ASSISES DE LA SANTE MENTALE : QUELLE PLACE POUR LES BORDERLINES ?

L’Association pour la Formation et la promotion du trouble état limite a été créée en novembre 2004.

 

Porté par Pierre Nantas et avec le soutien du Professeur Quentin Debray qui était alors chef des services psychiatriques de l’Hôpital Cochin et Corentin Celton, le projet de l’AFORPEL était de former et d’informer les professionnels de santé, médecins généralistes, psychologues et travailleurs sociaux aux spécificités du trouble de la personnalité borderline(état limite).

 

17 ans plus tard, cette association qui regroupe de nombreux professionnels de santé a réalisé des formations pour les médecins et les psychologues, organisé des colloques et des congrès pour les professionnels de santé et le grand public, animés par des spécialistes de ce trouble (psychiatres et psychologues). 

 

Comme l’écrit O.Véran « loin d’être une fatalité, les troubles psychiques se diagnostiquent et se soignent de mieux en mieux… » à quoi nous ajoutons : sous réserve qu’ils soient connus et reconnus par les spécialistes en charge du diagnostic et des traitements adaptés.

Dans cette mouvance, Manon Beaudoin et Pierre Nantas ont écrit  un livre qui vient de paraître aux éditions Ellipses : « Faire face au trouble de la personnalité borderline » pour faire connaître ce troublequi est encore aujourd’hui, trop souvent confondu avec les troubles bipolaires.

Une situation qui ne cesse de s’aggraver.

Selon les spécialistes de la Santé mentale, 3,5% et 5,% de la population française souffrirait à différents degrés de gravité du trouble de la personnalité borderline, et essentiellement la population des jeunes entre 16 et 25 ans. Selon les derniers résultats de l'enquête CoviPrev publiés le 17 septembre 2021 environ 15 % de ces jeunes ont souffert d’un épisode dépressif caractérisé, soit 5 points de plus qu’avant l’épidémie et le suicide est la deuxième cause de mortalité entre 10 et 25 ans.

Comme nous l’avons constaté depuis le premier confinement, la santé mentale de notre patientèle a été très fortement impactée par les différentes mesures prises pendant la crise sanitaire. La hausse des états dépressifs, s’est accompagnée d’une augmentation des troubles des conduites alimentaires, de la consommation d’alcool et de drogues, (le cannabis en particulier) chez les préadolescents et chez les 18-24 ans. A cela s’est ajoutée une augmentation sensible des comportements autoagressifs (brûlures, scarifications et tentatives de suicide) pour les filles en particulier, et hétéro-agressifs pour les garçons (conduites à risques, violences sur autrui…etc).

« Jusqu'ici quand vous aviez des symptômes anxieux ou dépressifs, ou vous aviez de l’argent et vous pouviez payer de votre poche les consultations psychologiques, ou vous vous débrouillez tout seul », a justifié Olivier Véran sur France Inter mercredi 29 septembre. 

Las, cette situation risque de perdurer en dépit du plan de santé mentale voulu par E.Macron. 

Les spécificités du trouble de la personnalité borderline ne semblent pas avoir été prises en compte dans les dispositions des Assises de la Santé Mentale. 

Louable dans son intention, la proposition d’O.Véran (qui coûtera 50 millions d’euros en 2022, puis 100 millions les années suivantes), est peut-être susceptible d’engendrer un gain net « grâce à la baisse de prescriptions d’arrêts de travail notamment, ainsi qu’à celle de la prescription de psychotropes », maiselle  ne peut malheureusement pas s’appliquer aux personnes qui présentent les symptômes du trouble de la personnalité borderline. Voici pourquoi :

1/ En premier lieu, dans son communiqué, O.Véran ne précise pas la nature des « troubles dépressifs et anxieux d’intensité légère à modérée » qui sont concernés par ce dispositif. Cette absence de précision quant aux cas concernés suscite des questionnements de la part des professionnels de santé mentale que sont les psychologues et les psychothérapeutes. 

  • Les personnes qui souffrent d’états dépressifs sévères ou de troubles anxieux invalidants comme c’est souvent le cas pour le trouble borderline, les victimes de violences conjugales, de harcèlement moral ou les personnes qui souffrent de SPT (stress post traumatique) par exemple, ne pourront pas bénéficier de cette mesure et devront être pris en charge par des psychiatres ou des psychologues spécialisés comme c’est le cas actuellement

2/ Le Ministre précise quepour bénéficier de la prise en charge par l’assurance maladie, les patients devront être adressés par un médecin généraliste. Même si O.Véran  insiste sur le fait qu’ « Il s’agit non pas d’une prescription mais d'un adressage » la prescription du médecin sera de toute façon nécessaire pour que la consultation fasse l’objet d’un remboursement.

