TUBERCULOSE ET INÉGALITÉS DE SANTÉ


Par Alistair Story & Delphine Antoine

En France, comme dans la plupart des pays de l’Ouest de l’Europe, la tuberculose, qui fut dans les siècles passés une cause majeure de morbidité et de mortalité, a régulièrement diminué depuis la fin du 19e siècle, à l’exception des deux périodes de guerre mondiale. Cette diminution a débuté notam- ment avec l’amélioration des conditions de vie dans certains groupes de population et s’est accélérée avec l’arrivée des traitements combinés d’anti- biotiques dans les années 1950, qui a permis de réduire fortement la mortalité et la transmission de la maladie. Ainsi, en France métropolitaine, certaines études font état d’une incidence de 155 cas de tuberculose pour 100 000 en 1946, elle n’atteint plus que 60,3 en 1972 et moins de 20 à partir de 19861,2. Alors que la maladie était considérée en voie d’éli- mination, la fin des années 1980 a été marquée par une stabilisation, voire une augmentation des cas dans certains pays de l’Ouest de l’Europe et aux États-Unis et les premiers foyers de multirésistance aux antituberculeux sont identifiés. Les principaux facteurs évoqués pour expliquer cette inversion de tendance ont été la détérioration des conditions de vie de certains groupes de population, l’impact de l’épidémie de sida (syndrome d’immunodéficience acquise), la baisse de vigilance et de moyens face à une maladie souvent considérée comme en voie d’élimination, le développement des résistances aux antituberculeux et l’impact des migrations internationales.

La tuberculose est en train de devenir une maladie rare en France avec 7,7 cas déclarés pour 100 000 habitants en 2018, comme le montre l’article de J. P. Guthmann et coll. dans ce numéro. Cependant, cette incidence nationale faible masque des disparités population- nelles et territoriales. Cette situation, dont témoignent les articles de ce numéro du BEH, se retrouve dans les autres pays européens.
Les articles de J. Rustico et coll. et de P. Etienne et coll. signalent des taux de maladie élevés chez les personnes exilées en France et les mineurs non accompagnés. Les conditions de vie précaires et l’accès aux soins limité évoqués par les auteurs contribuent très certainement à augmenter le risque de tuberculose acquis par l’exposition dans les pays d’origine. L’article de T. Succo et coll. porte sur la situation de la tuberculose en Guyane, où son incidence est cinq fois plus élevée qu’en France métropolitaine. Les auteurs indiquent que la pré- carité, les conditions de logement, de transport et d’accès aux soins rencontrés en Guyane favo- risent la transmission du bacille tuberculeux dans la communauté.
La dimension sociale de la tuberculose a été abordée dès le 19e siècle. En France, Jean Antoine Villemin, en essayant en 1868 de mettre en évidence la conta- giosité de la maladie – qui continuera à être contestée jusqu’à la découverte du bacille par Koch en 1882 – va montrer des disparités entre ville et campagne et évoquer les conditions de misère dans certaines populations3. En Angleterre, B. Benjamin va en 1952 montrer la relation entre l’incidence et la morta- lité de la tuberculose, qui variaient selon les quar- tiers londoniens, et un certain nombre d’indicateurs socioéconomiques 4.
En septembre 2018, une réunion de l’Assemblée générale des Nations unies a réuni plusieurs chefs d’État et ministres sous le thème « Unis pour mettre fin à la tuberculose : une réponse mondiale urgente à une épidémie mondiale », qui touche 10 millions de nouveaux malades en 2018. Une résolution a été adoptée pour réaffirmer leur engagement à mettre fin à l’épidémie mondiale de tuberculose d’ici 2030, conformément aux objectifs du Millénaire pour le développement. La déclaration faite à l’issue
 

>Éditorial // Editorial
 1 Find & Treat, University College Hospitals NHS Foundation Trust, Londres, Royaume-Uni 2 Santé publique France, Saint-Maurice, France

