Les idées reçues sur les fantasmes et la sexualité des femmes

’il est un fantasme régulièrement rapporté par les femmes au cours de leur psychanalyse, c’est celui de l’infidélité prochaine de leur amant ou mari.


Reprenons ces qualificatifs de la féminité, montrons leur dimension fantasmatique. Soulevons leurs contradictions, leurs incohérences : cette polyvalence des femmes, si fameuse qu’on pourrait la croire inscrite dans leurs gènes, est-elle si naturelle ? Les femmes naissent-elles avec cette aptitude que les hommes, définitivement, n’ont pas ? Ne serait-ce pas plutôt la continuation d’un modèle, hérité de nos mères ? Un modèle que les hommes, évidemment, se gardent bien de contester !

Car il y a peu, un temps qui nous semble lointain mais qui n’est que le temps de nos parents ou grands-parents, les femmes n’étaient pas destinées à « gagner leur vie ». Leur travail était soit dû à une nécessité économique qui n’engageait pas leur désir, soit un luxe pour une élite cultivée et affranchie des codes qui régissaient leur statut de femmes. En un temps record – à peine trente ans – ces positions ont complètement basculé. Le choix de ne pas travailler est devenu marginal, et se légitime souvent par l’impossibilité de faire autrement, à cause du coût et du temps que réclame l’éducation des enfants, et la nécessité de s’y consacrer « parce qu’on les a faits ».
Quelques-unes osent – elles sont rares – affirmer leur volonté de ne pas travailler et de jouir de cette possibilité. Les pudeurs ont changé de bord : aujourd’hui il faut « oser » ne pas vouloir travailler.

Les femmes ont donc investi en masse un domaine qui était réservé aux hommes, un univers qu’elles visitaient jusque-là pour des fonctions subalternes ou accessoires.

Avant cette conquête, les femmes régnaient sur les foyers. Elles étaient les maîtresses du lieu sacré qu’est la maison. Elles en organisaient le rythme, l’économie, elles en décidaient les règles, même si les hommes, lorsqu’ils rentraient, semblaient jouir de toutes les prérogatives.

Et l’on voit, dans les provinces qui valorisent encore le rôle de la femme au foyer, comme ces organisations apparemment machistes sont tenues de main de maître par les femmes. Elles confortent leurs hommes dans leur rôle de chef de famille – et le mot « chef » est à prendre à la lettre – et, sans faire de bruit, gèrent... tout. Y compris leurs hommes qu’elles nourrissent, habillent, rassurent ou influencent. Des hommes qu’elles laissent jouer leur partition virile qui soi-disant décide de tout. Les organisations dites matriarcales existent bel et bien, elles nous ont éduquées ou sont très près de nous.

Si peu « maîtresses » de maison
Les femmes d’aujourd’hui qui s’occupent de mille choses en même temps, sont les filles de ces mères, de ces patronnes de leur territoire familial. Elles ont été « dressées », à leur insu, pour tenir les mêmes fonctions. Elles n’ont pas été toujours consciemment entraînées à prendre ces relèves mais elles ont vu faire, elles se sont inspirées, pour se construire, du modèle incontournable qu’est une mère pour sa fille. Elles ont compris le pouvoir qu’avaient ces femmes : à tout faire, leurs époux sans elles ne pouvaient rien faire. Un pouvoir que, malgré leur accès au monde professionnel, malgré leurs nouvelles responsabilités, des femmes ne se résignent pas à abandonner. Quitte à être débordées.

Et pourquoi les hommes dérangeraient-ils cette situation ? Pourquoi réclameraient-il leur part de tâches – des tâches pour lesquelles ils ont rarement été sollicités – quand leur compagne d’emblée les assume ? Consentent-elles, la plupart des femmes, à abandonner leur suprématie de celle qui « heureusement est là pour s’occuper de tout, parce que, s’il fallait compter sur lui pour faire des courses ou du repassage... » ? De l’espace et du temps ont-t-ils été cédés à cet homme pour qu’il essaye, pour qu’il apprenne ? Lui a-t-on permis de cafouiller, de se tromper ? N’a-t-on pas critiqué son incompétence, en reprenant sur-le-champ la direction des opérations ? Des opérations que je mène à MA façon, qui forcément est la meilleure. Lui a-t-on donné l’occasion d’inventer la sienne, de façon ? Lui a-t-on permis de marcher sur nos plates-bandes ?

Et pourquoi, ces mêmes hommes, se battraient-ils contre cet ascendant que beaucoup de femmes, sans se l’avouer, ne veulent pas lâcher ? Ils auraient tort de ne pas en profiter... Quand ils entendent : « Laisse, tu ne sais pas faire », pourquoi insisteraient-ils ? Il est des corvées dont ils se passent volontiers. Et leur inaptitude, unanimement reconnue, est un argument imparable pour justifier leur inaction.