  • Selon ce dispositif « d’adressage », comment le médecin généraliste, qui n’a reçu aucune formation en psychopathologie pendant le cursus de ses études, peut- il déterminer en 20 minutes s’il est en présence d’un trouble « dépressif et/ou anxieux d’intensité légère à modérée », plutôt qu’à un trouble bipolaire, ou à une forme plus ou moins grave de schizophrénie, de paranoïa ou d’un trouble borderline, alors qu’il faut parfois deux ou trois heures de consultation pour permettre à un psychologue spécialement formé et expérimenté pour pouvoir déterminer le type de trouble dont souffre le patient ? 

  • De plus, en présence d’un patient souffrant de dépression, le médecin généraliste, qui ne dispose que d’une approche médicamenteuse (anxiolytiques, antidépresseurs). Il est généralement insuffisamment informé et formé pour proposer au patient la prise en charge psychothérapeutique adaptée à la dimension psychique de l’affection en présence(TCC, Gestalt, TCD…). Et même si c’était le cas, à quel psychologue ou psychothérapeute l’adresser.  

3/  La mesure introduit la prise en charge par l’Assurance maladie pour 10 séances de 30 minutes.

  • Tous les psychologues ou psychothérapeutes en libéral reconnaissent que la durée de 30 minutes imposée par ce dispositif est parfaitement irréaliste et semble témoigner, selon nous, d’une méconnaissance totale des problèmes de santé mentale de la part des rédacteurs de cette règlementation. 

  • Les professionnels sont unanimes pour affirmer qu’une séance de thérapie ne peut pas être inférieure à 45mn. En effet, il faut, à chaque fois, faire un point avec le patient sur l’avancée de sa thérapie, analyser les accidents de parcours…maintenir et développer l’alliance thérapeutique toujours fragile. Le Professeur Quentin Debray ne disait-il pas : « en psychothérapie, il faut toujours considérer que nous rencontrons le patient pour la première fois ! » 

  • En cas de crise émotionnelle (abréaction), la séance peut parfois nécessiter de prolonger la séance tant que le patient n’a pas retrouvé un calme relatif. Enfin, il est reconnu que le patient doit participer, même de façon symbolique, au coût de la cure psychothérapeutique
     

Depuis 15 ans, l’AFORPEL demeure le précurseur  dans les missions de formation et de promotion en santé mentale. 

1 / Pour que les troubles psychiques puissent effectivement « être diagnostiqués et soignés de mieux en mieux » comme le préconisent les Assises de la Santé Mentale, il serait judicieux que les politiques décident qu’une partie du budget prévu pour le projet soit allouée à des sessions de formation pour les médecins généralistes, au diagnostic différentiel des troubles de l’humeur et des troubles psychiatriques. 

1-1 / La formation des médecins généralistes et des psychologues

Contrairement à leurs confrères psychiatres, les médecins généralistes n’ont ni le temps ni les moyens de pouvoir  perfectionner leur pratique alors qu’ils sont en première ligne pour recueillir l’expression de la souffrance  psychologique de leur patientèle. Tout en les dédommageant du temps passé en formation, une aide financière leur permettrait d’avoir accès à des modules de formation consacrés au diagnostic des principaux troubles psychiques. 

Sans prétendre apporter des connaissances approfondies en psychopathologie, les programmes conçus par l’AFORPEL permettent aux professionnels de santé d’acquérir les connaissances nécessaires pour diagnostiquer et orienter les personnes qui souffrent du trouble de la personnalité borderline et des comorbidités associées.

2 / La pair-aidance est un métier émergent non encore officiellement reconnu sur lequel les médecins et psychologues formateurs l’AFORPEL travaillent depuis 2013. Elle repose sur l’entraide entre personnes souffrant ou ayant souffert d’une même maladie, somatique ou psychique. Elle fait également partie des recommandations des Assises de la Santé Mentale.

2-1 / Développement de la pair-aidance : Les groupes de paroles à destination des borderline et de leurs proches. 

Le partage du vécu de la maladie et du parcours du rétablissement constitue les principes fondamentaux de la pair-aidance également prônés par l’AFORPEL. Il peut prendre plusieurs formes : 

  • Animés par d’anciens patients spécialement formés à l’animation et à la régulation des groupes, les groupes de parole Borderline anonymes ont lieu régulièrement, en distanciel ou en présentiel depuis 2019. Au cours de ces rencontres, les personnes borderline expriment leurs ressentis, leurs souffrances mais aussi leurs avancées vers la guérison.

  • Les rencontres pour les proches des personnes borderline sont organisées depuis 2019. Elles favorisent les échanges et, via des modules de psychoéducation, permettent aux participants d’adopter les comportements adaptés à la situation.

 

 

 

Pierre NANTAS

 

Psychothérapeute, spécialiste des troubles de l’émotion.