de cette réunion soulignait que la pauvreté, l’iné- galité de genre, la vulnérabilité et la marginalisation augmentaient le risque de contracter la tuberculose.
La maîtrise de la tuberculose passe donc par des solutions adaptées aux populations les plus exposées. L’article de C. Fac et coll. sur le dépistage de la tuberculose en prison montre l’importance de pouvoir assurer le lien avec le système de soins extérieur à la prison, afin de permettre une prise en charge ou une continuité des soins après la sortie de prison, pour une population souvent en situation de précarité et marginalisée. En Seine-Saint-Denis, comme en témoigne l’article de A. Castro et coll., l’incidence de tuberculose est quatre fois supé- rieure au niveau national, avec une répartition de la maladie similaire à celle des indicateurs de défavorisation sociale. Les auteurs indiquent donc la nécessité de développer des actions de prévention et de prise en charge de la tuberculose, en allant de façon active vers les populations les plus expo- sées. L’exemple du travail de l’équipe mobile de lutte contre la tuberculose du Samusocial de Paris dont témoigne l’article de M. Wicky et coll. montre l’importance de prendre en compte les déterminants sociaux de la maladie dans sa prise en charge, mais aussi d’avoir une approche intégrée et centrée sur les patients. À Londres, le nombre de personnes sans-abri a doublé au cours de la dernière décennie et un cas de tuberculose sur six survient désor- mais chez des personnes ayant des problèmes sociaux complexes. L’expérience du programme « Find & Treat » est, dans ce contexte, un bon exemple de ce qui peut être réalisé en combinant la recherche active de cas, avec une approche inté- grée des problèmes et besoins de santé, et un soutien social incluant le logement 5.

La tuberculose en France devient une maladie rare. Cela pose la question du risque de perte d’expertise et de savoir-faire chez les professionnels de santé. Dans le même temps, il convient de rester vigilant face à la concentration de la maladie dans certains groupes de population, qui cumulent conditions de vie précaires et difficultés d’accès aux soins et chez qui la tuberculose n’est souvent qu’un aspect des problèmes de santé auxquels ils doivent faire face6. La maîtrise de la tuberculose ne pourra donc pas se faire sans un investissement soutenu, voire renforcé, d’interventions basées sur des données probantes, à destination des populations les plus exposées à la tuberculose. Elle nécessite une approche inté- grée en termes de prévention, de dépistage et de prise en charge, en impliquant les populations concernées et en continuant à lutter contre la stigmatisation. L’approche classique par maladie qui a longtemps prévalu en santé publique montre ici ses limites et doit laisser place à une véritable approche populationnelle centrée sur les besoins des popula- tions les plus touchées par les problèmes de santé. La tuberculose reste liée à la pauvreté et à l’exclusion. Sa compréhension implique que l’impact des facteurs sociaux et économiques sur l’individu soit considéré autant que les mécanismes par lesquels les bacilles de la tuberculose causent des dommages au corps humain7. ■

Références :
[1] Santé publique France. La tuberculose : données. Nombre de cas de tuberculose maladie déclarés et taux de déclara- tion pour 100000habitants, France métropolitaine, 1972- 2018. [Internet]. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-a-prevention-vaccinale/tuber culose/donnees/#tabs
[2]La tuberculose. Bulletin d’hygiène de l’Institut national d’Hygiène. 1951;Tome 6, vol 2.
[3] Villemin JA. Étude sur la tuberculose. Preuves rationnelles et expérimentales de sa spécificité et de son inoculabilité. Paris: JB Baillère et fils; 1868. 640 p.
[4]Benjamin B. Tuberculosis and social conditions in the metropolitan boroughs of London. Br J Tuberc Dis Chest. 1953; 47(1):4-17.
[5]HSJ value Awards2019. Hospital designs an outreach service to facilitate early diagnosis and interventions for preventing risk of tuberculosis and hepatitisC, delivering screening and healthcare to over 100,000 people. https:// solutions.hsj.co.uk/story.aspx?storyCode=7020112&pre view=1&hash=5ADD17A90086537D8E6D22B7A470EDF4&_ gl=1*q2roen*_gcl_aw*R0NMLjE1ODAyMTQ1NjQuRUFJYUlRb 2JDaE1JbV9MeTdhV201d0lWaUxQdENoMWNBUUhoRUF BWUFTQUFFZ0pBTXZEX0J3RQ
[6]European Centre for Disease Prevention and Control. Guidance on tuberculosis control in vulnerable and hard-to- reach populations. Stockholm: ECDC; 2016. 37 p. https://www. ecdc.europa.eu/sites/portal/files/media/en/publications/Publi cations/TB-guidance-interventions-vulnerable-groups.pdf
[7] Dubos RJ, Dubos J. The white plague: Tuberculosis, man, and society. Boston: Little, Brown. 1952.
Citer cet article
Story A, Antoine D. Éditorial. Tuberculose et inégalités de santé. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(10-11):194-5. http://beh. santepubliquefrance.fr/beh/2020/10-11/2020_10-11_0.html

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