Le document que l’on va lire est exceptionnel en tous points. Il trace, au fil des « Tenues », c’est-à-dire des réunions d’une Loge – belge en l’occurrence – les interventions de son Orateur. Ces textes qui égrènent le fil du temps, sur plusieurs années, ont tous été lus à haute voix ou « joués » lors de scènes rituéliques ad hoc.
L’ensemble de ces textes – et quelques autres – m’a été remis par un Frère peu avant son « départ pour l’Orient éternel ». « Tu en feras bon usage ; mais ne cite mon nom sous aucun prétexte », m’avait-il dit. Il y avait de cela quelques années.
Depuis, j’ai hérité de la direction de la collection « Horizons ésotéri- ques » aux éditions Dangles, collection fondée et dirigée jusqu’à sa mort par un autre de mes Frères, Jean-Pierre Bayard. L’occasion était trop belle. Philippe Lahille et Céline Labonté se sont laissés convaincre, de bonne grâce, d’éditer ces textes – qu’ils en soient ici profondément remerciés –, Journal d’un Orateur de Loge
assortis de commentaires qui puissent permettre, au lecteur non maçon, d’en comprendre le sens, l’usage et la portée.
Qu’il me soit permis d’apporter cette précision : la totalité des droits d’auteur liés à cet ouvrage sera offerte au « Tronc de la Veuve » de la Loge de notre Orateur anonyme. Un mot d’explication ? Le « Tronc de la Veuve » d’une Loge était jadis la caisse de solidarité de la Loge qui per- mettait de venir en aide aux veuves et orphelins laissés sur terre par un Frère trop tôt disparu. Depuis, ce « Tronc » est devenu, plus généralement, une caisse de bienfaisance. Chaque Loge en consacre les fonds à diverses œuvres de son choix, de façon toujours anonyme. Je me souviens par exemple du cas de cette famille, bien connue d’un Frère, dont l’enfant unique était atteint d’une grave maladie des yeux. Elle n’avait pas les moyens de payer le voyage en Californie vers ce chirurgien seul capable au monde de sauver la vue de la gamine. La Loge paya. Et cette famille modeste n’a toujours pas compris d’où était venu cet argent inespéré.
Qu’est-ce que l’Orateur d’une Loge ?
Une Loge maçonnique est composée, en général, d’une cinquantaine – parfois beaucoup plus dans les Loges anciennes, souvent moins dans les Loges jeunes ou lointaines – de Frères mutuellement cooptés. La vie d’une Loge est une vie de travail. Travail initiatique, le plus souvent. Comme la Franc-maçonnerie est construite sur trois degrés, respectivement celui d’Apprenti, celui de Compagnon et celui de Maître, il existe trois cérémonies de passage appelées, improprement, « initiations ». Pour être précis, il faudrait parler de « Réception » au grade d’Apprenti, de «Passage» au grade de Compagnon et d’«Élévation» au grade de Maître.
L’initiation, elle, n’est pas cérémonielle ou rituélique, mais spirituelle, continue et tout intérieure.
Chaque Loge est organisée par une équipe appelée Commission des officiers dignitaires (COD) dont les membres sont tous des Maîtres expérimentés. Cette commission est dirigée par le Vénérable Maître de la Loge (on dit, en abrégé, le Vénérable, voire, familièrement, le Véné) qui est élu par l’ensemble des Frères Maîtres de la Loge. Le Vénérable – dont le mandat s’étale sur un, deux ou trois ans, cela varie de Loge à Loge – se choisit une Commission et compose ainsi son équipe en fonction des affinités, des talents ou des projets qui sont les siens.
Quels sont les Officiers Dignitaires principaux qui entourent le Vénérable ?
– Le Vénérable ex-Maître et non, comme on le voit souvent, l’ex-Vénérable Maître, car cet Officier qui fut le prédécesseur du Vénérable en chaire, est toujours vénérable (on doit vénération à sa sagesse et à sa connaissance) mais il n’est plus le Maître de la Loge ;
– le Premier Surveillant est son bras droit ; il veille à l’instruction des Compagnons et à leur préparation en vue de l’élévation à la Maîtrise ;
– le Second Surveillant est son pendant, chargé de l’instruction des Apprentis ;
– le Maître des Cérémonies est le seul à n’avoir pas de position assise dans la Loge ; il est chargé de la régulation des rituels et de tous les mou- vements dans la Loge ; aucun déplacement ne peut avoir lieu dans la Loge sans être conduit par lui. Il veille donc au bon ordre des Tenues ;
– le Trésorier gère les recettes (les cotisations, les dons et les écots des agapes) et les dépenses (les frais du bâtiment et les repas, essentiellement) ;
– l’Élémosinaire s’occupe du Tronc de la Veuve dont il est seul, avec le Vénérable, à connaître l’état et les usages : « que ta main droite ne sache pas ce que donne ta main gauche » ;
– le Secrétaire est la mémoire de la Loge ; il est chargé des comptes rendus des Tenues, et de toutes les correspondances avec les Frères de la Loge ainsi qu’avec les autres Loges.
