Avis 142 du CCNE / Consentement et respect de la personne dans la pratique des examens gynécologiques et touchant à l’intimité


L’Avis 142 du CCNE présente les travaux répondant à une saisine de la Première ministre en juillet 2022 : une réflexion approfondie sur la notion de consentement dans le cadre des examens gynécologiques ou touchant à l’intimité. Il s’inscrit dans la continuité de l’Avis 136 de juillet 2021 sur « Evolution des enjeux éthiques relatifs au consentement dans le soin ».

Après un travail de redéfinition et de clarification des mots, des situations et des principes éthiques en jeu, cet avis expose les bénéfices d’une écoute réciproque des soignant.e.s et des patient.e.s au-delà de l’asymétrie de la consultation. La spécificité et la sensibilité particulière des examens qui touchent à l’intimité physique et psychique des personnes renforce la nécessité de bâtir un cadre respectueux et sécurisant pour toutes et tous.

Par ce texte, le CCNE appelle à la préservation une alliance thérapeutique et propose des recommandations s’articulant autour de l’expression et du respect du consentement et d’actions pour une considération mutuelle. En faveur d’une alliance profonde à même de renouer la pratique soignante à un art qu’elle ne devrait jamais cesser d’être.

Une démarche d’écoute inclusive et de clarification
Pendant huit mois, le groupe de travail du CCNE a auditionné plus de 30 personnes, incluant toutes les parties concernées : représentants de patient.e.s et usager.e.s, professionnel.le.s de santé, notamment gynécologues et sages-femmes, ainsi que des doyens et internes afin de recueillir leurs sentiments et doléances sur un sujet complexe et parfois sensible.

Dans son Avis 142, le CCNE prend soin de redéfinir les notions d’intimité, de pudeur et d’intégrité et de rappeler les différentes typologies d’«atteintes illégitimes et disproportionnées » (déjà évoquées dans le Rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes en 20181) que peuvent subir des patient.e.s dans le cadre d’examens gynécologiques. Si la grande majorité des actes évoqués ici concernent les femmes, les hommes sont aussi concernés par cette réflexion.

Toucher au corps toucher à l’intime
Une femme connaît en moyenne entre 50 et 80 consultations gynécologiques au cours de sa vie. La consultation médicale, asymétrique par nature, l’est encore davantage lorsqu’il s’agit d’explorer l’intimité. De plus, la pratique de gestes gynécologiques mobilise des dimensions complexes et fondamentales de l’être humain (son intimité, sa nudité, son identité de genre, sa sexualité).

Le CCNE rappelle que les examens touchant à l’intimité requièrent une attention redoublée de savoir-être, de précaution et de tact à chaque étape de la consultation. Ils nécessitent une écoute et une considération de ce que les patient.e.s ressentent et expriment, une prise en compte de la pudeur et du besoin d’intimité, et une attention à la douleur ou à l’inconfort que l’examen peut éventuellement occasionner, qu’ils soient exprimés ou non.

La juste distance dans les gestes et dans les mots
Les soignant.e.s sont, dans leur immense majorité, soucieux.ses du bien-être de leurs patient.e.s. Mais tous les professionnels auditionnés affirment que l’effort de pédagogie requiert du temps dont ils ne disposent pas suffisamment. Les contraintes auxquelles ils font face favorisent la mise en place d’automatismes faisant obstacle à une lecture fine des interactions et parfois des réticences. Ils et elles peuvent être amené.e.s à neutraliser leurs émotions, parfois au risque de la dépersonnalisation. Ainsi, les examens gynécologiques sont spécifiques par la difficulté à les subir d’une part, et la complexité à les réaliser d’autre part. La pertinence des examens doit d’ailleurs sans cesse être réinterrogée à la lumière des principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité. Le CCNE insiste sur l’indispensable effort de compréhension réciproque des patient.e.s et des soignant.e.s s’agissant des examens touchant à l’intimité.

Retrouver la confiance entre patient.e.s et soignant.e.s
Loin d’être une spécificité française, la discussion sur les conditions dans lesquelles sont réalisés les examens touchant à l’intimité - et sur les modalités de recueil du consentement dans ce contexte - a cours dans plusieurs pays actuellement. Ailleurs aussi, les plaintes de certaines patientes à l’encontre de praticien.ne. s - notamment pour manque d’explication des gestes et de leur effets ou pour absence de consentement - sont sources de tensions et d’une altération de la confiance entre patient.es et soignant.es.

En France, le manque de données statistiques fiables ne permet cependant pas d’évaluer de façon globale le vécu des femmes et des hommes, ni les manquements au respect de l’intégrité de la personne dans ce cadre2.

Risques individuels ou collectifs et bénéfices d’une alliance dans le soin
Le CCNE détaille les risques majeurs liés à une altération de la confiance entre patient.e.s et soignant.e.s : risque d’une désaffection de certaines spécialités médicales sous l’effet d’un opprobre collectif et d’atteintes ciblées sur les réseaux sociaux ; risque d’une évolution des pratiques médicales non conforme aux besoins réels des patient.e.s. ; et bien sûr, risque d’une perte de chance pour les patient.e.s. Le renoncement à la consultation ou le refus des examens, par peur, appréhension ou méfiance, peut engendrer une sous-évaluation des risques et donc une perte de chance significative pour les patient.e.s (dans les cancers notamment).

A ces risques, le CCNE oppose les termes d’un contrat de confiance réciproque, une « rencontre respectueuse » entre soignant.e.s et patient.e.s qui repose sur le principe du respect de la dignité de la personne et tend vers le même but : la guérison ou a minima l’amélioration de la qualité de vie.

