
Au regard des réactions suscitées en France à chaque fois qu'une nouvelle forme de maillot de bain féminin trouve son public (cf bikini en 1946, monokini en 1964, burkini en 2016...), la question du « (dé)voilement » des corps sur les plages en été a toujours suscité d'intenses polémiques tant celui-ci est symptomatique des évolutions des normes de pudeur imposées aux femmes et notamment de leur capacité à s'affranchir des injonctions vestimentaires de nature morale ou religieuse.
Cet été encore, les débats sur le sujet ont été relancés en France - avec l'action menée par des Grenobloises s'élevant contre l'interdiction du port du burkini dans les piscines municipales - mais aussi à l'étranger : une polémique ayant agité l'Allemagne suite à l'interpellation de femmes pratiquant le topless à Munich [1] a soulevé notamment la question du droit des femmes à prendre le soleil seins nus dans les lieux publics au même titre que les hommes ont droit de le faire torse nu.
Dans ce contexte, le pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l'Ifop a réalisé pour le site d'information et de conseils VieHealthy.com une vaste enquête permettant d'observer l'évolution des pratiques des Européennes en matière de nudité sur les plages en été tout en faisant le point sur le degré d'acceptation sociale du nu et des diverses formes de voilement et dévoilement des corps dans les lieux publics (ex : naturisme, monokini, burkini...).
Réalisée auprès de 5 000 Européennes (dont 1000 Françaises), cette étude confirme la baisse de la pratique du topless en France et en Europe tout en apportant des informations précieuses sur les freins à l'exposition de leur corps, les jeunes femmes expliquant avant tout le couvrement de leur poitrine par la crainte d'attiser le désir des hommes et d'être l'objet d'agression physique ou sexuelle, signe que la « pression sexuelle » qui s'exerce sur elles toute l'année continue en été.
1 - LE TOPLESS, UNE PRATIQUE EN PERTE DE VITESSE EN FRANCE COMME DANS LE RESTE DE L'EUROPE
PROPORTION DE FRANÇAISES ADEPTES DU TOPLESS
- Evolution depuis 1984 et réponses en fonction de la région de résidence -
L'EXPERIENCE DU TOPLESS SUR LA PLAGE EN ÉTÉ
- Evolution et comparaison entre les principaux pays européens -
2 - UNE PRATIQUE ÉTROITEMENT LIÉE A L'AGE ET AU LIEU DE RESIDENCE MAIS AUSSI AU CAPITAL ESTHETIQUE, AU NIVEAU SOCIAL ET A LA CULTURE DES EUROPEENNES
??? Chez les femmes mûres : plus du tiers des 50-69 ans se mettent régulièrement seins nus au bord de la mer, contre à peine 20% des jeunes européennes de moins de 30 ans. Il existe ainsi une forte différence générationnelle dans l'exposition de la nudité chez la femme : l'impact de la libération sexuelle se ressent davantage dans les générations déjà adultes ou presque dans les années 1970/1980.
??? Chez les Françaises ayant un niveau social et culturel supérieur à la moyenne : les femmes bénéficiant d'un niveau de diplôme et d'un niveau social important semblent plus à même d'être seins nus en public. Le niveau de diplôme est aussi déterminant : alors que les diplômées de l'enseignement supérieur sont plus de 30% à pratiquer le topless, elles sont à peine 23% chez les peu ou non-diplômées.
??? Chez les femmes habitant région SUD PACA : Plus du tiers des femmes résidant en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (36%) retirent régulièrement ou occasionnellement le haut de leur maillot à la plage alors que leur part ne dépasse pas le seuil des 10% dans les Haut-de-France (7%). Le climat et le nombre de stations balnéaires y facilitent sans doute la pratique du bronzage et par là, l'exposition de sa poitrine au soleil.
