Panorama de la sexualité des Européennes à l'heure du Covid-19

Observatoire européen de la sexualité féminine

Enquête Ifop publiée le vendredi 3 septembre 2021



Quel est l'état de la sexualité des Européennes dans un contexte pandémique des plus nocifs pour leur bien-être mental en général et leur activité et sociabilité sexuelle en particulier ? Les discours féministes amplifiés depuis 2017 par le mouvement #MeToo ont-ils eu un impact sur leur répertoire sexuel et notamment leur rapport à certaines pratiques popularisées par la pornographie (ex : biffle, éjaculation faciale...) ? En 2021, leur place dans les jeux sexuels est-elle plus active au point d'inverser - avec certains jeux comme le pegging - les rôles « pénétrant/pénétré » structurant traditionnellement les scripts de la sexualité hétérosexuelle ?

A l'occasion du lancement de Pokmi, première plateforme décentralisée de contenu pour adulte basée sur une cryptomonnaie (le « Poken »), The Poken Company a commandé au pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l'Ifop un « observatoire de la sexualité féminine » permettant de mettre en carte les sexualités des Européennes tout en mettant en évidence certaines tendances par rapport au passé. Réalisé auprès d'un échantillon représentatif de 5025 femmes vivant dans les cinq plus grands pays européens (Espagne, Italie, France, Allemagne, Royaume-Uni), le premier volet de cet observatoire (diffusé vendredi 3 septembre) se penche notamment sur le degré de bien-être sexuel et sentimental des Européennes à l'heure du Covid-19, la fréquence de leur activité sexuelle et les différences de pratiques sexuelles entre les grandes aires culturelles..

LES CHIFFRES CLÉS DE L'ENQUÊTE
C'est dans l'hexagone que l'on compte le plus de femmes insatisfaites de leur vie sexuelle : 35%, soit beaucoup plus que dans des pays du nord comme l'Allemagne (23%) ou le Royaume-Uni (27%). L'insatisfaction des Françaises se rapproche plutôt du niveau observé dans des pays méditerranéens comme l'Italie (30%) et l'Espagne (28%).

Et cet écart entre la France et ses principaux voisins tend plutôt à se creuser si l'on juge par la forte hausse de l'insatisfaction sexuelle féminine dans l'hexagone : +4 points entre 2016 (31%) et 2021 (35%) en France, contre une hausse moyenne de +1 point dans les 5 pays étudiés (28%).

Cette étude, réalisée dans un contexte sanitaire particulier (mars 2021) montre aussi une montée de l'inactivité sexuelle des Européennes : 37% n'avaient pas eu de rapports sexuels en un mois (contre 32% en 2016), sachant que c'est en France (41%, +10) et au Royaume-Uni (47%, +4) que l'on comptait le plus de femmes sexuellement inactives.

Moins soumises aux risques d'opprobre pesant encore sur les femmes qui multiplient les partenaires, les Européennes du Nord affichent un nombre de partenaires sexuels (plus de 5 partenaires dans leur vie) plus important (42% en Allemagne, 38% au Royaume-Uni) que celles des pays méditerranéens et catholiques (23% en Italie, 31% en Espagne).

Avec une biographie sexuelle similaire à celle des pays du Nord (37% ont eu au moins 5 partenaires dans leur vie), les Françaises se rapprochent donc des sociétés à dominante protestante où une certaine éthique libérale en matière de mœurs réduit le contrôle social et les formes de stigmatisation qui peuvent entourer leurs comportements sexuels.

L'évolution de leur répertoire sexuel est marquée par une certaine désaffection des Européennes pour les jeux sexuels popularisés par les films X et marquant une forme de soumission symbolique à leur partenaire masculin comme la « biffle » (-10 points entre 2016 et 2021, à 22%) ou l'éjaculation faciale (- 5 points, à 26%).

Enfin, si on observe toujours une plus grande banalisation des pratiques anales passives dans les pays latins - avec un record à 51% de femmes initiées à la sodomie en France, contre 43% en Allemagne et 35% au Royaume-Uni -, l'exploration du versant anal de la sexualité va aussi de pair avec des pratiques anales où elles sont actives.

Nombre de femmes ont ainsi déjà pénétré l'anus de leur partenaire avec un doigt (22%), la langue (17%) ou un objet (13%). Certes, ces pratiques où la femme pénètre l'homme sont loin d'être courantes dans  leur répertoire sexuel mais elles illustrent leur propension à assumer un rôle sexuel actif, y compris en transgressant les normes de genre.

 

LES ENSEIGNEMENTS DE L'ENQUETE
1 -  Une chute de l'activité sexuelle, un effet « Covid » ou une tendance plus structurelle ?

