Hiram : une approche biblique


Hiram, Salomon et son Temple, objets de notre étude ici, sortent tout droit de la Bible hébraïque et signent la légendaire période de gloire du royaume unifié d’Israël. Les archéologues et historiens israéliens actuels jettent le plus grand doute sur l’historicité de ces épopées grandioses dont aucun écrit non biblique ne dit mot dans les civilisations alentour de cette époque. N’oublions pas que la Bible hébraïque que nous connaissons a été écrite au retour de l’exil à Babylone, au vie siècle avant l’ère vulgaire, soit près d’un demi-millénaire après la période que l’on attribue au royaume de Saül, de David et de son fils Salomon. À la mort de Salomon, roi parjure, devenu tyran blasphémateur, luxurieux et idolâtre, le royaume aurait éclaté en deux parties : le royaume d’Israël, au nord, qui disparaîtra avec ses dix tribus sous la botte babylonienne, et le royaume de Judée, avec ses deux tribus de Judah et de Benjamin, au sud, qui persistera un peu, jusqu’à l’exil à Babylone de toutes ses élites. Ce sont elles qui reviendront, libérées par le Perse Cyrus, conduites par le prophète Esdras, pour reconstituer la culture hébraïque en mettant la Torah par écrit, par compilation de matériaux endogènes et exogènes puisés dans les mémoires orales, et en (re)construisant le Temple dit de Salomon.

Mais pourquoi ce Temple ? Et pourquoi l’avoir construit selon ce plan-là ? Tout simplement, le Temple de Jérusalem est la « réplique » en pierres de la Tente de la Rencontre, premier sanctuaire démontable des Hébreux, utilisé lors de leur pérégrination nomade pendant les quarante années passées dans le désert entre la montagne du désert de Sin, à la lisière du royaume des « bornés » (les Mitzraïm qui sont les Égyptiens), et la montagne Nébo à la lisière de ce qui deviendra le royaume d’Israël, la Terre promise. Cette Tente de la Rencontre, ou Tabernacle, fut construite selon les instructions de YHWH telles que relatées, très en détail, dans le livre de l’Exode.

Puisqu’il y a un parallélisme strict entre le Temple et le Tabernacle, il doit également y en avoir un entre leurs commanditaires : Salomon et Moïse, et entre leurs facteurs : Hiram et Bètzal’èl.

Ce parallélisme sera exploité systématiquement dans les pages qui suivent.
Hiram lui-même... (Références bibliques pour Hiram : I Rois 5-10 et II Chroniques 2-9)
Le nom de notre Hiram, d’abord...

Le nom d’Hiram (‘HYRM en hébreu translittéré : ‘hèth de valeur : 8, yod de valeur : 10, rèsh de valeur : 200, mèm de valeur : 40) apparaît dans deux livres bibliques : le premier livre des Rois et le second livre des Chroniques. Il y apparaît pour camper deux personnages très différents. Le premier est Hiram, le roi de Tyr, l’ami de Salomon qui lui fournira les cèdres et cyprès du Liban pour le Temple (en échange de blé et d’huile) et qui lui enverra... l’autre Hiram, artisan fondeur, maître réputé pour ses ouvrages en bronze.

Ce second Hiram, quoique résident au Liban, est juif, fils d’une veuve de la tribu de Nephtali selon le livre des Rois et de la tribu de Dan, selon le livre des Chroniques.
Un nom... deux personnages...

Une clé de cette énigme pourrait être cachée dans le livre des Chroniques (II Chroniques 2;12) où ‘Hiram, roi de Tyr, écrit à Salomon, roi d’Israël : « Et maintenant j’ai envoyé une personne sage et connaisseur d’intelligence pour ‘Houram Abi. » Et plus loin (II Chroniques 4;11) : « Et ‘Houram fabriquera... » Et plus loin encore (II Chroniques 4;16) : « (...) fabriqua ‘Houram Abiou (...) » Récapitulons : les livres des Rois et des Chroniques sont d’accord pour nommer le roi de Tyr du nom de ‘HYRM (‘Hiram). Mais, concernant le maître-artisan fondeur, ils sont en désaccord net : le livre des Rois lui donne le même nom qu’au roi de Tyr, Hiram, alors que le livre des Chroniques (bien plus récent quant à sa rédaction) l’appelle ‘HWRM (‘Houram) tel quel ou avec un complément qui est soit Abi, soit Abiou. Certains rites maçonniques parleront non pas d’Hiram, mais d’Hiram Abif... déformation pardonnable de notre ‘Houram Abiou (la lettre waw, W, se prononce parfois comme un « w », et parfois comme un « v », ce qui explique le Abiv devenant Abif).
En hébreu, Abi et Abiou s’écrivent respectivement ABY et ABYW. ABY signifie « mon père » de la racine AB qui désigne le « père ». ABYW ne signifie rien car le suffixe W indique un possessif de la troisième personne du singulier : « son », que l’on voit mal se superposer au Y qui indique un possessif de la première personne du singulier « mon » ; ABYW devrait être traduit par « son mon père » ce qui n’a pas grand sens, sauf à tordre les choses avec un « mon père sien » suggérant « mon père qui est aussi le sien ».

