Des arômes qu’il vaut mieux ne pas trop inhaler


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Certains arômes utilisés dans des processus de fabrication de produits céréaliers pour donner un goût « beurre » et « crème » peuvent entraîner chez les professionnels qui les inhalent au long cours des maladies respiratoires sévères. Des mesures de prévention et un suivi respiratoire des salariés exposés sont conseillés, ainsi que les entreprises françaises potentiellement concernées, ainsi que leurs services de santé au travail, sont appelés à la vigilance.

Le signal
En France, un centre de consultation de pathologies professionnelles (CCPP) et un service de santé au travail (SST) ont été amenés à investiguer conjointement ces dernières an- nées quelques cas groupés de troubles respiratoires de type bronchiolaires survenant dans une usine agroalimentaire de production de produits céréaliers sucrés. Ce signal a été sou- mis au Groupe de travail Emergence du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) animé par l’Anses.

Ce que l’on sait
Aux États-Unis, des cas groupés de bronchiolites oblitérantes sévères, se traduisant par une insuffisance respiratoire irréversible d’évolution progressive, ont été attribués à l’inhalation, par des professionnels de l’agroalimentaire, d’arômes (« flavourings ») à la saveur et à l’odeur de beurre et de crème, initialement réputés inoffensifs. En particulier, huit cas survenus au sein d’une même entreprise de fabrication de popcorn de 130 salariés ont été décrits, permettant d’initier les premières véritables investigations en 2002 [1]. Quatre de ces cas présentaient des formes sévères et étaient en attente de greffe pulmonaire.

Du fait des circonstances de survenue, ces affections professionnelles ont été décrites initialement sous le nom de « maladie respiratoire des travailleurs du popcorn » (en anglais « popcorn workers lung diseases » ou plus simplement encore « popcorn lung », « poumon du popcorn »), puis à plus juste titre désormais, « maladie des voies respiratoires liée aux arômes » (« Flavoring-Induced Airways Disease »), compte tenu de la multiplicité des circonstances d’exposition possible à ces arômes.

Les arômes incriminés, de type alphadicétones (ou alpha-dicarbonyles), sont le diacétyle (ou 2,3-butanedione) principalement mais aussi la 2,3-pentanedione, initialement utilisée comme substitut du diacétyle, mais au final présentant une toxicité similaire à ce dernier.

Le mécanisme d’action de ces substances sur les bronchioles a depuis été bien élucidé. L’Institut national américain de santé au travail (NIOSH) a publié en 2016 un imposant document de référence sur le sujet, faisant une synthèse exhaustive des connaissances sur les dangers, expositions et risques, et fixant des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) [2].

Depuis, de nouvelles publications corroborent régulièrement la toxicité de ces arômes [3], des cas similaires d’origine professionnelle ont été décrits aux Pays-Bas et en Angleterre, ainsi que quelques cas domestiques chez des individus consommant quotidiennement des popcorns préparés au micro- onde [4]. Il est ensuite apparu que ces arômes pouvaient être présents dans d’autres contextes professionnels, par exemple dans la fabrication de gâteaux secs, de céréales, de chocolat et de café, voire être générés par certains processus industriels comme la torréfaction du café [5, 7]. De nouveaux cas ont été décrits dans ces contextes professionnels [6].

L’investigation et la gestion
Au moment où le signal a été présenté au groupe de travail Emergence, aucun cas grave de bronchiolite oblitérante lié à ces arômes n’avait été rapporté en France. Toutefois, les cas présentés questionnaient sur l’effet que peuvent avoir ces arômes à des concentrations beaucoup plus faibles que celles constatées dans les cas index publiés aux États-Unis.

Dans le cadre de l’investigation de ces cas groupés, un suivi longitudinal rétrospectif de 200 salariés issus des ateliers concernés, et de leurs explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) a été réalisé, intégrant les informations sur la consommation tabagique. Concernant les facteurs professionnels associés aux résultats des EFR, le fait de travailler dans un secteur exposé uniquement aux matières premières (céréales, farines, et leurs contaminants biologiques) était associé à un excès de troubles ventilatoires obstructifs des grosses bronches, comme cela est classiquement observé dans ce type d’exposition. Cependant, le fait de travailler dans le secteur de la fabrication des produits élaborés était lui associé à un excès de risque d’atteinte bronchiolaire comme vu avec les arômes cités plus haut, le tout après prise en compte de la consommation de tabac. Compte tenu de la connaissance de ce risque potentiel liés aux arômes, la com- position des ingrédients entrant dans la recette des produits fabriqués dans ces ateliers a été analysée et des mesures dans l’air des ateliers réalisées. Ces dernières ont mis en évidence la présence de diacétyle, pourtant non mentionné dans les fiches de sécurité des produits (FDS) qui détaillent les substances présentes dans un produit et leur danger, et de 2,3-pentanedione, signalée dans une seule FDS.

Les concentrations mesurées en sortie de four étaient parfois supérieures à ce que prévoit la réglementation : respective- ment 3% et 15% de la VLEP européenne (2017) et française1 (octobre 2019).
Ces arômes ont aussi été détectés mais en plus faible concentration en salle de contrôle entraînant une exposition des opérateurs moins intense mais de plus longue durée. Ceci semble corroborer les résultats d’une étude transversale, publiée en 2014, portant sur 367 salariés d’une usine fabriquant des arômes et ayant substitué de la 2,3-pentanedione au diacétyle [9].

Les résultats montraient un doublement des symptômes respiratoires et une baisse de la fonction respiratoire chez les participants ayant passé au moins une heure par jour danses zones de production au sein desquelles le niveau d’exposition était deux fois supérieur aux valeurs de référence américaines.

