Le sexe de la femme ou le palais des dames

Laissons donc parler le clitoris. J’aime bien mon nom : « clitoris », c’est doux comme un prénom. Ce mot dans la bouche, c’est déjà une caresse et à l’oreille, comme une petite musique. Entre deux i ensoleillés et un o tout rond et tout mouillé, « clitoris » c’est tout un programme.
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Laissons donc parler le clitoris. J’aime bien mon nom : « clitoris », c’est doux comme un prénom. Ce mot dans la bouche, c’est déjà une caresse et à l’oreille, comme une petite musique. Entre deux i ensoleillés et un o tout rond et tout mouillé, « clitoris » c’est tout un programme.

Un regret toutefois : que mon nom soit du genre masculin, alors que je suis la pointe de la féminité. Peut-être est-ce une trahison des misogynes. Autre- fois, j’étais sûrement du genre féminin, comme ce pauvre « amour » qui était féminin jusqu’au jour où, en 1718, une assemblée d’hommes – l’Académie française – a décrété qu’il serait masculin.

J’habite un splendide palais. Il me faut le décrire car même les femmes en ignorent les fastes. Il faut dire que ce palais, comme beaucoup de châteaux légendaires, se cache derrière une colline boisée, au creux d’un vallon où le regard de la femme ne peut accéder et où ses doigts n’osent aborder franchement, tant les tabous sont encore pesants. Ce manque de curiosité et ce manque d’audace sont aussi de l’ingratitude : femmes qui m’hébergez, ces lieux ne sont-ils pas à l’origine de vos plaisirs les plus intenses et de vos joies les plus éclatantes ? Et ces plaisirs et ces joies ne sont-ils pas les meilleurs remèdes de vos tristesses et de vos angoisses, en particulier de cette angoisse de vous savoir mortelles ? Oui, là est le soleil de vos jours, l’astre de vos vies. Aussi, ne vous contentez pas de ma description, allez explorer vous-mêmes ces trésors de vos yeux et de vos doigts. Adoptez une position confortable, allongée sur un lit ou accroupie. Disposez un miroir sur le lit ou sur le sol, de façon à ce qu’il tienne tout seul pour vous libérer les mains. Disposez un bon éclairage : un spot ou un rayon de soleil. Écartez les cuisses, posez une main de part et d’autre de la vulve, sur les grandes lèvres et tirez vers l’extérieur : l’intérieur de la vulve vous apparaît. Découvrez-la, admirez-la.

Quant aux hommes qui, trop souvent encore, s’engouffrent dans ce palais tels des Barbares, la main lourde ou le pénis impatient, qu’ils le visitent avec doigté et avec un regard d’esthète, la ferveur au cœur. N’est-ce pas aussi, Messieurs, le lieu de vos plus grands bonheurs ? Vous qui connaissez si bien la géographie de Mars où vous vous apprêtez à débarquer, apprenez donc à connaître aussi bien la topo- graphie de la vénusienne avec qui vous partagez vos nuits sur Terre.

Le jardin du palais
La colline boisée à l’aplomb de laquelle se cache le palais, c’est le mont de Vénus, si bien nommé : un coussinet de graisse posé sur l’os du pubis (pubes signifie poil) et destiné à amortir les heurts des bassins en folie.

En vérité, le bois est un taillis touffu et soyeux – d’aucuns y voient plutôt une toison bouclée – il est également destiné à amortir les heurts mais, en plus, il facilite l’exhalaison des arômes que distille le sexe. Sa forme est celle d’un triangle pointe en bas. Blason héraldique du corps féminin, ce delta renversé décore le ventre de la femme. Flèche téméraire, il indique la direction du paradis.

À y regarder de plus près, ce triangle à l’envers est fendu dans le bas d’une demi-bissectrice ; ce qui n’avait pas échappé à vos ancêtres préhistoriques qui, dès le paléolithique, dessinaient sur les parois des cavernes des triangles inversés et fendus. Projection de leur désir (comme l’étaient de leur faim les animaux tracés), ces dessins étaient aussi des ex-voto à la femme déesse qui leur procurait tant d’ivresse.

En les traçant, vos lointains aïeux ont inventé à la fois l’art et l’écriture qui sont, tous deux, les enfants du désir. L’art : après les triangles viendront les courbes et les silhouettes féminines qui partagent les murs des cavernes avec des profils d’animaux, preuve que la femme avait un rôle aussi fondamental que le gibier dont dépendait la survie de ces chasseurs et donc l’espèce humaine. L’écriture : le triangle pointe en bas, deviendra le symbole de la femme et engendrera l’alphabet cunéiforme.

Cuneus, le coin, donnera cunnus puis « con » ; à rapprocher du celte cona, du genre féminin, et de l’occitan choune. On le retrouve dans « cunnilingus ». Un jour « con » est devenu du genre masculin et s’est transformé en insulte misogyne. Mais on remarquera que « couilles » a donné « couillon ». La bêtise n’a pas de limites.

Maintenant, regardez de plus près la bissectrice du triangle. Qu’y voyez-vous ? Ô surprise, c’est moi, le clitoris, que vous apercevez : en haut est ma tige, dessous ma capuche, en bas mon gland. Quand la pilosité n’est pas trop fournie et que je suis particulièrement développé, je saute littéralement aux yeux. Ainsi moi, aussi sensible que le nerf d’une dent, moi, aussi chatouilleux qu’un détonateur, moi, toujours prêt à m’ébattre, je suis à portée de main, la main de la femme qui me porte ou celle de l’homme qui la convoite. Mais, il y a loin de la coupe aux doigts : bien que d’instinct toujours prêt à bondir, je me retiens car je ne suis jamais sûr d’atterrir au paradis, les doigts experts ne courent pas les monts de Vénus. Plutôt rester en place que de rester en rade.

