Neurotoxicité du métronidazole, médicament antibiotique et antiparasitaire chez le chien : des risques même à faible dose



La neurotoxicité du métronidazole, antibiotique et antiparasitaire, est rapportée chez l’humain et l’animal depuis les années 80. Chez le chien, il s’agit principalement de troubles de l’équilibre et/ou de tremblements. Alors que jusqu’à présent des doses de métronidazole élevées (supérieures à la dose habituellement utilisée qui peut aller jusqu’à 50 mg/kg/jour) étaient généralement incrimiées, une étude récente fait état d’effets indésirables neurologiques dès 26 mg/kg/jour. L’analyse des données de la pharmacovigilance corrobore les résultats de cette étude, en identifiant un risque lié à une utilisation prolongée du médicament, même à dose réduite. Des précautions parti- culières d’emploi sont donc nécessaires pour limiter le risque d’apparition de ces effets indésirables.

La surveillance des médicaments vétérinaires après leur mise sur le marché repose principalement sur la pharmacovigilance, via les déclarations spontanées d’effets indésirables observés par les acteurs de terrain (vétérinaires, éleveurs...). Toutefois, les publications scientifiques peu- vent contribuer à apporter des informations complémentaires et permettre de mieux comprendre certains évène- ments signalés via le circuit de déclaration des effets in- désirables.
Une publication concernant la neurotoxicité du métronidazole chez le chien, parue en 2018 dans l’Australian Veterinary Journal [9] a ainsi été analysée par l’Agence nationale médicament vétérinaire (ANMV) et ses résultats ont été comparés aux données enregistrées dans la base nationale de pharmacovigilance vétérinaire.
Le métronidazole est un antibactérien de la famille des nitro-imidazolés utilisé chez l’Homme depuis les années 60 pour le traitement des infections à germes anaérobies et de certaines maladies parasitaires, les protozooses.

Le métronidazole chez le chien
Plusieurs médicaments vétérinaires contenant du métronidazole en association avec un autre antibiotique, la spiramycine, sont autorisés depuis les années 1990 chez les animaux de compagnie notamment pour le traite- ment des infections buccodentaires et avec des doses recommandées en métronidazole allant de 12,5 à 16,7 mg/kg/j pendant 6 à 10 jours.
Depuis 2015, plusieurs spécialités pour animaux de compagnie ne contenant que du métronidazole ont été auto- risées. Leurs indications concernent le traitement de la giardiose (protozoose responsable de diarrhées chez le chien) et des infections à germes anaérobies, avec des doses plus élevées et un schéma thérapeutique adapté à ces affections, de 50 mg/kg/j en une à deux prises par jour pendant 5 à 7 jours.

Une toxicité déjà connue
La neurotoxicité du métronidazole est rapportée chez l’Homme et l’animal depuis les années 80 [2, 3]. Chez l’Homme, des atteintes des nerfs périphériques, du nerf optique, des encéphalopathies, des atteintes de l’oreille interne et du cervelet sont décrites. Le mécanisme de cette neurotoxicité reste incomplètement élucidé mais pourrait impliquer la formation de radicaux libres, d’analogues de thiamine, ou être lié à une action du métronidazole et de ses métabolites sur l’ARN cellulaire des neurones, altérant la synthèse protéique et provoquant leur dégénérescence [5]. L’utilisation de doses supérieures à 42 g par jour pour un adulte est considérée comme à risque, mais des études récentes indiquent que cette neurotoxicité, même si elle reste rare, peut apparaître sans lien avec la dose ou la du- rée de traitement [6]. Chez le chien, des atteintes du cervelet ou du vestibule sont généralement rapportées, en lien avec l’utilisation de doses de métronidazole dépassant 60 mg/kg/jour [4, 7].

L’étude mentionnée en introduction décrit une série de 26 chiens ayant présenté des troubles neurologiques imputés au métronidazole dans plusieurs hôpitaux vétérinaires spécialisés du Royaume-Uni entre 2004 et 2017 [9]. Les animaux inclus étaient en moyenne âgés de 7,2 ans (de 1,5 mois à 12 ans). Le métronidazole avait été prescrit pour des diarrhées dans 54 % des cas, et des infections à bactéries anaérobies (arthrite, endocardite, abcès...) pour les autres cas. Les doses de métronidazole utilisées allaient de 26 à 112 mg/kg/jour administrés en deux prises, avec un dosage moyen de 42 mg/kg/jour.

Le temps de traitement moyen était de 35 jours. Les symptômes étaient apparus après 10 jours de traitement dans 92 % des cas. Les symptômes rencontrés étaient majoritairement des troubles de la démarche et/ou des mouvements oculaires anormaux. Les symptômes avaient généralement disparu dans les 3 jours suivant l‘arrêt du métronidazole. Dans la majorité des cas, un traitement à base de diazépam avait été mis en place pour accélérer la récupération. Cette étude rapporte pour la première fois une neuro-toxicité du métronidazole à des doses inférieures aux intoxications précédemment décrites, soit dès 26 mg/kg/jour.

Une toxicité confortée par les données de pharmacovigilance vétérinaire française
Un bilan des données de la base nationale de pharmacovigilance a été réalisé sur une période comprise entre janvier 2001 et juin 2019. Les cas où le rôle du métronidazole dans l’effet indésirable pouvait être écarté de manière certaine ont été exclus ainsi que les cas où plusieurs médicaments étaient impliqués.