    Réalisée en mars 2021 dans un contexte de confinements ou de couvre-feux quasi-généralisés, cette étude tend à montrer une montée de l'inactivité sexuelle : 37% des Européennes n'avaient pas eu de rapports sexuels au cours du dernier mois ayant précédé l'enquête (contre 32% en 2016), sachant que c'est en France (41%, +10 points) et au Royaume-Uni (47%, +4 points en 5 ans) que l'on comptait le plus de femmes sexuellement inactives.

 

    Mais en dépit de cette montée générale de l'inactivité sexuelle, un clivage Nord/Sud persiste lorsqu'on analyse le profil des femmes ayant l'activité sexuelle la plus soutenue. En effet, la proportion de femmes ayant plus de 2 rapports sexuels par semaine est nettement plus forte dans les pays méditerranéens (25% chez les Espagnoles, 19% chez les Italiennes) que dans les voisins situés au nord de la France (14% au Royaume-Uni, 15% en Allemagne), les Françaises occupant une situation intermédiaire (18%) entre ces différentes aires culturelles.

 

FRÉQUENCE HEBDOMADAIRE DES RAPPORTS SEXUELS
Le point de vue de Fr. Kraus : Cette contraction de l'activité sexuelle des femmes - déjà observée par l'Ifop en France lors du premier confinement - parait somme toute logique compte tenu de l'usure psychologique mesurée dans l'ensemble des pays soumis à différentes restrictions ou règles de distanciation. Il est vrai que les principaux impacts de la crise sur la santé psychologique des populations (hausse du taux de stress ou d'anxiété, états dépressifs, consommation nocive d'alcool, pensées suicidaires...) sont tous de nature à altérer la libido et/ou l'épanouissement sexuel. Il n'en reste pas moins nécessaire de rester prudent sur l'importance du « Covid » dans cette baisse de l'activité sexuelle dans la mesure où plusieurs études aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni montraient déjà cette tendance à la baisse chez les jeunes adultes avant la crise sanitaire. Il faudra donc attendre de prochaines études pour savoir si cette tendance est purement conjoncturelle (effet Covid) ou si elle reflète une diminution plus structurelle de l'activité sexuelle dont les causes sont à chercher ailleurs (ex : temps passé devant les écrans...).

2 -   Les Françaises, les Européennes les moins épanouies sur le plan sexuel et sentimental

    En dépit d'une certaine homogénéisation sur le plan socio-économique, éducatif et culturel, les Européennes sont loin de bénéficier du même degré de bien-être sexuel et affectif : la comparaison montrant notamment que c'est dans l'Hexagone que l'on compte le moins de femmes épanouies.

 

Plus d'une Française sur trois (35%) initiée sexuellement se dit actuellement insatisfaite de sa vie sexuelle, soit une proportion nettement supérieure à celle observée dans des pays plus septentrionaux comme l'Allemagne (23%) ou le Royaume-Uni (27%). Le niveau d'insatisfaction des Françaises se rapproche plutôt de celui observé dans des pays méditerranéens - comme l'Italie (30%) et l'Espagne (28%) - dominés par une vision plus conservatrice du rôle de la femme comme l'Ifop a déjà pu l'observer dans la répartition des tâches domestiques ou parentales.

LE DEGRE D'INSATISFACTION QUANT À LA VIE SEXUELLE ACTUELLE
Et cet écart entre la France et ses principaux voisins tend plutôt à se creuser si l'on juge par la forte hausse de l'insatisfaction sexuelle féminine dans l'Héxagone : +4 points entre 2016 (31%) et 2021 (35%) en France, contre une hausse moyenne de +1 point dans les 5 pays étudiés (28%). Certes, ces tendances datent sans doute d'avant la crise du Covid-19 mais il est intéressant de noter que c'est des pays où les femmes ressentent le plus d'anxiété à l'égard de l'avenir (Italie, France) que l'épanouissement sexuel est le plus faible.

 
L'analyse de profil des Européennes insatisfaites de leur vie sexuelle montre que ce mal-être sexuel peut être le fruit de multiples facteurs :

-   Le partenaire semble y jouer un rôle notable, que ce soit en tant qu'objet de désir - 38% des Européennes qui jugent leur partenaire « moins beau » qu'elles se disent insatisfaites sexuellement, contre 11% chez celles qui le jugent « beaucoup plus beau » - ou objet de plaisir : 56% des Européennes se disent insatisfaites sexuellement parmi les femmes trouvant que leur conjoint n'est pas très attentif à leur plaisir.