Et comme le « dérangement » de ces bonnes raisons – la femme multitâches et l’homme monotâche – nous paraît titanesque, alors autant les corroborer et faire comme si cela fonctionnait ainsi. Parce que c’est « naturel ».

Un sentiment de mal faire
Mais cela ne fonctionne pas si bien, pas si naturellement. Sur le divan, dans l’abandon des mots et de leur enchaînement, les femmes racontent les verres d’eau dans lesquels elles se noient, elles qui sont censées nager comme des poissons dans l’océan du quotidien. Elles racontent leur sentiment de mal faire, et de travers, de ne pas savoir gérer les demandes des uns et des autres, elles racontent ce qu’elles vivent comme de minuscules échecs qui se répètent, elles racontent les enfants pour lesquels, au fond, elles n’ont pas toujours les moyens ni l’envie d’être disponibles. Elles racontent les actes manqués, comme des fausses notes à leur rôle de femme hyperactive : le goûter d’anniversaire qu’elles ont bâclé, le four qu’elles n’ont pas allumé, la pièce de linge oubliée dans la machine à laver qui a déteint et bousillé les chemises du mari...

Des ratages qui nous mettent dans un désarroi disproportionné par rapport aux dégâts et qui nous soufflent que non, on ne peut pas tout mener de front et que surtout on en a marre d’essayer d’incarner un archétype idéal. Mais la colère ou le remord recouvrent ce murmure et on se rattrape vite aux branches de ces définitions de la femme. Aux fantasmes de ce qu’elle doit être.

Je rêve régulièrement qu’une catastrophe naturelle s’abat et détruit tout. J’ai un peu peur, mais au fond je suis contente. Et tout le monde meurt autour de moi, tout est cassé, il n’y a plus de ville, plus de paysages, plus rien. Et je suis seule. Ce qui me réveille c’est le plaisir que j’y prends. Et ce qui m’inquiète c’est que, sans dormir, sans faire exprès, j’aime bien me repasser le film.

La fidélité, paravent des pulsions
Leur fidélité qu’elles affirment inhérente à leur « nature », n’est- elle pas un rempart contre les pulsions qu’elles sentent en elles, ne les protège-t-elles pas de désirs potentiels qu’elles soupçonnent et qu’aucun discours ne leur reconnaît ? Les hommes, bien sûr, préfèrent cette répartition des rôles : à eux le droit à la gaudriole – un « droit » qu’ils ne vivent pas si confortablement – et l’assurance de la constance de leur légitime.

S’il est un fantasme régulièrement rapporté par les femmes au cours de leur psychanalyse, c’est celui de l’infidélité prochaine de leur amant ou mari. C’est un fantasme au sens où aucun fait ne le corrobore, et que ce scénario imaginaire, elles en sont sûres, ne tardera pas à devenir réalité. C’est un fantasme douloureux, terriblement angoissant. Elles se sentent trahies d’avance et méprisables de cette jalousie infondée qui empoisonne leur vie et celle de leur compagnon.

Cette terreur, si fréquente, d’être un jour trompée, se révèle souvent être la peur, obstinément refoulée, de pouvoir moi, qui suis femme, désirer un autre homme. Il est la peur, détournée en son inverse par ma censure, de ce que je me sens capable d’éprouver, et peut-être de faire. Cette peur que l’autre me trompe est ma peur, déguisée, que moi je le trompe.

Beaucoup de femmes s’obstinent à faire valoir leur nature entière et fidèle. Comme si cela les protégeait d’elles-mêmes et des surprises de l’existence. Elles affirment leur fidélité « naturelle » comme une incantation pour chasser les mauvais démons. La terreur d’être trahie par l’homme qu’elles aiment – parce qu’il est homme et qu’il le fera fatalement – est en fait leur angoisse de trahir leur soi-disant nature féminine. Car elles sentent le désir qui les habite et qui contredit les pseudos vérités sur leur féminité. Elles sentent qu’elles sont plus sexuées qu’elles ne le prétendent, qu’elles n’ont peut-être pas le contrôle de leurs pulsions, si raisonnables soi-disant. Un ressenti ravalé, refoulé, quelquefois totalement occulté.

