COMMENT VONT RÉAGIR LES QUELQUES 3 MILLIONS DE PERSONNES À L’APPROCHE DU DÉCONFINEMENT ?

 

Près de 3,5% de la population française présente, à des degrés plus ou moins importants, des aspects du trouble de la personnalité borderline. Si on exclut les personnes hospitalisées dans les services psychiatriques en raison de la gravité de leurs symptômes, bon nombre de patients qui étaient, avant l’annonce du confinement, médicalement suivis dans les CMP (centre médico-psychologiques) ou autres structures de soutien psychologique, ont pu obtenir, via leurs psychiatres, la reconduction de leur traitement et pourront sans doute reprendre le cours de leurs thérapies selon les disponibilités d’un planning qui était déjà bien chargé avant cette période de confinement. Dans les cabinets de ville, de nombreux psychologues, des psychothérapeutes et certains psychiatres ont pu heureusement maintenir une écoute active renforcée et poursuivre la psychothérapie d’une patientèle très en demande.
 

1- En plus de la peur de mourir, l’augmentation de la douleur de vivre
 

Si le confinement est souvent difficile à gérer pour les personnes borderline, surtout pour celles et ceux qui souffrent en plus de TDAH (trouble de l’attention et d’hyperactivité), il peut cependant procurer un faux sentiment de sécurité à celles et ceux qui ont peur du jugement et du regard des autres.          

Avec le confinement le temps semble comme suspendu. Le gel de la situation sociale et économique du pays constitue également un solide alibi pour toutes les formes de procrastination, la peur de l’engagement, autre spécificité du trouble de la personnalité borderline.

Pour celles et ceux qui vivent le confinement en couple, la situation n’est pas aussi agréable qu’on pourrait l’imaginer. En effet, les personnes borderline confondent souvent le sentiment d’amour avec une relation fusionnelle. Intense et totale sur tous les plans, au début, elle évolue ensuite dans des mises à l’épreuve de l’autre qui augmentent en fréquence et en intensité à mesure que la relation se prolonge. Dans d’autres cas, la routine ou le manque de stimulations externes peuvent être à l’origine d’une baisse de la libido et les disputes qui l’accompagnent.

Cette période favorise fortement l’émergence des comportements hétéro ou auto agressifs propres à de nombreux borderline. S’il est prouvé que, les violences intrafamiliales et conjugales auraient augmenté de plus de 35% depuis le début du confinement, qu’en est-il des tentatives de suicide ? Pour Pascale Dupas, présidente de l'association Suicide Écoute, « cette période de crise du coronavirus augmente un sentiment d’isolement qui peut être très dur à vivre pour les personnes qui présentent des risques suicidaires ». Pour les borderlines en particulier, le confinement est également responsable d’une réelle augmentation des addictions qui jouent un rôle d’anxiolytiques.

S’il n’est pas suffisamment encadré et régulé par les proches et les professionnels de santé, le déconfinement risque fort d’avoir de graves conséquences, et plus particulièrement pour cette population en manque de limites, adepte du « tout ou rien » pour laquelle « tout est noir ou tout est blanc ». La disparition subite des contraintes imposées pendant plusieurs semaines par les autorités pourrait provoquer une situation assimilable à la rupture d’une digue incapable de contenir les comportements irréfléchis, incontrôlés, et incontrôlables qui auraient des conséquences dévastatrices pour les personnes et pour les biens, tant sur le plan social que familial.


2- Soutenir les proches, accompagner les personnes en souffrance psychologique, victime du stress post-traumatique créé par le Covid-19
 

En présence d’une personne borderline ou pas, qui décompense, comme cela va certainement être le cas dans les prochains jours et les prochaines semaines, il est important d’adopter quelques bons réflexes :  

  • Face à la violence verbale ou physique, ne surtout pas surenchérir. Si c’est possible, encourager la personne à exprimer avec ses mots, son ressentiment, son angoisse, sa peur, en s’interdisant de la rassurer. On évitera des phrases comme « ce n’est pas grave, ne t’inquiètes pas, ça va aller, … ne te mets pas dans des états pareils… » qui vont avoir l’effet contraire à celui attendu.           
     
  • Si elle veut se réfugier dans sa chambre, dans la salle de bain ou simplement aller prendre l’air hors du logis, ne pas chercher à contrarier son désir d’isolement. Une fois la crise passée, la personne reviendra, calmée. A ce moment-là, évitez d’évoquer la peur ou la colère que vous avez pu ressentir.
     
  • Enfin, en cas de crise grave de décompensation, si vous jugez que la personne se met en danger ou devient menaçante envers autrui, prévenez les pompiers plutôt que la police.

Pendant la période qui suivra l’annonce du déconfinement, il est essentiel de prévoir un accompagnement psychologique adapté à chaque cas, à chaque situation. Cela ne concerne pas seulement les personnes borderline mais tout un chacun, quel que soit son âge, son sexe, sa situation professionnelle ou familiale. En effet, pendant cette période qui peut s’étendre sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, bon nombre de personnes présenteront des symptômes similaires à ceux d’un stress post traumatique. Et pour cause, tous les principaux repères de notre contexte familial, professionnel, social… auront été plus ou moins fortement ou violemment impactés, et parfois de façon irréversible.

Les deuils, les ruptures amoureuses, les divorces, les faillites, les pertes d’emploi, vont gravement perturber l’équilibre psychique d’une population déjà fragilisée par des semaines de stress causé par la peur de contracter le Covid-19.

Les psychiatres et les psychologues, mais aussi les économistes et les sociologues s’entendent pour dire qu’il est peu probable que la vie quotidienne reprenne son cours normal avant longtemps. Chacun doit donc s’y préparer dès à présent en faisant l’inventaire de toutes ses ressources immédiatement disponibles et de celles qu’il peut développer, à court et moyen terme, en cohérence avec son environnement, pour envisager de manière objective un renouveau heureux. Si elle n’est plus réservée en France aux seules personnes en souffrance, la psychothérapie est sans aucun doute le meilleur moyen d’y parvenir.
 

A PROPOS DE PIERRE NANTAS
Pierre Nantas est psychothérapeute diplômé de l’École parisienne de Gestalt. Président fondateur de l’Association pour la promotion et la formation à la psychothérapie des états limites (AFORPEL), il est spécialisé dans la psychothérapie du trouble de la personnalité borderline et des pathologies associées. Il exerce en cabinet à Paris et dans les Pays de la Loire. Il est l’auteur de deux ouvrages parus aux éditions de l’Harmattan :