Suite à ces résultats, des actions de prévention ont été me- nées concernant la ventilation et la protection des salariés lors des interventions sur la ligne de production.

Les leçons à tirer de ce signal
Au-delà des tableaux sévères dans la littérature pour des expositions élevées, les effets sur le long terme de l’inhalation prolongée de faibles concentrations de ces arômes ne sont à ce jour pas totalement connus.

La situation rapportée ici illustre plusieurs éléments clés de la détection et de l’investigation de nouvelles pathologies professionnelles. Tout d’abord, elle montre que dans le cadre d’une maladie lentement évolutive, le lien avec le travail est souvent ignoré car les plaintes des patients ne s’améliorent pas durant les jours de repos hebdomadaires ni même les congés (contrairement à des maladies allergiques par exemple). Il est donc nécessaire de s’appuyer sur une analyse collective des paramètres de fonction respiratoires pour se rendre compte d’une altération de ces derniers chez certains sous-groupes de travailleurs. Il est ensuite capital de corréler ces résultats avec des mesures faites aux différents postes de travail : concentrations de substances potentiellement incri- minées dans l’air et dans les composants manipulés, même si les FDS ne les mentionnent pas. Cette situation illustre égale- ment l’importance de la veille sur les risques toxiques émer- gents décrits au niveau international afin d’être en mesure de les identifier au sein des entreprises.

Pour l’investigation de ce type de situations, la collaboration des SST et des CCPP constitue une vraie plus-value ; dans le cas présent elle a porté sur les 3 points précédents.

Enfin, rappelons que lorsque des agrégats de pathologies identiques sont observés, les médecins du travail, em- ployeurs, représentants du personnel ou employés peuvent saisir les Groupes d’Alertes en Santé au Travail (GAST), pilotés par Santé Publique France, qui feront également appel aux compétences du ou des CCPP de la région concernée.

Par ailleurs, un signal de sévérité importante attribuable à une exposition en contexte professionnel, (dans le cas pré- sent, un procédé de traitement à haute température d’arômes), incite à s’interroger sur l’existence de situations analogues dans d’autres usages. Par exemple, les produits du tabac et les e-liquides destinés au vapotage contiennent fréquemment des arômes et sont portés en température dans le processus de consommation. Dans les dernières années, des publications ont traité de ce sujet. Des chercheurs ont identifié qu’un composé des e-liquides, chimiquement proche du diacétyle (la 2,3-butanolone ou acetoïne), se dégrade en diacétyle au sein de la cartouche dont le contenu sera ensuite inhalé [5,8].
Est-il sûr d’employer de tels ingrédients dans ces produits du tabac et du vapotage ? Le diacétyle ne fait pas partie actuellement de la liste des ingrédients interdits dans les e-liquides. Il est de la responsabilité des metteurs en marché de s’assurer que les ingrédients qu’ils utilisent ne présentent pas de risques pour la santé humaine. L’Agence examinera, dans le cadre de sa feuille de route sur les substances d’intérêts, la prise en compte de ce retour d’expérience issu d’un contexte différent des produits du tabac et du vapotage

 

Vincent BONNETERRE
https://vigilanses.anses.fr/

Références bibliographiques
[1] Kreiss K. Recognizing occupational effects of diacetyl: What can we learn from this history? Toxicology. 2017 Aug 1;388:48-54.
[2] NIOSH. Criteria for a Recommended Standard: Occupa- tional Exposure to Diacetyl and 2,3-Pentanedione. 2016 https://www.cdc.gov/niosh/docs/2016-111/
[3] Brass DM, Palmer SM. Models of toxicity of diacetyl and alternative diones. Toxicology. 2017 Aug 1;388:15-20. Hubbs AF. Flavorings-Related Lung Disease: A Brief Review and New Mechanistic Data. Toxicol Pathol. 2019 Dec;4 (8):1012-1026. doi: 10.1177/0192623319879906. Epub 2019 Oct 23.Egilman DS, Schilling JH. Bronchiolitis obliter- ans and consumer exposure to butter-flavored microwave popcorn: a case series. Int J Occup Environ Health. 2012 Jan-Mar;18(1):29-42
[4] Holden VK1, Hines SE. Update on flavoring-induced lung disease. Curr Opin Pulm Med. 2016 Mar;22(2):158-64. US Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Obliter- ative bronchiolitis in workers in a coffee-processing facility

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter :
Groupes d’Alerte en Santé au Travail : https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-liees-au-travail/ alertes-en-sante-travail-le-dispositif-gast
Valeurs limites d’expositions professionnelles (VLEP) concernant le diacétyle
 France. Arrêté du 27/09/2019 fixant des valeurs limites d’exposition professionnelle indicatives pour certains agents chimiques. La VLEP du diacétyle 8h est fixée à 0.07 mg/m3 (soit 0.02 ppm) ; la VLEP 15 mn est fixée à 0.36 mg/m3 soit 0.1 ppm
 Europe. Directive UE 2017/64, VLEP 8h fixée à 0.02 ppm soit 20 ppb
 US-NIOSH 2016 VLEP 8h (TWA 8h) fixée à 5 ppb [cette valeur limite NIOSH est fondée sur des données humaines et correspondant à un excès de risque de bronchiolite estimé à 1/1000 si exposition vie entière au diacétyle (8h/j, 40h/semaine, durant 45 ans) ; Park JOEM 2018.
Valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) concernant la 2,3-pentanedione
 valeur MAK (Allemagne) fixée à 0.02 ppm, soit 20 ppb
 US-NIOSH (2016) une TWA à 5 ppb comme pour le diacétyle était souhaitée, mais elle a été ramenée à 9.3 ppb du fait de la limite de quantification