??? Celles qui correspondent le plus aux normes morphologiques dominantes ou, en tous cas, qui affichent un fort sentiment d'estime de soi sur le plan esthétique : 37% des Européennes se trouvant très jolies se disent des adeptes du topless, soit deux fois plus que celles qui se trouvent laides (17%). A la lecture de ces résultats, la crainte de ne pas répondre aux canons de beauté en vogue pousse donc nombre de femmes à moins se dévoiler, comme si avec l'importance croissante accordée à l'image de soi sur les réseaux sociaux, elles avaient intériorisé l'idée qu'il fallait désormais un corps « irréprochable » pour se permettre de le montrer en public.
??? Celles qui s'éloignent le plus de la morale religieuse, sachant qu'une prise de distance avec une doctrine religieuse réduit les risques de soumission aux diverses formes d'injonctions vestimentaires ou alimentaires. Ainsi, le bronzage seins nus est beaucoup plus répandu chez les non-croyantes (33%) que chez les pratiquantes régulières (22%). Mais il y aussi des effets directement liés à la religion comme on peut le voir pour l'islam : la pratique du topless étant deux fois moins répandue chez les musulmanes (14%) que chez les athées (33%), ce qui n'est pas forcément étonnant dans la mesure où on sait que les musulmans sont des gens qui attachent beaucoup plus d'importance que le reste de la population à la religion et aux préceptes moraux de cette dernière dans leurs comportemen (Ifop/Montaigne).
3 - #METOO ON THE BEACH... QUAND LA PEUR DE L'AGRESSION SEXUELLE POUSSE LES JEUNES FEMMES A NE PLUS ENLEVER LE HAUT SUR LES PLAGES EN ETE
LES RAISONS ÉVOQUÉES PAR LES JEUNES FEMMES POUR NE PAS PRATIQUER LE TOPLESS
4 - LES FORMES DE VOILEMENT DES CORPS FEMININS (EX : BURKINI) CHOQUENT TOUJOURS PLUS QUE LES FORMES HABITUELLES DE DEVOILEMENT SUR LES PLAGES EN ETE (EX : TOPLESS)...
5 - ... MAIS L'ACCEPTATION SOCIALE DU NU INTEGRAL OU PARTIEL DANS CES LIEUX PUBLICS DIMINUE D'ANNEE EN ANNEE
6 - UN SOUTIEN MASSIF A UNE LOI INTERDISANT LE PORT DU BURKINI DANS LES PISCINES PUBLIQUES
L'ADHÉSION À L'INTERDICTION DE DIFFÉRENTES FORMES DE VOILEMENT ET DE DÉVOILEMENT DES CORPS DANS LES ESPACES PUBLICS EN ÉTÉ
La dissonance des jeunes sur ce point est certes contradictoire avec l'esprit d'une génération #MeToo qui, si elle se veut très vigilante à l'égard des différences de traitement entre hommes et femmes, n'est pourtant pas heurtée par la dimension misogyne d'un type vêtement qui ne vise qu'un sexe et pas l'autre : le port du Burkini comme du voile ne visant que les femmes et la préservation de la pudeur de leur cheveux et de leur forme. Ce paradoxe de la jeunesse française tient sans doute au fait que la notion de respect et de droit à la différence y prime encore sur la lutte contre des injonctions vestimentaires de nature morale ou religieuse affectant exclusivement la gent féminine.
François KRAUS, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle »
« Étude Ifop pour VieHealthy.com réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 11 au 15 avril 2019 auprès d'un échantillon de 5 026 femmes, représentatif de la population féminine âgée de 18 ans et plus résidant en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. »
[1] AFP, Allemagne: Les femmes auront-elles le droit au topless à Munich?, 20 Minutes, 26 juin 2019
[2] Cf Christophe Granger, La saison des apparences, naissance des corps d'été Anamosa, 2017.
[3] Étude Ifop réalisée pour TENA par téléphone du 24 au 28 avril 2009 auprès d'un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Données sur les femmes âgées de 18 à 50 ans
[4] D'après l'étude Ifop pour VieHealthy.com réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 26 au 29 janvier 2018 auprès d'un échantillon de 2 008 femmes, la proportion de femmes victimes d'atteintes ou d'agressions sexuelles dans la rue « au cours des 12 derniers mois » est dix fois plus élevées chez les jeunes de moins de 25 ans (55%) que les seniors de 65 ans et plus (4%).