-   Le fait de ne pas correspondre aux normes esthétiques dominantes - de manière objective ou subjective - semble aussi constituer une variable « lourde » si l'on en juge par le fort taux de mécontentement observé chez les Européennes « obèses » (33%, contre 23% chez les femmes maigres) ou ne se trouvant « pas jolies » (45%, contre 15% des femmes se trouvant « très jolies »), probablement parce que les complexes qui découlent de cette mésestime de soi freinent le relâchement nécessaire à leur épanouissement sexuel.

-   L'affranchissement à l'égard des formes de morale conservatrice - qui tendent à circonscrire la sexualité féminine au mariage et à la procréation - semble faciliter l'expression d'un mal-être qui varie beaucoup en fonction du degré de religiosité - à peine 18% des femmes pratiquant leur religion régulièrement se disent insatisfaites sexuellement, contre 35% des non pratiquantes - ou de positionnement politique : le degré d'insatisfaction sexuelle étant plus fort chez les femmes situées à la gauche de la gauche (33%) qu'à la droite de la droite (22%), sachant qu'elles ont généralement une sensibilité féministe plus marquée.

-   Enfin, au regard du différentiel d'insatisfaction entre les femmes en couple qui font « beaucoup plus » de tâches ménagères que leur conjoint actuel (26%) et celles où le travail domestique est réparti équitablement (15%), il semble que le non-respect de l'idéal d'égalité entre les sexes contribue également à ce mal-être sexuel.

Zoom sur le profil des Européennes et des Françaises insatisfaites de leur vie sexuelle
 Etroitement corrélé au degré d'insatisfaction sexuelle, le mécontentement de sa vie sentimentale atteint également des sommets en France (28%) mais aussi au Royaume-Uni (28%). De loin les plus épanouies sexuellement des 5 grands pays européens (77%), les Allemandes sont donc aussi les moins nombreuses à exprimer leur mécontentement à l'égard de leur vie sentimentale : à peine 16% d'entre eux se disent insatisfaites sentimentalement, soit presque deux fois moins que de Françaises (28%).

 

LE DEGRE D'INSATISFACTION QUANT À LA VIE SENTIMENTALE ACTUELLE
Le point de vue de Fr. Kraus :  La plus forte insatisfaction mesurée en France tient sans doute à des éléments culturels - comme l'injonction à la performance qui pousse à des pratiques qui ne sont pas les plus épanouissantes - mais surtout à une pluralité de facteurs (ex :  forte consommation d'antidépresseurs, chômage élevé, stress lié à vie professionnelle, conditions de confinement...) qui s'avèrent défavorables à cet épanouissement sans pour autant relever de leur sexualité stricto sensu.


3 - Un nombre de partenaires sexuels toujours plus élevé chez les Européennes du Nord que du Sud

Cette étude confirme l'idée selon laquelle les Européennes du Nord seraient globalement moins soumises aux risques d'opprobre sociale pesant encore souvent sur les femmes qui multiplient les partenaires sexuels.

 
En effet, c'est dans les pays de culture germanique ou anglo-saxonne (Grande-Bretagne, Allemagne) que proportion de femmes ayant eu plus de 5 partenaires dans leur vie est la plus forte (42% en Allemagne, 38% au Royaume-Uni) alors que c'est dans les pays méditerranéens où les normes de conjugalité furent longtemps sous l'emprise de l'Eglise catholique (Espagne, Italie) que leur nombre est le moins élevé : 23% en Italie, 31% en Espagne.

 
Avec une biographie sexuelle similaire à celle observée dans les pays septentrionaux - 37% des Françaises ont eu au moins 5 partenaires dans leur vie -, les Françaises se rapprochent donc des sociétés à dominante protestante où une certaine éthique libérale / égalitaire en matière de mœurs réduit le contrôle social et les formes de stigmatisation qui peuvent entourer les comportements sexuels des femmes (notamment dans leur jeunesse).


LE NOMBRE DE PARTENAIRES SEXUELS AU COURS DE LA VIE
Cette enquête confirme donc l'analyse du sociologue Michel Bozon qui observait dès 2003 que « si les comportements en France étaient proches de ceux des pays latins » pour les femmes ayant commencé leur vie sexuelle vers 1950, ils s'étaient désormais « rapprochés [...] de ceux des habitants de l'Europe du Nord » [1].

 
Le point de vue de Fr. Kraus : Si la transition de la France d'un modèle de sexualité à un autre doit beaucoup aux évolutions sociétales et caractéristiques culturelles propres à l'Hexagone (notamment dans son rapport plus distant à la religion), elle s'inscrit dans un mouvement plus large affectant l'ensemble du continent et dont l'indicateur - la multiplication des partenaires sexuels des femmes au cours d'une vie - nous paraît très révélateur, à savoir l'indépendance sexuelle croissante des femmes et le déclin du discours moral ayant longtemps insinué que « la valeur des femmes tient à leur parcimonie avec laquelle elle se donnent » (Bozon, 2002)[2].