Échauguette au sommet du château, ma vue porte tant sur son extérieur que sur son intérieur. Son extérieur est tout en courbes, on dirait un fruit : oblongue, ferme, charnue, c’est une mangue. Ce n’est pas le premier fruit qui contiendrait un palais, regardez la coupe d’un fruit de la passion. Et la noix ? Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix ? Bref, la vulve, comme vous l’appelez, on la verrait bien sur les étals des marchés de Jaffa.

La vallée des merveilles
Il ne suffit pas de dire « vulve, ouvre-toi ! » pour être exaucé. Même amoureuse et prête à bâiller de désir, la vulve ne montre son intérieur que si des doigts agréés, ceux de sa propriétaire ou ceux du mâle élu, la déplissent élégamment. Ce que découvrent la femme qui s’aime et l’amant qui l’aime est bien différent de ce que voient les médecins. Ceux-ci voient dans la vulve sa pure anatomie : de chaque côté les grandes lèvres, épais replis charnus, et les petites lèvres – ou nymphes –, fines lamelles flot- tantes étirées sur les grandes lèvres ; en avant est le clitoris et sa capuche ; au milieu le méat urinaire ; en arrière le vestibule vaginal, sorte d’entonnoir qui débouche sur le vagin, lequel est clos et son intérieur invisible par conséquent, plus postérieurement est le centre du périnée.
Bien entendu, les yeux étonnés de la femme qui s’admire et ceux émerveillés de l’homme qui l’adore découvrent bien autre chose : un spectacle véritablement fascinant. Les images se bousculent. C’est une vallée ; en son fond s’étire un filet d’eau, sur ses pentes ruissellent des nappes humides, sur les reliefs l’onde cascade, dans les fissures elle se glisse. C’est le désir qui fait naître ces flots et ces résurgences et répand la sève d’amour. Ces jeux d’eau avivent les superbes couleurs de la faille : c’est un camaïeu de rouges qui se décline du rose à l’écarlate en passant par le carmin, le garance, le vermillon, le grenat, l’incarnat. Incarnat : le mot est juste. Il parle de l’appétence quand elle se fait chair. Dieu quelle palette ! Et chaque partie a une nuance qui lui est propre. Moi, le clitoris, me caractérise un reflet qui brille sur la pointe de mon nez. Le magicien qui crée cette féerie de couleurs, c’est encore le désir. C’est lui qui engendre l’intumescence – la vasodilatation des corps érectiles – et enflamme les muqueuses qui en deviennent écarlates, brûlantes, gorgées.

La vulve est aussi un paysage sous-marin, comme il y en a dans les profondeurs de la mer Rouge : les nymphes y flottent comme les voiles des méduses, le vestibule vaginal bâille comme une bouche de daurade et moi, le clitoris, je suis telle une anémone de mer sur un banc de corail. « La femme (...) renversée dans ses enveloppes florales livre à la nuit de mer sa chair froissée de grande labiée » chantait Saint John Perse1.

Autre image qui surgit quand s’ouvre la vulve : celle d’un coquillage. Les grandes lèvres s’entrebâillent comme des valves et c’est bien l’intérieur d’une praire qui apparaît ou d’une pourpre ou d’un violet. Les parois sont nacrées et irisées et la chair, à l’instar de celle du fruit de mer, est arrondie, festonnée, ciselée, lamellée.

Toutes ces évocations sont inspirées par le fait que la vulve est un milieu humide. D’où vient cette humidité ? D’une part de grosses glandes disposées dans la vulve (les glandes de Bartholin) auxquelles s’associe une multitude de petites glandes dispersées sur toute la surface vulvaire, toutes glandes qui sécrètent un mucus fluide. D’autre part du vagin qui, lui, n’a pas de glande mais exsude un liquide aqueux qu’il soutire des vaisseaux de sa gaine vasculaire. S’ajoute à tout cela la sécrétion par le col utérin d’une glaire filante. Tous ces liquides ont pour but de lubrifier la surface des muqueuses sexuelles.

Autre image encore qui pourrait se présenter à vous : celle d’une corbeille de fruits. Moi – pardon de me citer en premier – je serais une baie, une groseille, une myrtille, une framboise, de ces fruits que les Romains consacraient à Vénus. Du reste, j’aime qu’on me grappille. Quant à la face intérieure des grandes lèvres, rebondies, joufflues, tendues, char- nues, gorgées de suc – en vérité de sang – et mûries par le désir, en un mot « intumescentes », elles pour- raient bien être une orange sanguine ou une prune ou une pêche. Dans la Chine ancienne, la pêche était le symbole de l’érotisme féminin.

Si vous chérissez les fleurs, peut-être que l’image d’un bouquet s’est imposée à vous. Il est vrai que la vulve avec ses sépales et ses pétales, ses corolles et ses boutons, ses couleurs vives ponctuées de rosée, est florifère. Les Chinois avaient fait de la pivoine et de la fleur du pêcher les symboles du sexe de la femme.

André Breton voyait dans le sexe de son aimée un glaïeul. Pour d’autres, ce sera un coquelicot, pour d’autres encore la secrète violette. Et toujours c’est le magique désir qui épanouit les calices et les colore et y dépose des perles de mouillure. Moi, le clitoris, je suis un bouton de rose – c’est ce que disent les poètes – et je rougis et je m’engorge quand on me flatte, quand on me hume....

 

Dr Gérard Leleu


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