Hiram, symbole de l'Homme initié

Le personnage d’Hiram est un personnage biblique dont il est fait mention au livre des Rois (compilation dont les parties les plus anciennes remontent probablement au vie siècle avant l’ère vulgaire) et à celui des Chroniques, plus récent (écrit, sans doute, vers le iiie siècle avant l’ère vulgaire). La Bible dit peu de choses sur lui. Nous y reviendrons bientôt. C’est la Maçonnerie ancienne qui donnera, à ce personnage discret, un éclat si particulier. D’artisan fondeur qu’il était, bibliquement parlant, il devint un grand architecte, maçonniquement parlant.

Dans tout ce qui suivra, si l’on se réfère au ternaire « celui qui fait », « ce qui est fait » et « celui pour qui cela se fait », Hiram est « celui qui fait » ; il est l’agent ; il est le sujet qui façonne l’objet en vue du projet. On voit déjà que la fameuse dialectique entre sujet et objet, mise par Kant au centre de son système critique, s’évanouit dès lors qu’est posée l’idée de projet qui englobe, dépasse et transcende à la fois le sujet qui agit et l’objet qui est agi. L’action de faire absorbe et résorbe, en un même trajet, ce qui mène à l’accomplissement du projet.

On comprend donc qu’au centre du ternaire « sujet, objet et projet », il y a le trajet ; ce trajet qui est cheminement, ascèse, démarche. C’est bien sûr ce trajet initiatique qui nous occupe et nous occupera tout au long de notre périple dans l’univers maçonnique et le monde de ses mythes fondateurs.

Bref. Revenons à Hiram qui, dans tout ce processus, symbolise et incarne le sujet, le sujet agissant. Il symbolise l’Homme initié, celui qui accepte et assume la mission du projet et qui organise et mène le voyage du trajet.

Pour saisir l’essence profonde du personnage symbolique d’Hiram, il faut, au risque du politiquement incorrect et du saccage des idéaux égalitaires, passer par la compréhension de la différence profonde qui existe entre l’homme initié et l’homme profane.

La Franc-maçonnerie régulière et universelle n’est pas égalitariste ; elle relève d’un aristocratisme basé, on l’a vu, sur la cooptation, l’excellence et l’exemplarité. Le Maître-Maçon initié a rompu avec l’homme vulgaire qu’il sait incapable d’assumer un destin qui le dépasse. L’homme profane est totalement englué dans le monde des apparences et des convenances, dans le monde des égoïsmes capricieux et des luttes de pouvoir, dans le monde du panem et circenses. L’homme initié n’a aucune mission ou intention de prosélytisme : si son rayonnement, son exemplarité, sa noblesse, son équité, sa lucidité et son détachement n’induisent aucune métanoïa chez le profane, il faut en conclure que celui-ci est indécrottable. C’est peut-être triste pour lui – vu avec les yeux de quelqu’un d’autre –, mais c’est ainsi ; on peut seulement lui souhaiter de vivre le moins malheureux possible.

Le problème de la Franc-maçonnerie n’est pas de « sauver » le genre humain ; son problème est de construire le Temple du Grand Architecte de l’Univers, à sa Gloire à Lui et non à celle de l’homme. La Franc-maçonnerie régulière et universelle n’a pas non plus vocation humaniste. Ce n’est pas l’homme son projet ; son projet, c’est l’accomplissement du Divin qui englobe l’humain et, à ce titre seulement, lui donne sens et valeur. Dans la tragédie cosmique, l’homme ne joue qu’un rôle de figurant : il n’est nullement la clé de l’intrigue.

Il faut ici se rappeler les grandes leçons de la tragédie grecque telles que les tire Nietzsche notamment dans La Naissance de la tragédie.
Comme toutes les autres espèces vivantes, l’espèce humaine n’est qu’un véhicule pour l’accomplissement de la Vie sur Terre. L’homme n’y a aucun statut particulier. Contrairement à ce que clament les humanismes, l’homme n’est ni le centre, ni le sommet, ni le but du monde.
L’essence tragique de la vie n’exclut pas la joie. Tant s’en faut. Cela, c’est mon ami Edgar Morin qui me l’a appris. Mais il est une condition sine qua non pour que tragédie et joie s’allient enfin : il faut assumer pleinement son destin propre, « devenir ce que l’on est » (assumer sa personnalité à soi) et « faire ce que soi seul peut faire » (déployer ses potentialités à soi), ainsi que le proclame Nietzsche dans le prologue de Ainsi parlait Zarathoustra.

La tragédie cosmique se noue autour de cette simple idée que le Réel, tant divin qu’humain, est inaccompli et que cet inaccomplissement, afin d’être comblé, doit d’abord être assumé. Alors seulement pourra être entamée la sortie de la dialectique stérile entre le sujet et l’objet qui vire assez vite en quête de possession et de domination, afin d’entrer dans la dialectique typiquement initiatique du projet et du trajet. Cette sortie et cette entrée forment, à proprement parler, la quintessence de l’initiation maçonnique.


      Marc Halévy             
                                                                              

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