
Etude pour la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais
Quelle est ampleur des actes homophobes en France ? Qui sont les agresseurs ? Quel est l'impact de la LGBTphobie sur la vie des minorités sexuelles ? A quelque jours de la Journée mondiale de l'homophobie (17 mai), la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais a fait réaliser en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès et la DILCRAH une grande enquête permettant de mesurer l'ampleur des actes de harcèlement ou d'agression à caractère homophobe dont peuvent être victimes les LGBT. Mené à partir d'un échantillon à la fois représentatif (méthode des quotas) et significatif (1 229 personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres), cet observatoire permet :
L'IMPACT DE LA LGBTPHOBIE SUR LA VIE DES MINORITÉS SEXUELLES : LES 5 CHIFFRES CLÉS
L'impact de l'homophobie sur ses déplacements et son lieu de résidence
L'impact de l'homophobie sur la santé psychologique des LGBT
1) Des groupes de jeunes hommes à l'origine de la majorité des agressions
Un des principaux apports de cette étude est de dresser pour la première fois en France le portrait-robot des auteurs d'agressions physiques via les déclarations de leurs victimes qui ont notamment été invitées à décrire spontanément les caractéristiques de leurs agresseurs. Le contexte dans lequel ces violences physiques ont lieu apparaît ainsi caractérisé par les éléments suivants :
Les chiffres à retenir
Le point de vue de l'Ifop
Alors que la récente agression d'une jeune trans par des manifestants anti-Bouteflika a suscité de vives polémiques sur le lien entre LGBTphobie et religion musulmane, les résultats de cette enquête battent quelque peu en brèche les idées reçues selon lesquelles la violence homophobe n'émanerait que de certains groupes ethniques ou culturels ne cachant pas leur hostilité à l'émancipation des femmes ou des minorités sexuelles. Certes, ces résultats mériteraient d'être approfondis et ils n'invalident pas les données de précédentes enquêtes qui avaient pu mettre en perspective la moindre acceptation de l'homosexualité chez les personnes de confession musulmane [1]. Il n'en reste pas moins qu'ils obligent à relativiser la lecture ethnico-culturelle de l'homophobie portée par la droite radicale dans le cadre d'un discours « homonationaliste » défendant les droits des homosexuels pour stigmatiser les musulmans en général et, à l'intérieur de leurs frontières, les immigrés d'origine musulmane en particulier.
LE PORTRAIT-ROBOT DE SON AGRESSEUR
2) Un climat homophobe qui contraint nombre de LGBT à appliquer des stratégies de dissimulation dans l'espace public
Dans les lieux publics où le risque d'agression croît d'autant plus pour les LGBT qu'ils s'affichent comme tels, les minorités sexuelles ont tendance à appliquer dans leurs déplacements des stratégies d'invisibilité voir d'évitement de certains territoires ; un environnement trop homophobe pouvant même en amener à rechercher à vivre dans des espaces plus respectueux des sexualités minoritaires.
Les chiffres à retenir
Le point de vue de l'Ifop
Tout comme pour les violences faites aux femmes (ex : harcèlement de rue), l'impunité des agressions LGBTphobes contribue de manière indéniable à un sentiment d'insécurité qui pousse les LGBT à adapter leurs déplacements quotidiens en dissimulant leur sexualité, à éviter les territoires les plus dangereux ou à changer de lieu de résidence : certains LGBT pouvant voir par exemple dans le centre-ville des grandes agglomérations un lieu d'émancipation où leur transgressions des normes en vigueur est moins sanctionnée socialement. L'impact de l'homophobie sur la vie quotidienne des LGBT et notamment sur leur possibilité d'afficher leur vie de couple comme les autres est donc très important, en particulier sur les victimes d'agressions qui intègrent plus que les autres les risques d'« insécurité sexuelle » auquel l'affichage de leur sexualité les expose.
3) Des agressions physiques qui fragilisent fortement l'état de santé mentale et psychologique des LGBT
Enfin, l'intérêt de cette étude est de mettre en lumière l'impact que ces diverses formes de stigmatisation sociale (ex : violence physique, injures verbales, discriminations...) ont sur la santé mentale des LGBT : l'exposition récente à une agression physique aggravant par exemple de manière conséquente la prévalence des situations de détresse psychologique ou de risques suicidaires.
Les chiffres à retenir
Le point de vue de l'Ifop
S'ils concordent avec les données de précédentes enquêtes [2] qui mettaient déjà en lumière la plus grande fragilité des minorités sexuelles sur le plan psychologique, les indicateurs relatifs à la santé mentale des LGBT - tels que la dépression, les pensées suicidaires ou les tentatives de suicide - montrent pour la première fois à quel point les attitudes agressives ou stigmatisantes dont ils peuvent être l'objet aggravent les risques de comportements suicidaires chez les LGBT alors même qu'ils y sont déjà trois fois plus exposés (24%) que la moyenne des Français (7%). L'accentuation des troubles de santé mentale que ces phénomènes génèrent tient sans doute au fait qu'ils accroissent chez les LGBT le stress « minoritaire » [3] lié notamment à leur obligation de dissimuler leur identité et/ou à leur exposition à des manifestations hétérosexistes et LGBTphobes.
Le point de vue de François Kraus de l'Ifop
Au regard de la forte prévalence des risques de suicide chez les LGBT ayant été agressés ou discriminés, la LGBTphobie n'apparaît donc pas seulement comme un enjeu moral, mais aussi comme un enjeu de santé publique : les phénomènes d'exclusion, de mépris ou de stigmatisation semblant nuire au bien-être des LGBT au point d'aggraver les causes habituelles des comportement suicidaire déjà élevés dans cette population plus fragile que la moyenne sur le plan psychologique. Plus largement, on note que les personnes transgressant le plus les normes corporelles assignées à leur genre (ex : hommes au style « féminin » selon les stéréotypes de genre) sont systématiquement plus exposés aux risques d'agression ou de discrimination, signe que les mécaniques de l'homophobie sont inséparables des injonctions sociales à se plier aux normes de genre.
François Kraus, directeur du pôle Genre, sexualités et santé sexuelle
LA FICHE TECHNIQUE :
Enquête Ifop pour la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais réalisée en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès et la DILCRAH auprès d'un échantillon de 1 229 personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres, extrait d'un échantillon global de 13 346 personnes représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 12 au 24 avril 2019.
[1] Les rares données d'enquête fiables sur le sujet (Ifop-Montaigne - 2016) ont en effet pu montrer que les musulmans vivant en France était beaucoup moins nombreux (52%) que la moyenne des Français (84%) à penser par exemple que « Les homosexuels devraient être libres de vivre leur vie comme ils le souhaitent ».
[2] JOUVIN (E.), BEAULIEU (D.), JULIEN (D.), "Minorités sexuelles : des populations plus exposées que les autres ? ", p.359 in Baromètre Santé 2005, dir. BECK (F.), GUILBERT (P.), GAUTIER (A.), Saint-Denis, INPES, 2007, 570 p.
[3] Meyer I.H., Prejudice, social stress and mental health in lesbian, gay, and bisexual population: Conceptual issues and research evidence. Psychological Bulletin 2003; 129(5): 674-97.