Ce qui est troublant dans toutes ces considérations sur les noms propres suggère comme une hésitation du scribe entre le Y et le W : le HYRM qui devient HWRM, ou l’inverse, le ABY qui devient ABYW. Le yod et le waw dansent une sarabande bien mystérieuse. Leurs graphies hébraïques sont très proches puisque le yod est comme un point-apostrophe placé en haut de ligne d’écriture, que le waw prolonge d’un trait vertical droit.

Le nom même de Hiram (‘HYRM) ne signifie rien en hé- breu. Ce qui, pour un roi philistin, à Tyr, n’est que normal... mais ce qui l’est moins pour le fils d’une veuve juive.

En revanche, la racine hébraïque ‘HRM est lourde de significations puisqu’elle indique, à la fois, le verbe « interdire » (dont dérive le mot ‘hérèm désignant l’anathème, l’exclusion de la communauté, l’excommunication telle que Spinoza la subit à Amsterdam) et le verbe « étendre un filet de pêche ».

Avec cette racine ‘HRM, c’est le nom ‘Houram qui prend un sens hébreu : « celui qui interdit » (l’interdisant).

La guématrie peut-elle nous aider ? En hébreu, chacune des vingt-deux lettres possède aussi une valeur numérique. Chaque mot hébreu peut ainsi devenir le sujet d’une méditation numérologique appelée guématrie.

La valeur de ‘Hiram est 258. Ce nombre donne 15 (2+5+8) qui pointe vers 6 (1+5) qui est le chiffre de l’harmonie, de la beauté.

La valeur de ‘Houram est 254. Ce nombre donne 11 (2+5+4) qui pointe vers 2 (1+1) qui est le chiffre de la dualité, de l’antagonisme (‘Houram est « celui qui interdit », qui distingue entre ce qui se peut et ce qui ne se peut pas). La valeur de Abi est 13. Ce nombre pointe vers 4 (1+3) qui est le chiffre de la matérialité, de la fécondité.

La valeur de Abiou est 19. Ce nombre donne 10 (1+9) qui pointe vers 1 (1+0) qui est le chiffre de l’unité, de la divinité.

La valeur de ‘Houram Abi pointe vers 6, harmonie et beauté par combinaison de la dualité et de la fécondité.

La valeur de ‘Houram Abiou pointe vers 3 qui est le chiffre du mouvement, de l’évolution par combinaison de l’unité- divinité et de la dualité.

Toutes les considérations qui précèdent m’amènent à préférer (mais il s’agit d’une préférence subjective et personnelle) le nom ‘Houram Abi (le Hiram Abif des anciens rituels maçonniques). Il y a à cela trois raisons. La première : je pense qu’il est important de distinguer clairement Hiram, roi de Tyr, et Houram, maître fondeur ; confondre pouvoir royal et savoir magistral serait une faute contre l’esprit.

La deuxième : le nom Houram a un vrai sens (ce que n’a pas Hiram) et signifie très pertinemment : « celui qui interdit », donc celui qui discerne, comme le roi Hiram l’écrit à Salomon : Houram est sage et connaisseur d’intelligence (en hébreu, « intelligence » se dit BYNH qui est précisément la faculté de distinguer « entre » (BYN) les choses).

La troisième : la guématrie de Houram Abi (Hiram Abif) pointe vers l’harmonie (6) par les chemins de la binarité (2) (Houram est celui qui distingue entre ce qui se peut et ce qui ne se peut point) et de la fécondité (4) (Houram, par sa sagesse et son intelligence, est un créateur dont l’imaginaire immense est capable de concevoir une Maison pour le Divin).

Une autre énigme surgit à la lecture du livre des Rois : le chef des corvées que Salomon met à la tête de ses ouvriers, notamment pour aller quérir les cèdres et cyprès au Liban, s’appelle Adoniram (1 Rois:5;14) dans les traductions classiques ; en hébreu transposé, ce nom s’écrit ADWNYRM qui signifie (ADONY-RM) « Mon seigneur est haut ». Mais la tradition maçonnique, peu férue d’hébreu, y a vu la contraction de Adon-’iram : « Seigneur Hiram » ; cette prononciation et cette élision ne sont guère compatibles avec la graphie hébraïque.

