L’abeille vole de fleur en fleur et aspire le nectar avec sa trompe, remplissant son jabot avant de revenir à la ruche. Mais le nectar n’est pas le miel. Le nectar est avant tout de l’eau sucrée. C’est donc l’abeille qui va véritablement fabriquer le miel, par une concentration et une transformation biochimique dont l’homme a depuis longtemps percé le secret. Le miel donne lieu à une certaine ambiguïté : Est- ce un produit végétal ? Est-ce un produit animal ? Quelle est l’importance réciproque du nectar et de l’abeille dans son élaboration ? Faut-il dire apis mellifera ou apis mellifica, littéralement Abeille qui transporte le miel ou Abeille qui fabrique le miel ? Franchement, il y a des deux : sans nectar il n’y aurait pas de miel, mais sans abeille non plus. Le miel est tout à la fois un produit végétal et animal. Les végétaliens proscrivent le miel comme tous les produits d’origine animale. Mais nous connaissons personnellement des magasins diététiques s’adressant exclusivement à des végétaliens qui vendent du miel « sous le manteau », reconnaissant ainsi implicitement la valeur alimentaire et thérapeutique d’un produit que leur éthique devrait leur interdire de proposer, au sens strict. Nous nous garderons bien de prendre parti, certains que nous sommes, de la richesse de cette complémentarité du végétal et de l’animal synthétisée par l’organisme de l’abeille, pour notre santé. Mais comment s’opère cette transformation ?
La concentration du nectar
L’appauvrissement du nectar en eau, et sa concentration en sucre qui va de pair, reposent sur le principe de la trophallaxie qui caractérise tous les insectes sociaux (les abeilles aussi bien que les fourmis...). La trophallaxie consiste à échanger de la nourriture. Lorsque la butineuse revient à la ruche, le jabot plein de nectar, elle régurgite le nectar qui est absorbé par une abeille restant à la ruche, laquelle remplit son propre jabot. La butineuse repart en quête d’une nouvelle récolte : ce qui se passe alors au sein de la ruche ne la concerne plus. L’abeille qui a recueilli le nectar de la butineuse régurgite à son tour le contenu de son jabot sur la langue d’une de ses sœurs, laquelle procédera de même... et ainsi de suite. Cette circulation du nectar d’abeille en abeille, merveilleuse illustration de la cohésion sociale de leur société, concentre peu à peu le nectar en éliminant l’eau. Au fur et à mesure que le sucre devient prépondérant, le nectar devient miel.
Ouvrons une parenthèse pour évoquer l’adaptation du tube digestif de l’abeille à cette concentration du nectar : la bouche de l’abeille se prolonge par l’œsophage qui ne débouche pas sur l’estomac, contrairement au tube digestif humain, mais sur une poche appelée jabot, fermée à l’amont par une valvule, véritable soupape autorisant ou condamnant le passage vers l’estomac. L’abeille peut donc à volonté faire progresser le nectar entre la bouche et le jabot, court-circuitant le reste de son tube digestif.
Mais, pendant cette succession d’absorptions et de régurgitations qui permettent la concentration du nectar, une véritable transformation s’opère sans laquelle le miel ne serait pas le miel mais simplement du nectar dont l’abeille aurait éliminé la plus grande partie de l’eau.
La transformation du nectar
Pendant la concentration, les abeilles incorporent au nectar des sécrétions de leurs glandes salivaires riches en ferments, en diastases qui vont transformer les polysaccharides du nectar en sucres simples, fructose et glucose. La principale de ces diastases est l’invertase. Ainsi, le produit fini (pour parler en termes « industriels ») sortant de « l’usine » abeille sera immédiatement assimilable par l’organisme de la personne qui le consommera. L’abeille nous donne un miel prédigéré.
Aux termes d’une concentration et d’une transformation conve- nables, le nectar, devenu miel, va être entreposé dans les alvéoles de la ruche où les abeilles vont « l’affiner » pour lui donner une forme achevée, définitive : c’est la maturation. Elle dure trois ou quatre jours, selon la chaleur qui règne au sein de la ruche. Les ouvrières déposent le miel dans les alvéoles et battent des ailes pour assurer une bonne ventilation de façon à éliminer encore un peu de l’eau en excès. C’est la concentration ultime, grâce à laquelle le miel ne contient plus qu’environ 20 % d’eau. La proportion inverse du nectar initial.
Ainsi « achevé », le miel, suffisamment riche en sucre, ne fermen- tera pas. L’abeille peut alors fermer l’alvéole. L’operculation conser- vera parfaitement le miel protégé par le bouchon de cire.
À chaque vol, la butineuse peut ramener jusqu’à 40 mg de nectar à la ruche. Or, pour fabriquer 1 kg de miel, les abeilles doivent effectuer 50 000 vols. Plusieurs milliers d’abeilles partent butiner en même temps lorsque les conditions sont favorables. Certains jours de miellées exceptionnelles, une ruche peut produire 6 kg de miel. La place arrive à manquer pour stocker le miel, et les abeilles investissent les cellules du couvain, ce qui implique un ralentissement de l’activité de la reine : c’est le blocage naturel de la ponte. Les apiculteurs peuvent l’éviter, avec les ruches à cadres mobiles, en posant des hausses en temps opportun.
Jean-luc Darrigol
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