103 ans avec un cerveau de 20 ans... c’est beau la vie



Rita Levi-Montalcini a aujourd’hui 103 ans. Elle est née le 22 avril 1909 à Turin dans le Piémont italien. Neurologue et prix Nobel de Médecine, elle est à ce jour de tous les prix Nobel, simultanément la lauréate vivante la plus âgée et celle ayant vécu le plus longtemps.

Voici une petite interview de Rita Levi-Montalcini réalisée le 22 décembre 2005.

- Comment célébrer vos 100 ans ?
Ah, je ne sais pas si je vivrai jusque-là et de plus, les célébrations ne me plaisent pas. Ce qui m’intéresse et me plaît, c’est ce que je fais chaque jour.

- Et que faites-vous ?
Je travaille à obtenir des bourses d’étude pour des fillettes africaines afin qu’elles étudient et se préparent à travailler pour l’avancement de leur pays. Je continue ma réflexion.

- Vous n’êtes pas à votre retraite ?
Jamais ! La retraite détruit le cerveau. Plusieurs personnes à la retraite abandonnent, cela tue le cerveau et rend malade.

- Comment fonctionne votre cerveau ?
Exactement comme à mes 20 ans. Je ne note aucune différence dans mes désirs ni dans mes capacités. Demain je participerai à un congrès médical.

- Mais n’y aurait-il pas quelque limite génétique ?
Non, mon cerveau aura bientôt un siècle..., mais il ne connaît pas la sénilité. Mon corps se ride, c’est inévitable, mais pas le cerveau.

- Comment cela se fait-il ?
Nous jouissons d’une grande plasticité neuronale : même si des neurones meurent, celles qui restent se réorganisent afin de maintenir les mêmes fonctions. Mais encore faut-il les stimuler.

- Aidez-moi à le faire.
Maintiens des désirs, active ton cerveau, fais-le fonctionner, ainsi il ne dégénérera jamais.

- Et je vivrai plus longtemps ?
Vous vivrez mieux les années que vous aurez à vivre, et c’est cela qui est intéressant. Le secret, c’est demeurer curieux, engagé et avoir des passions.

- La vôtre fut la recherche scientifique.
Oui, et je continue aussi passionnée.

- Vous avez découvert comment croissent et se renouvellent les cellules du système nerveux.
Oui, en 1942. J’ai appelé cette découverte : nerve growth factor (NGF, facteur de croissance nerveuse), et pendant presqu’un demi-siècle je fus interdite... jusqu’à ce que soit reconnue la validité de ma découverte. En 1986 je reçus pour cette découverte le prix Nobel.

- Comment une jeune fille italienne des années 1920 a-t-elle pu parvenir à être neuroscientifique ?
Depuis mon enfance je me suis dédiée à étudier. Mon père voulait que je fasse un bon mariage, que je sois une bonne épouse et une bonne mère... Mais j’ai refusé. Je me suis tenue devant lui et je lui ai dit que je voulais étudier.

- Quelle contrariété pour papa non ?
Oui, c’est que je ne me sentais pas heureuse enfant. Je me sentais un vilain petit canard, sotte et ne sachant faire que très peu de choses. Mes frères aînés étaient brillants et je me sentais tellement inférieure.

- Je vois que vous avez fait de cela un stimulant.
Oui, mais l’exemple du docteur Albert Schweitzer, qui était en Afrique pour pallier à la lèpre, m’a aussi stimulée. J’ai désiré aider ceux qui souffraient, c’était mon grand rêve.

- Vous l’avez réalisé... au moyen de la science. Et aujourd’hui aider les fillettes d’Afrique afin qu’elles étudient.
Nous luttons contre la maladie, mais tout peut s’améliorer si nous arrêtons l’oppression de la femme dans ces pays islamiques.

- La religion freine-t-elle le développement cognitif ? Le développement de la connaissance ?
Oui, la religion marginalise la femme face à l’homme, elle la met de côté quant au développement des connaissances.

- Existe-t-il une différence entre le cerveau d’un homme et celui d’une femme ? Seulement dans les fonctions cérébrales qui sont en relation aux émotions liées au système endocrinien. Mais quant aux fonctions cognitives, il n’y a aucune différence.

- Pourquoi n’y a-t-il encore que très peu de femmes scientifiques ?
Non, ce n’est pas ainsi ! Plusieurs découvertes scientifiques attribuées à des hommes furent en vérité l’œuvre de leurs sœurs, épouses ou filles.

- C’est vrai ?
On n’admettait pas l’intelligence féminine, on la laissait dans l’ombre. Heureusement, aujourd’hui, il y a plus de femmes que d’hommes dans l’investigation scientifique : les héritières d’Hypatia.

- La sage Alexandrine du IVe siècle.
Maintenant, nous ne terminerons plus assassinées dans la rue par les moines misogynes chrétiens, telle qu’elle le fut. Certainement, quelque chose s’est améliorée dans le monde.

Personne n’a essayé de vous assassiner...
Durant le fascisme, Mussolini voulu imiter Hitler dans la persécution juive... Je dus me cacher un temps. Mais je n’ai pas cessé mes recherches : j’ai monté mon laboratoire dans ma chambre à coucher... et c’est en ce temps que j’ai découvert l’apoptose, c’est-à- dire la mort programmée des cellules.

- Pourquoi y a-t-il un pourcentage si élevé chez les Juifs de scientifiques et d’intellectuels ?
L’exclusion a provoqué chez les juifs le travail intellectuel : on peut tout prohiber, mais non ce que tu penses. C’est certain qu’il y a plusieurs prix Nobel parmi les juifs.

- Comment vous expliquez-vous la folie nazie ?
Hitler et Mussolini surent parler aux foules, là c’est le cerveau émotionnel qui prédomine toujours sur le cerveau néocortical, sur l’intellectuel. Ils manipulèrent les émotions, non la raison.

- Est-ce encore ainsi aujourd’hui ?
Pourquoi croyez-vous que dans plusieurs écoles des États-Unis, on enseigne le créationnisme au lieu de l’évolutionnisme ?

L’idéologie est émotion, elle est sans raison.
La raison est fille de l’imperfection. Chez les invertébrés tout est programmé, ils sont parfaits. Nous non ! Étant imparfaits, nous avons recours à la raison, aux valeurs éthiques : discerner entre le bien et le mal, c’est le plus haut grade de l’évolution darwinienne.

- Vous ne vous êtes jamais mariée, vous n’avez pas eu d’enfant ?
Non, je suis entrée dans la jungle du système nerveux. Je suis demeurée fascinée de sa beauté et j’ai décidé de lui dédier tout mon temps, toute ma vie.
« Il vaut mieux ajouter de la vie à ses jours que des jours à sa vie. »
Voilà une bonne entrée en matière pour faire connaissance avec le cerveau, une bonne entrée en matière qui bafoue des certitudes bien ancrées selon lesquelles notre cerveau « baisse » chaque jour avec l’âge. Ce n’est pas exact ! Notre cerveau est ce que nous en faisons.

                                                                                         
Nathalie & Jean-Marie Delecroix 

 

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La puissance de votre cerveau