Et puis, il y a l’Orateur.
Son rôle est essentiel. Il est le gardien de la Loi, de l’orthopraxie, de la rigueur. Il porte autour du cou le soleil qui éclaire le monde. Il est cette Lumière, face au secrétaire qui, sous le signe de la lune, réfléchit la Lumière et la transforme en mémoire. Entre eux deux, trône le Vénérable Maître, sous l’étoile à cinq branches (le pentagramme) marquée, en son centre, de la lettre G.
L’Orateur, comme son nom l’indique, parle pour instruire la Loge. Il est le porteur de Sagesse, celui qui instruit les Apprentis et les Compagnons (on trouvera, ci-après, des exemplaires de ces « planches » d’instruction).
Il prend la parole quand bon lui semble, sans devoir en demander permission au Vénérable Maître – ainsi que doivent le faire tous les autres Frères.
On le comprend aisément, le rôle de l’Orateur est délicat et crucial. La pratique fait que, souvent, la fonction d’Orateur soit occupée par un Frère ayant été déjà élu Vénérable Maître antérieurement. Ce fut le cas de notre Orateur anonyme qui fut Vénérable une dizaine d’années avant d’être sol- licité pour occuper le poste de l’Orateur dont nous lirons les interventions.
Parmi les textes que l’on va lire, il en est de très courts : un aphorisme, une parole de sagesse, une apostrophe... Ces très courts textes sont prononcés par l’Orateur à la fin des réunions de la Loge, lorsque le Vénérable « ferme les travaux » et que, pour ce faire, il invite tous les Frères à se joindre à lui, au centre de la Loge, pour former la « Chaîne d’Union ». Il dit alors : « Frère Orateur, vous avez la parole » ; ensuite de quoi l’Orateur prononce le petit texte qu’il aura ciselé spécialement pour cette Tenue-là.
Le Frère Orateur a le lourd devoir de faire respecter scrupuleusement les constitutions et règlements maçonniques. Ceux de la Loge dont il a charge, mais aussi ceux de la Grande Loge nationale dont son atelier relève. La Maçonnerie est régulière – conforme à la Règle, donc – lorsqu’elle applique avec soin les textes qui unissent tous les francs-maçons de la terre. Ceux qui ne respectent pas ces textes, ne sont pas maçons, même lorsqu’ils se revendiquent tels dans ces obédiences dites irrégulières (pour en savoir plus, je renvoie à mon Philosophie maçonnique, paru en 2007 aux éditions Oxus).
L’Orateur doit veiller avec soin à ce que l’ensemble de toute la chaîne des textes réglementaires de la Franc-maçonnerie mondiale et locale soit mis en application sérieuse et rigoureuse, tant dans la lettre que, surtout, dans l’esprit.
Au niveau mondial, il y a le Aims and relationship of the Craft (« Finalités et modalités du Métier ») qui fut édicté en 1813 à Londres, lors du Act of Union qui réconcilia les « Moderns » et les « Ancients ». Ce document, depuis lors, est contresigné par toutes les Grandes Loges régulières du monde. Ce texte reprend les « Old Charges » qui explicitaient les devoirs des Maçons d’antan et dont la plus ancienne recension écrite est connue sous le nom de Manuscrit Regius et est datée de 1390.
Au niveau national – chaque État des États-Unis d’Amérique constitue, maçonniquement parlant, une Nation –, les Loges se regroupent au sein d’un organisme spécial nommé « Grande Loge ». Celle-ci se construit sur des « Grandes Constitutions » et des Règlements généraux qui règlent son fonctionnement ainsi que celui des Loges sous son obédience. Bien sûr, ces constitutions et règlements doivent être conçus en harmonie avec les textes de l’étage « du dessus », au niveau mondial.
Au niveau local, chaque Loge vit au rythme de ses règlements particuliers qui en règlent toutes les spécificités comme le nombre des Tenues (une par mois, en général), les modalités d’élection des officiers dignitaires, les critères d’admission d’un nouveau Frère et la procédure à y appliquer, etc.
Être l’Orateur d’une Loge, c’est en être à la fois la Lumière de Loi et la Lumière de Sagesse.
Une Lumière qui éclaire, qui illumine parfois, qui chasse l’ombre et la ténèbre. Le symbole est important : éclairer n’est ni imposer, ni décider. Ces arbitrages relèvent de chaque Frère s’ils sont personnels, et du Vénérable, s’ils sont communautaires. L’Orateur, lui, éclaire, met « en Lumière » ; il dévoile, en somme. Il est le Maître de l’Apocalypse puisque, en grec, « apocalypse » signifie « dévoilement ».
Tous les textes originaux – dont rien n’a été changé sauf quelques fautes d’orthographe – seront présentés en caractères droits alors que toutes mes annotations et commentaires apparaîtront en caractères italiques.
Marc Halévy
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