L’exigence d’un consentement explicite, différencié et dynamique
Le respect de l’autonomie de la personne se traduit par la préservation de la liberté de consentir ou non, ou de consentir de façon progressive ou partielle. Dans son Avis 136 de juillet 20213 sur « L’évolution des enjeux éthiques relatifs au consentement dans le soin », le CCNE rappelle que le consentement est un processus dynamique et évolutif. L’Avis 142 s’inscrit dans cette ligne.
Contrairement à ce qui peut se passer dans certains pays, le CCNE ne considère pas pertinent le recueil du consentement de la patiente par l’écrit, ni de demander qu’un tiers soit systématiquement présent pendant l’examen. Il insiste en revanche sur le fait que le consentement ne doit plus être tacite ou présumé, mais explicite et différencié pour chaque examen pratiqué durant une consultation.

Dans ce cadre, le CCNE estime que des précautions supplémentaires doivent être prises lorsque des élèves ou des étudiants réalisent ou assistent à des examens touchant à l’intimité, et dans le cas d’un.e patient.e. en situation de particulière vulnérabilité : mineur.e, personne en situation de handicap, de détresse psychique, de fragilité cognitive, ou victime de violences.

Considération mutuelle et démocratie sanitaire
L’immense majorité des soignant.e.s respecte la souveraineté des patient.e.s et met tout en œuvre pour une prise en charge bienveillante et professionnelle. Leur engagement en faveur de l’optimisation de la qualité de la relation de soin et de l’abandon des pratiques inadéquates est réel. Les sociétés savantes se mobilisent pour rédiger des chartes et des recommandations de bonnes pratiques.

La parole des patient.e.s doit quant à elle être accueillie sans suspicion, sans minimisation, sans jugement et dans le respect de la différence, de l’altérité et de la subjectivité. Le Comité estime également fondamental que les doléances, les plaintes et les réclamations des patient.e.s reçoivent l’attention requise et fassent l’objet d’un traitement adéquat.

Parce que la démocratie participative en santé est un levier important pour renforcer la confiance, le CCNE recommande que des patient.e. s puissent intervenir dans la formation des professionnel.le.s et que les chartes et recommandations de bonne pratique soient co-construites par les organisations professionnelles et les associations de patient.e.s.

Interroger et compléter le cadre de la relation pour changer le modèle médical
Au-delà du cadre juridique, le CCNE souligne la nécessité de bâtir un cadre éthique qui soit respectueux et sécurisant à la fois pour les patient.e.s et pour les soignant.e.s. Afin d’accompagner la mue d’un modèle médical autrefois paternaliste en un modèle informatif voire interprétatif et délibératif, le CCNE publie des recommandations concrètes à destination de toutes les parties qui ont été entendues dans cette réflexion.

Deux recommandations spécifiques à l’égard des autorités
- Le ministère de la Santé et de la Prévention doit veiller à ce que les modalités organisationnelles du soin permettent aux examens de se dérouler dans de bonnes conditions, notamment en ce qui concerne l’information et la mise en place d’un consentement revisité et adapté.

- Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et la Conférence des doyens de médecine doivent non seulement tenir davantage compte des enjeux de formation aux humanités et à l’éthique du soin mais aussi les renforcer dans la constitution des programmes d’enseignement de façon systématique.

Les principales recommandations de l’Avis 142
> Mettre en place, au sein de la consultation, un espace d’information sur le bien-fondé, le déroulement et les risques éventuels des examens touchant à l’intimité et recueillir le consentement explicite et différencié du patient ou de la patiente ; respecter son éventuel refus ;
> Renforcer la vigilance quant à la difficulté à subir des examens touchant à l’intimité pour les femmes victimes de violences sexuelles ;
> Améliorer et renforcer les dispositifs permettant aux personnes victimes ou témoins de violences ou de maltraitances par un.e professionnel.le de santé de s’adresser à des tiers de confiance de manière confidentielle ;
>Prévoir des aménagements spécifiques pour l’accueil en consultation gynécologique des personnes en situation de vulnérabilité (personnes en situation de précarité, de handicap, personnes migrantes, mineurs et jeunes adolescent(e)s, personnes âgées, patients souffrant de détresse psychologique, de troubles psychiques et/ou cognitifs...) ;
> Encourager dans la mesure du possible l’intervention de patient.e.s dans la formation des professionnels de santé pour aborder les enjeux multiples des examens touchant à l’intimité ;
> Systématiser et renforcer la sensibilisation aux humanités, à l’éthique et aux droits des patient.e.s dans la formation initiale des soignants ;
> Développer des enseignements spécifiques sur la réalisation des examens touchant à la sphère intime dans la formation des soignants ;
> Encourager et privilégier la co-construction de recommandations et chartes de bonnes pratiques par les organisations professionnel.le.s et les associations de patient.e.s.

Plus d'infos sur : www.ccne.fr


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1 Actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical : reconnaître et mettre fin à des violences longtemps ignorées, 2018.

2 En France, des questions sur les « violences gynécologiques » ont été intégrées à l’enquête « Contexte de la sexualité en France », menée conjointement par l’INSERM et l’INED, dont les premiers résultats seront disponibles début 2024.

3 Avis 136 CCNE, L’évolution des enjeux éthiques relatifs au consentement dans le soin. Avril 2021. Disponible à l’adresse suivante : https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021- 07/Avis%20136.pdf