 
4 -  Un effet « #MeToo » ? Une certaine désaffection pour les jeux sexuels illustrant une forme de domination masculine symbolique

    De manière générale, les résultats tendent à montrer une certaine désaffection des Européennes pour les jeux sexuels dont le seul intérêt est de marquer une forme de soumission symbolique à leur partenaire masculin.


C'est particulièrement le cas des pratiques faciales popularisées par les films X depuis une quinzaine d'années comme la « biffle » (-10 points entre 2016 et 2021, à 22%) ou l'éjaculation faciale (- 5 points, à 26%) mais aussi de pratiques bucco-génitales n'apportant pas de plaisir physiologique direct à leur partenaire comme l'ingestion de sperme après une fellation (- 6 points, à 40%). Et si cette désaffection pour ce type de jeux sexuels très chargés symboliquement par les codes de la pornographie est général, elle affecte tout particulièrement le répertoire sexuel des Françaises :  -9 points pour la « biffle » (21%), -13 points pour l'indigestion de sperme (33%).

 

L'EXPÉRIENCE DE DIVERSES FORMES DE SEXUALITÉ ORALE AU COURS DE LA VIE
Les pratiques bucco-génitales perçues comme de véritables sources de plaisir charnel pour leurs partenaires sexuels restent en revanche largement répandues comme la fellation (86%, +1 point) qui se généralise à tous les pays - y compris latins comme l'Espagne (90%) ou l'Italie (85%) - alors qu'elle semblait plus banale dans les pays du nord il y a cinq ans. En France, la tendance est, elle, plutôt à la stagnation entre 85 et 90% depuis une demi-douzaine d'années après s'être banalisée au cours des quarante dernières années.

 

5 -  Vers une lente dégenrisation des rôles « pénétrant/pénétré » en matière de sexualité anale

    Enfin, si on observe toujours une plus grande banalisation des pratiques anales passives dans les pays latins - avec par exemple un record à 51% de femmes initiées à la sodomie en France, contre 43% en Allemagne et 35 au Royaume-Uni -, l'exploration du versant anal de leur sexualité ne s'y fait pas sans une certaine réciprocité.

 

L'EXPÉRIENCE DE DIVERSES FORMES DE SEXUALITÉ ANALE PASSIVE AU COURS DE LA VIE
En France, la sodomie s'est fortement banalisée ces 50 dernières années, dépassant le seuil symbolique des 50% (51% en 2021) sans connaître pour autant la même explosion que dans les années 1990 / 2000 où elle avait quasiment doublé en une vingtaine d'années (+24 points entre 1992 et 2014). Si elle témoigne d'une diversification du plaisir conjugal, elle reste bien plus occasionnelle (19%) que la fellation (72%), sans doute parce qu'elle n'est pas moyen « facile » de procurer un orgasme (cf étude Ifop/Cam4 - 2014) et qu'elle reste encore associée à une forme symbolique de domination.

Symptomatique de l'idéal de réciprocité qui imprègne désormais le discours normatif sur la sexualité de couple, cette sexualité anale va aussi de pair avec des pratiques actives telles que la pénétration digitale de l'anus de son partenaire (22%), l'administration d'un anulingus (17%) ou la pratique de pegging qui consiste à pénétrer l'anus de quelqu'un avec un objet (13%). Certes, ces pratiques où la femme pénètre l'homme sont loin d'être courantes dans leur répertoire sexuel mais elles illustrent la propension des femmes à assumer un rôle sexuel plus actif, y compris en transgressant les normes de genre.


L'EXPÉRIENCE DE DIVERSES FORMES DE SEXUALITÉ ANALE PASSIVE AU COURS DE LA VIE
Le point de vue de Fr. Kraus : Etroitement liée à la banalisation du plaisir prostatique chez les hommes hétérosexuels, cette "inversion" des rôles nous paraît symptomatique d'une certaine remise en cause du clivage « pénétrant/pénétré » qui structure traditionnellement les scripts de la sexualité hétérosexuelle d'autant plus quand on considère comme Pierre Bourdieu que « l'opposition (...) pénétrant/pénétré identifie le rapport sexuel à un rapport de domination » [3]. Tendant à briser les idées reçues sur la sexualité hétérosexuelle, ces données montrent ainsi que si les relations intimes entre hommes et femmes restent dominées par une polarité de genre