Et la vie se charge souvent de mettre à mal ces systèmes laborieusement installés pour « réussir » sa féminité. Car les femmes, aussi, sont infidèles. Plus souvent qu’on le croit et qu’elles le disent. Celles qui ne revendiquent pas cette « nature » féminine vivent leurs infidélités au mieux des circonstances sans se charger du poids supplémentaire de n’être pas normales. Les autres, au contraire, compliquent une situation déjà complexe par leur culpabilité de ne pas faire ce qu’il faut, de ne pas être ce qu’elles devraient être, de n’être pas fidèles comme les femmes normalement le sont.

Je fais le constat, en écoutant des femmes et les secrets de leur vie, que les plus « tragiquement infidèles » – au sens où elles le vivent comme un drame, et qu’il met en péril leurs choix de vie – sont celles qui ne doutaient pas de leur nature intrinsèquement fidèle. Les femmes qui se devinent des pulsions, et peut-être des envies, un jour, d’aller butiner ailleurs, celles qui ignorent ce qu’elles pourraient vivre demain, celles-là sont plus fidèles à leur présent, à leur partenaire de maintenant. Un maintenant qui peut durer longtemps.

Et ce constat n’a rien d’étrange. L’autopersuasion est inefficace pour gérer la dimension inconsciente de nos fantasmes, et notre envie, quelquefois, de les mettre en acte.

Comme il tangue « l’instinct » maternel !
Et l’instinct maternel des femmes, comme il fait tanguer le divan !
On parle un peu, aujourd’hui, de cette possibilité qu’une femme ne soit pas forcément une mère « quelque part », qu’elle ait ou non des enfants. On en parle un peu, mais trop peu encore.
Les femmes qui se racontent, qu’elles soient mères ou qu’elles envisagent de l’être, questionnent cet instinct maternel qui tant de fois leur manque, et qui jamais n’assure tout à fait leur rôle de maman. Le fameux « baby-blues » n’est pas seulement dû au bouleversement physique et hormonal qui suit leur délivrance. N’est-il pas, aussi, le premier cri de désespoir de femmes à qui « l’instinct » supposé fait cruellement défaut ?

Elles s’étaient imaginé comblées par la venue de l’enfant, enfin confirmées dans leur féminité. Elles croyaient devenir sereines, invulnérables, définitivement consacrées femmes grâce à leur maternité. Et cela ne se passe pas comme elles l’avaient projeté. La consécration tant attendue de leur féminité n’a toujours pas eu lieu. Elles doutent, elles sont fatiguées, elles se demandent (horreur) si vraiment elles voulaient ce bébé. Et tout ce monde qui les conseille et leur dit comment faire ! Au lieu d’être adultes désormais – ce qu’elles croyaient en ayant enfanté – elles sont infantilisées, débordées par ces fausses notes au tableau idyllique des mères qu’elles s’imaginaient être. Elles ont envie d’être ailleurs, de faire autre chose, d’échapper au vampirisme de ce petit être et d’un entourage qui lui renvoie l’image d’une femme forcément comblée.

Mais comment avouer qu’elle ne l’est pas, comblée ? Que lui répond- on quand elle ose – à peine et en passant – parler de ses manques et de ses trop-pleins ? Que cela va passer, qu’elle est fatiguée, qu’elle aura tant de joies...

On permet à l’homme les crises de paternité, on tolère sa panique et ses reculs devant la responsabilité d’être père. On les permet si peu aux femmes, qui les vivent si souvent, chez qui « l’instinct » maternel a tant de ratés.
Quant à leur sixième sens, que l’on appelle aussi leur intuition féminine, leur intelligence, leur réceptivité, les femmes s’en félicitent d’autant plus bruyamment qu’elles en doutent. Plus elles le clament, moins elles sont sûres d’être si perspicaces. Cette qualité est aussi peu certaine que l’est la supériorité virile, quand les hommes la revendiquent. Et ces valeurs ont ceci de commun : elles n’existent que par comparaison à l’autre et à sa prétendue infériorité.

Il y a donc une aspiration, chez les femmes qui se réfèrent à leur intuition féminine, à prouver leur ascendant sur les hommes. Elles entretiennent cette aura d’un savoir mystérieux, particulier, à la porte duquel ils resteraient. Mais sorties des conversations amicales ou théoriques, lorsque ces femmes s’abandonnent et disent tout ce qui leur passe par la tête, cette conviction de leur supériorité se dégonfle.

Car si elles savaient si bien, si elles comprenaient aussi vite, si elles décryptaient aussi sûrement les non-dits de l’autre, elles ne seraient pas aussi inquiètes de ce que l’autre dit ou ne dit pas, de ce qu’il fait ou ne fait pas. Malgré leur « don » – pour celles qui se l’approprient – elles hésitent, elles sont maladroites, elles disent ou font ce qu’il ne faut pas, au moment où il ne fallait pas. Elles font des bourdes énormes, des gaffes irrattrapables. Tout simplement elles ne savent pas, ne sont pas sûres d’avoir compris l’autre et ses attentes, d’avoir saisi ses demandes. Leur sixième sens est en rade dans les moments importants de leur existence. Une occasion supplémentaire pour elles de mettre en doute leur normalité, de se sentir exclues du cercle des femmes.