Adoniram n’a donc rien à voir avec notre ‘Hiram-’Houram... tant pis pour le courant ésotérique ancien du xviiie siècle connu sous le nom de « maçonnerie adoniramite ».

Après le nom, l’homme...
Que disent les textes (j’utiliserai la traduction protestante de Segond) sur l’homme Hiram (malgré mon choix fait pour le nom Houram Abi, je conserverai le nom Hiram traditionnellement usité) ?
Le premier livre des Rois, d’abord...
7.13
Le roi Salomon fit venir de Tyr Hiram,
7.14
fils d’une veuve de la tribu de Nephtali, et d’un père Tyrien, qui travaillait sur l’airain. Hiram était rempli de sagesse, d’intelligence, et de connaissance pour faire toutes sortes d’ouvrages d’airain. Il arriva auprès du roi Salomon, et il exécuta tous ses ouvrages.
7.40
Hiram fit les cendriers, les pelles et les coupes. Ainsi Hiram acheva tout l’ouvrage que le roi Salomon lui fit faire pour la maison de l’Éternel ;
7.41
deux colonnes, avec les deux chapiteaux et leurs bourrelets sur le sommet des colonnes ; les deux treillis, pour couvrir les deux bourrelets des chapiteaux sur le sommet des colonnes ;
7.42
les quatre cents grenades pour les deux treillis, deux rangées de grenades par treillis, pour couvrir les deux bourrelets des chapiteaux sur le sommet des colonnes ;
7.43
les dix bases, et les dix bassins sur les bases ;
7.44
la mer, et les douze bœufs sous la mer ;
7.45
les cendriers, les pelles et les coupes. Tous ces ustensiles que le roi Salomon fit faire à Hiram pour la maison de l’Éternel étaient d’airain poli.
Quant au second livre des Chroniques...
2.13
Je t’envoie donc un homme sage et intelligent,
2.14
Houram Abi, fils d’une femme d’entre les filles de Dan, et d’un père Tyrien. Il est savant pour les ouvrages en or, en argent, en airain et en fer, en pierre et en bois, en étoffes teintes en pourpre et en bleu, en étoffes de byssus et de carmin, et pour toute espèce de sculptures et d’objets d’art qu’on lui donne à exécuter. Il travaillera avec tes hommes habiles et avec les hommes habiles de mon seigneur David, ton père.
4.11
Houram fit les cendriers, les pelles et les coupes. Ainsi Houram acheva l’ouvrage que le roi Salomon lui fit faire pour la maison de Dieu :
4.12
deux colonnes, avec les deux chapiteaux et leurs bourrelets sur le sommet des colonnes ; les deux treillis, pour couvrir les deux bourrelets des chapiteaux sur le sommet des colonnes ;
4.13
les quatre cents grenades pour les deux treillis, deux rangées de grenades par treillis, pour couvrir les deux bourrelets des chapiteaux sur le sommet des colonnes ;
4.14
les dix bases, et les dix bassins sur les bases ;
4.15
la mer, et les douze bœufs sous elle ;
4.16
les cendriers, les pelles et les fourchettes. Tous ces ustensiles que le roi Salomon fit faire à Houram Abi pour la maison de l’Éternel étaient d’airain poli.
Ces deux textes sont très parallèles, ce qui n’étonnera personne lorsque l’on sait que l’un est la reproduction amplifiée de l’autre. Le livre des Chroniques prête à Hiram un spectre de compétences techniques beaucoup plus large que ne le fait le livre des Rois. À l’art de l’airain, il ajoute des virtuosités en l’usage de bien d’autres métaux et matières. La Franc-maçonnerie ira beaucoup plus loin, on le verra. Mais que dit-on de l’homme lui-même ?

Primo, il est le fils d’un homme de Tyr. Les deux textes en sont d’accord. La matrilinéarité n’étant pas encore de mise, même chez les Hébreux, notre Hiram est donc citoyen tyrien, Philistin, donc. Selon le livre des Rois, son père est décédé et laissa donc sa mère veuve. Ce point aura son importance en Franc-maçonnerie car les Francs-maçons réguliers se nomment volontiers, à l’instar de leur maître Hiram : les « fils de la veuve ».

