vérité. Créer la discorde entre les êtres. Calomnier ou médire. Bavarder inutilement en s’engageant dans des discussions qui ne servent à rien. Convoiter les possessions, la position sociale, le succès d’autrui, sous l’effet de la jalousie. Avoir de la malveillance envers les êtres, c’est-à-dire ne pas se réjouir de leur bonheur ou de leur bonne fortune. Entretenir des vues fausses au sujet des vérités énoncées par les grands maîtres spirituels. Les dix actes bénéfiques sont le contraire de ceux présentés auparavant : sauver la vie des êtres humains ou des animaux, pratiquer la générosité matérielle, préserver une conduite éthique pure, comme par exemple la fidélité conjugale, dire la vérité sans détournement, créer l’harmonie ou la paix entre les êtres, user de paroles bénéfiques et agréables, parler en discutant sur des sujets utiles, éprouver le contentement de ce que l’on a et se réjouir du bonheur matériel ou spirituel d’autrui, avoir uniquement de la bienveillance envers les êtres, ne pas dénigrer les autres religions ou traditions et maintenir sa foi dans le bouddhisme.
« En résumé, déclare Lama Namgyal, il s’agit d’abandonner tout acte nuisible et de pratiquer tout acte bénéfique au moyen de notre corps, notre parole et notre esprit. Le résultat de la conduite vertueuse se situe sur deux niveaux : au niveau relatif, elle procure confort et bonheur dans la vie présente qui se manifestent naturellement sans effort ; au niveau ultime, elle permet d’atteindre sans aucun doute l’Éveil insurpassable dans nos existences futures. Il est bien aussi de prendre soin de son corps physique en évitant d’absorber des substances nocives telles que le tabac, l’alcool et tout produit toxique, qui ont également un effet négatif sur l’esprit. En conclusion, il ne faut ni nuire à soi-même ni à autrui. » (6)
– La patience est considérée comme une des vertus bouddhiques les plus importantes, car elle sert d’antidote à la colère et la haine. Sans la patience, l’aversion s’enfonce en nous comme une flèche empoisonnée et la douleur qui nous transperçait l’esprit ne nous permet plus de connaître la paix, la joie et le bien-être. Malheureux, nous finissons par perdre le sommeil et les difficultés surviennent. On distingue trois types de patience, dont tout d’abord, face à ceux qui nous causent du tort, celle qui consiste à ne pas répondre par le mal. Le deuxième type est la patience face au contretemps, aux circonstances difficiles de la vie. C’est donc faire face avec courage à tous les maux que l’on expérimente en général dans l’existence, tels que la maladie, la vieillesse et la mort. Celui qui est capable d’accepter toutes les souffrances en relation avec la pratique spirituelle parvient à atteindre l’Éveil.
Le troisième type est d’avoir une compréhension suffisamment large et un esprit assez ouvert pour accepter et comprendre des enseignements de haut niveau. La non-violence prônée par le bouddhisme ne signifie pas la passivité. Par exemple, le dalaï- lama et Gandhi ont été très actifs dans leur action pour la paix et avec beaucoup de tolérance. Jadis, les moines chinois du monastère de Shaolin avaient créé les arts martiaux afin de se défendre contre les brigands, mais avec amour et compassion, sans la moindre haine. Avoir de la patience signifie donc que l’on respecte fondamentalement les êtres parce que l’on sait que c’est grâce à eux et aux obstacles qu’ils nous créent que l’on arrive à progresser spirituellement, à dominer notre égoïsme et à développer une attitude plus ouverte et plus souple. « Dans le monde, dit Lama Namgyal, la patience procure la beauté, la santé, la célébrité, une longue vie et un bonheur illimité. Elle mène à l’Éveil insurpassable. » (7)
– La persévérance est à l’opposée de la paresse, du découragement et de la distraction. Elle développe, du fait de la pratique de la méditation qui en découle, une grande énergie. Elle symbolise le courage comme une armure, à savoir le maintien de l’engagement le plus profond et l’effort sincère et constant dans la pratique, sans se laisser emporter par la paresse qui pousse à l’indolence. Mais il ne s’agit pas d’une mortification du corps. Le grand maître tibétain Gampopa relève cinq qualités devant rendre la persévérance indestructible : nous devons être stables et constants, en restant insensibles à la frustration et à la distraction. Nous devons être dépourvus d’orgueil, en ne considérant pas notre pratique comme quelque chose d’exceptionnel ou penser que nous sommes meilleurs que les autres. Nous devons être emplis de dévotion : elle va nous permettre de persévérer avec joie, enthousiasme et intérêt. Nous devons rester inébranlables, aucun trouble émotionnel ne doit nous détourner de notre but.
Dominique Lormier
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