Journal d’un Orateur de Loge / Tenue du 08.06.1992 Installation



La Tenue dite d’Installation est une très belle cérémonie qui organise la descente de charge de l’ancienne commission des officiers dignitaires et la montée en charge de la nouvelle. Au beau mitan de cette cérémonie où les prestations de serment sont évidemment centrales, se place la plus mystérieuse de toutes les rituélies maçonniques : l’Installation du Vénérable Maître selon un rituel très secret et très ancien auquel seuls d’anciens Vénérables Maîtres dûment installés peuvent prendre part. Ce rite est pro- bablement le seul à n’avoir jamais été divulgué et édité. Il est pratiqué par cœur et il est rigoureusement interdit d’en transcrire les textes.

Lors de mon installation comme Vénérable Maître, j’ai été littéralement transfiguré par ce rituel d’une beauté et d’une portée, tant spirituelles qu’émotionnelles, inouïes (je l’ai vécu avec autant d’intensité que mon « Exaltation » au grade de l’Arche royale qui, pour une bonne part, fut à l’origine de mes études rabbiniques et de mes travaux sur la Kabbale).

Cette magnifique et charnelle installation au vénéralat n’est porteuse d’aucun « secret » particulier – une fois pour toutes, répétons-le, la Franc-maçonnerie n’a rien de secret et le seul secret initiatique qui soit, est celui de cette Lumière intime qui scintille parfois au fond de l’âme. Elle organise plutôt le transfert d’une responsabilité immense qui dépasse, et de loin, la seule responsabilité administrative d’une Loge. Il s’agit de cette responsabilité initiatique et du pouvoir y afférent, de « créer, constituer et recevoir » des Apprentis Maçons qui, à leur tour, deviendront des Maîtres de Loge afin que la chaîne d’union se perpétue « pour des siècles de siècles ».
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L’aphorisme qui suit clôtura la Tenue...
La foi est personnelle L’incertitude est universelle Tolérance, donc.
La Tolérance est un thème maçonnique récurrent... mais souvent mal compris. La tolérance n’est pas une fadeur ou un amorphisme de la pensée. Il ne s’agit jamais de « tolérer » l’intolérable. Il ne s’agit jamais de mollesse. La tolérance maçonnique touche à la liberté individuelle de penser et de parler, et donc à la liberté individuelle de contredire et de combattre. La tolérance, c’est écouter et entendre, mais ce n’est pas, pour autant, accepter. Bien des Maçons payèrent de leur vie leur « intolérance » à la botte nazie.

La tolérance, c’est reconnaître à l’autre le droit d’avoir tort et se recon- naître à soi le devoir de le lui dire.

On l’aura compris, c’est de tolérance spirituelle dont il est plus parti- culièrement question ici. Elle s’enracine dans l’opposition entre foi individuelle et incertitude universelle. La foi est un chemin. Il faut qu’il monte, c’est tout ce que l’on en sait. Qu’y aura-t-il au bout ? Mystère. Ce qui est sûr, c’est que, sans foi, point d’initiation. Pour monter vers la Lumière, il faut « y croire ». Sans cela, toutes ces rituélies, tous ces symboles devien- nent absurdes, ridicules, risibles : des mascarades vides ou folkloriques qui n’amuseraient que des esprits infantiles ou débiles...

... et le premier et primordial acte de Foi, sans lequel tout l’édifice maçonnique s’effondre, c’est celui affirmant l’existence du Grand Archi- tecte de l’Univers. Notre Orateur le rappelle, en fin de cette Tenue d’Ins- tallation, en relisant à haute voix le premier article des Constitutions de sa Grande Loge nationale.

Art. 1 des Constitutions de la G∴L∴R∴B∴ (Grande Loge Régulière de Belgique) :
« La Franc-maçonnerie affirme l’existence de Dieu, Être Suprême, qu’elle désigne sous le nom de Grand Architecte de l’Univers. Elle requiert de tous ses adeptes qu’ils admettent cette affirmation. Cette exigence est absolue et ne peut faire l’objet d’aucun compromis ni d’aucune restriction. La Franc-maçonnerie ne définit pas l’Être Suprême et laisse à chacun la liberté absolue de la concevoir. »

Voilà qui a de quoi lever définitivement toutes les inepties dont on a affublé la Franc-maçonnerie. La Maçonnerie pose un principe supérieur, transcendant, un principe qui dépasse l’homme, infiniment. Un principe métaphysique dont elle n’affirme rien, hors l’existence. Elle dit donc que l’univers n’est pas un chaos improbable né du pur hasard. Elle affirme un principe d’ordre, un principe de cohérence et de cohésion à l’œuvre dans l’univers.

Ce principe, fidèlement à sa phraséologie symbolique, elle l’iden- tifie à un architecte dont la mission première, évidemment, est de garantir la cohésion et la cohérence de l’édifice qui, sinon, s’effondrerait illico.

On a dit beaucoup de bêtises sur ce symbole grandiose du Grand Architecte de l’Univers. Certaines dissidences maçonniques absurdes ont même été jusqu’à le supprimer de ses pratiques. Absurde ! Comment croire en l’édification du monde sans un architecte pour en fonder le chantier.

L’essentiel est de bien relire le texte de cet article de Loi :
« (...) Cette exigence est absolue et ne peut faire l’objet d’aucun compromis ni d’aucune restriction. La Franc-maçonnerie ne définit pas l’Être Suprême et laisse à chacun la liberté absolue de la concevoir. »

Cela signifie que l’homme n’est ni le but, ni le centre, ni le sommet du monde, qu’il n’est pas la mesure de toute chose – et tant pis pour ceux qui confondent « Franc-maçonnerie » et « humanisme » –, qu’il n’est qu’une infime vaguelette à la surface de l’océan du réel. Ce qu’est le fondement ultime de ce « réel », libre à chacun d’aller à sa recherche et de tracer, ainsi, son chemin mystique. En quelque sorte, et sans forcer trop le trait, la Franc-maçonnerie pratique l’apophatisme. Théisme, déisme, polythéisme, panenthéisme, panthéisme... tout est là, tout est bien, tout est recevable, tout est tolérable. Seul l’athéisme n’a pas sa place. Il est respectable, évidemment, et libre à certains de s’y complaire, mais il est logiquement exclu de pouvoir y construire quelque démarche initiatique et spirituelle que ce soit. La foi athée en le hasard et au non-sens n’est en rien compatible avec la foi maçonnique en un principe d’ordre, de cohé- rence et de cohésion à l’œuvre dans l’univers. Dont acte !

 

Marc Halévy        
                                                                              

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