La cacophonie des modèles sexuels
Revenons à la sexualité féminine, comme nous le ferons tout au long de ce livre.

Il est un argument ancien, encore répandu, qui ramène les différences sexuelles entre les hommes et les femmes à une différence de système : davantage d’automatisme chez les hommes, moins de besoins chez les femmes. Cet argument se voit supplanté peu à peu par celui d’une sexualité, chez les femmes, plus délicate, plus compliquée. On ne déroge pas à l’idée que, pour les hommes, c’est plus fréquent et plus facile, voire mécanique. Ce que contredit la réalité de leur sexualité, qui n’a rien de si simple, avec laquelle ils ne sont pas si à l’aise. L’extraordinaire succès du Viagra l’a claironné.

Aux femmes, depuis peu, on reconnaît des désirs, une aspiration à jouir de leur corps. Les femmes seraient, elles aussi, gourmandes, voire « consommatrices ». Elles seraient, elles aussi, traversées d’intentions salaces, d’images peu convenables. Elles que « ça » n’intéressait pas, ont aujourd’hui des fantasmes. Et si elles n’en ont pas, c’est qu’elles ont un problème, qu’elles ne sont pas normales.

En même temps, les femmes ont à gérer un désir qui est dit chaotique, capricieux, un désir en panne à la moindre contrariété. Un désir sensible à tous les changements. Depuis que leur sexualité est débattue, l’accent est mis sur sa fragilité, sur ses difficultés, sur ses frigidités. Et ces obstacles, propres à la sexualité des femmes, sont considérés comme inéluctables. Si on vante depuis peu l’importance de la jouissance pour les femmes, on leur assigne une libido fatalement compliquée, et qui souvent leur fait défaut.

Et l’on en revient, sournoisement, aux bons vieux arguments : elles n’ont pas les mêmes besoins qu’un homme, elles vivent toutes des baisses de désir, et c’est normal.

D’où cet inextricable conclusion : les femmes n’aiment pas trop le sexe, mais en fait elles aiment beaucoup ça, et pour être femmes il faut qu’elles ne pensent qu’à ça, mais quand elles font l’amour ça ne marche pas si bien que cela.

À cette cacophonie intime, viennent s’ajouter les discours de notre société qui, même s’ils font la part de plus en plus belle aux femmes et à leur sexualité, à leurs désirs, à leurs fantasmes, sont encore lourds de préconçus et de réticences quant à leurs possibilités érotiques. Ce qui rajoute encore à la confusion.

La fidélité, par exemple, sera évoquée comme naturelle dans un article, pour être contestée dans une émission de télé, ou considérée comme une mode déjà passée par la bouche d’un éminent penseur. Elles sont dites femmes de ne pas dissocier leur corps de leur âme, puis de ne pas mélanger les affaires du cœur et celles du sexe, la seconde d’après. Les affranchies du sexe sont à l’honneur, au sens où elles sont libres et audacieuses, et qu’elles font ce qu’elles veulent. Mais elles ne restent pas longtemps sur leur piédestal. On les accuse en même temps de se comporter « virilement » et de ne pas assumer leur féminité. Puisque, être femme, ce n’est pas avoir un désir prolixe et volage.
Je suis une prostituée et je tapine dans la rue. Mon mec me regarde. Je n’ai pas le choix des clients : ils sont moches, vieux, sales... Je les prends tous.

Accablées par ces sommations, les femmes portent leur « nature » comme une somme de vérités angoissantes et incohérentes. Angoissantes car aucune de ces vérités ne résiste à leur vécu, car aucune ne leur colle à la peau comme un vêtement parfait.

Cette nature, à laquelle elles tiennent, qui est censée éclairer leurs choix, leurs façons de vivre et d’aimer, les perd davantage. J’entends comme le mystère féminin les déroute, comme il les tourmente. Elles sont censées le percer mais ne ressentent pas ce qu’elles devraient ressentir.

Et c’est quelquefois ce qui les amène chez moi. Elles viennent pour être enfin des femmes normales. Sauf qu’elles emprunteront d’autres voies que celles de cette dite normalité. Des voies où la voix de leur désir, où les échos de leurs fantasmes guideront leurs choix. Sans qu’elles en souffrent, sans qu’elles en payent le prix.

 

Sophie Cadalen

 

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Reves de femmes