Secundo, il est le fils d’une femme de la tribu de Dan, pour les Rois, et de Nephtali, pour les Chroniques. Ce choix des tribus n’est pas neutre car chacune des douze tribus « profanes » (la tribu sacerdotale des Lévy ayant à ce titre, comme aux autres, un statut spécifique) possède une personnalité propre liée à son nom ou à son ancêtre éponyme, fils du patriarche Jacob-Israël.
Dans sa dernière bénédiction (Deut.:33;22, 23), sur le mont Nébo, Moïse à l’agonie dit :
Il dit sur Dan : Dan est un jeune lion qui s’élance du Bashân.

Il dit sur Nephtali : Nephtali, rassasié de faveurs, comblé des bénédictions de Yahvé : il prend possession de l’ouest et du midi.

La racine DN de Dan renvoie vers le Jugement. Celle NPTL de Nephtali pointe vers la Sinuosité. Le droit et le tordu...

Tertio, les livres des Rois et des Chroniques lui prêtent les trois mêmes qualités majeures : la sagesse, l’intelligence et la connaissance. Ce sont les trois Séphirot supérieures de l’Arbre de Vie des kabbalistes.
Les Francs-maçons ont l’habitude de décliner les trois vertus essentielles en Force, Sagesse et Beauté. On y retrouve la Sagesse. La Connaissance n’est-elle pas la plus noble des Forces ? Cependant, Intelligence et Beauté, quoique n’étant pas incompatibles, ne font pas toujours bon ménage...

Le prédécesseur d’Hiram : Bètzal’èl...
(Référence biblique pour Bètzal’èl : Exode 31)
Si Hiram fut le maître-artisan de la construction du Temple de Jérusalem, la fabrication de la Tente de la Rencontre fut placée par choix et ordre divin sous la direction de Bètzal’èl. Le texte du livre de l’Exode est remarquable... (Ex.:31;1-6)
YHW parla à Moïse et lui dit :
« Vois, j’ai désigné nommément Bètzal’èl, fils de Ouri, fils de Hour, de la tribu de Judah.

Je l’ai rempli du souffle des dieux (Elohim) en sagesse, intelligence et connaissance pour toutes sortes d’ouvrages ;
pour concevoir des projets et les exécuter en or, en argent et en bronze ;
pour tailler les pierres à enchâsser, pour tailler le bois et pour exécuter toutes sortes
d’ouvrages. »

On remarquera immédiatement le parallélisme entre ces versets du livre de l’Exode et ceux, donnés ci-dessus, qui concernent Hiram dans les livres des Rois et des Chroniques. Ce n’est évidemment pas un hasard. Il fallait prêter à Hiram les dons et talents de Bètzal’èl qui, bien sûr, possède trois qualités majeures qui sont la sagesse, l’intelligence et la connaissance.

Le nom de Bètzal’èl (BtzL-AL) signifie : « Pousse de Dieu » (la pousse est à prendre ici au sens de « surgeon », de « rejeton »). Il est donc une émanation du tronc divin, un homme issu du divin. Ce qui est rarissime dans le texte biblique, on cite, à la fois, le nom de son père Ouri et de son grand-père ‘Hour. Ces deux noms ne sont pas non plus neutres puisque Ouri signifie « ma Lumière » et que ‘Hour signifie le « Noble ». Est-ce un hasard si les Francs-maçons se nomment eux-mêmes, aussi, les « fils de la Lumière » ? Quant à la noblesse, antonyme absolu de la médiocrité, de la vulgarité, de la bassesse, quel meilleur adjectif pour qualifier l’aristocratisme maçonnique ?

Si l’on veut bien considérer que Hiram est secondé par Adoniram, le chef des corvées qui règne sur les ouvriers et esclaves (prélude des Surveillants en Loge), le parallélisme continue puisque le livre de l’Exode nous dit, en suite des versets précédents qui concernent Bètzal’èl :
« Et moi, voici [que] je lui ai donné Oholi’ab, fils d’A’hisamakh, de la tribu de Dan (...) »

Oholi’ab est ainsi le pendant d’Adoniram.
Son nom aussi est intéressant : « Ma tente est père »... joli nom pour celui qui contribuera à la fabrication de la Tente de la Rencontre avec le Père de tout ce qui existe. Le nom de son père n’est pas moins révélateur... puisque A’hi signifie « mon frère » et samakh désigne la « joie » : « mon frère de joie » ou « mon frère est joie ». Y a-t-il plus belle description du sentiment fraternel ?

Décidément, tout converge...

      Marc Halévy             
                                                                              

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 Hiram et le Temple de Salomon - Le mythe fondateur de la Franc-maçonnerie