Au total, sur cette période, 124 déclarations d’effets indésirables possiblement en lien avec le métronidazole ont été enregistrées, dont 99 déclarations chez le chien. Comme indiqué dans la figure 1, le nombre de déclarations en lien L’analyse s’est concentrée sur le chien, espèce majoritaire- ment concernée par ces déclarations (99/124). La proportion de déclarations concernant les médicaments associant métronidazole et spiramycine et celle des médicaments contenant du métronidazole seul a été étudiée. Si les résultats montrent que ces proportions sont proches (respectivement 44,4 % des déclarations versus 55,6 %), des effets indésirables neurologiques sont plus souvent observés avec les médicaments contenant le métronidazole seul qu’en association avec la spiramycine (82 % ver- sus 38,6 %).
Cette observation s’explique probablement par des différences d’indication selon les médicaments et par conséquent de dose de métronidazole administrée et de durée de traitement. Quelle que soit la nature du médicament (métronidazole seul ou en association), les troubles de l’équilibre sont les troubles neurologiques majoritairement rapportés.

Des usages très souvent non conformes aux recommandations
Une analyse plus fine a été réalisée sur les cas avec signes neurologiques, déclarés depuis 2016, première année de
sexuelle significative. Pour la moitié d’entre eux, le motif d’utilisation du métronidazole est un trouble digestif. Les symptômes rapportés sont majoritairement de l’ataxie et des trémulations musculaires.
L’utilisation du produit ne suivait les recommandations du Résumé des caractéristiques du produit (RCP) que dans 9 cas, en termes de posologie et de durée de traitement. Pour ceux-ci, les troubles étaient apparus entre deux heures et 7 jours après le début du traitement et avec des doses de métronidazole allant de 25 à 53mg/kg/j. Aucune information sur l’évolution des symptômes n’était disponible.

Á l’inverse, l’usage était non conforme au RCP dans 81,2 % des cas (39 cas/48). Pour 17 chiens, le temps de traitement était supérieur au temps de traitement recommandé dans le RCP (allant de 8 jours à 5 mois). Neuf chiens avaient reçu une dose supérieure à celle mentionnée dans le RCP (allant de 60 à 160 mg/kg/j). Treize chiens avaient reçu une dose supérieure à celle recommandée et pendant une durée supérieure à celle recommandée. Pour ces 39 cas, les troubles étaient apparus de moins de 2 heures à 6 mois après le début du traitement et avaient duré d’une heure à 15 jours.

 

Des précautions d’utilisation du métronidazole à prendre pour l’animal ...
La possible apparition de signes neurologiques est déjà mentionnée dans les RCP des médicaments à base de métronidazole autorisés depuis 2015.

Si les données disponibles semblent montrer une grande variabilité individuelle dans l’apparition de la toxicité neurologique du métronidazole chez le chien, elles évoquent également un risque majoré lors d’une utilisation non con- forme aux RCP, que ce soit en termes de dose et/ou de temps de traitement. Ces données semblent corroborer l’étude de Tauro et al. dans laquelle une administration au -delà de la durée de traitement préconisée dans les autorisations est rapportée dans 92% des cas d’effets indésirables neurologiques [9].

L’utilisation prolongée du métronidazole dans le cadre des maladies digestives chroniques par exemple (motif courant d’utilisation chez le chien) doit donc amener le praticien à être particulièrement attentif dans le suivi des animaux traités. Il faut souligner que les schémas thérapeutiques prolongés restent en dehors du cadre de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) de ces produits, et sous la responsabilité du prescripteur qui doit alors évaluer le rapport bénéfice/risque et adapter la posologie et la durée du traitement à la situation.

Une attention particulière doit également être portée à la dose journalière administrée, en particulier chez les animaux de petit gabarit. Un calcul au plus juste de la dose et l’utilisation de présentations adaptées au gabarit de l’animal sont indispensables.

...mais aussi pour l’utilisateur
Le métronidazole et certains de ses métabolites sont susceptibles d’interagir avec l’ADN des cellules humaines et animales, comme chez le rat, la souris [2, 5] et plus récemment le chat [8]. Chez le rat et la souris, une augmentation significative du nombre de tumeurs mammaires, de lymphomes et d’adénomes pulmonaires a été démontrée après 100 jours d’administration orale de métronidazole, ce qui a conduit à considérer la molécule comme cancérogène chez l’animal, et comme cancérogène possible (2B) chez l’Homme selon la classification de l’International Agency for Research on Cancer (IARC) [2].

Ce caractère mutagène et potentiellement cancérogène a justifié le classement du métronidazole comme substance interdite chez les animaux producteurs de denrées, tels que les bovins, les porcs et les volailles [1]. Lors du traite- ment des animaux de compagnie, des précautions particulières d’emploi doivent être respectées afin de limiter l’ex- position des personnes au métronidazole. Ainsi, il est clairement mentionné dans les RCP des médicaments autorisés depuis 2015 que le port de gants imperméables est nécessaire pour ceux qui administrent le médicament.

Conclusion : un médicament utile dans le cadre d’un usage raisonné
Si le métronidazole reste d’intérêt majeur en médecine vétérinaire, son utilisation doit être raisonnée, avec des doses et des durées de traitement adaptées à l’animal, au contexte clinique et infectieux, en vue d’en limiter les effets indésirables, notamment en termes de neurotoxici- té. Une meilleure compréhension du mécanisme et des circonstances d’apparition de cette toxicité chez le chien et chez d’autres espèces, (chat, cheval) où le métronida- zole est également utilisé, est nécessaire. La surveillance post-AMM de ces médicaments permettra d’affiner l’éva- luation du risque lié à l’utilisation du métronidazole chez l’animal.

Références bibliographiques
1.RÈGLEMENT (UE) No 37/2010 DE LA COMMISSION du 22 décembre 2009 relatif aux substances pharmacologi- quement actives et à leur classification en ce qui con- cerne les limites maximales de résidus dans les aliments d’origine animale, (2009).
2.CVMP. Metronidazole summary report. EMEA, 1997. 3.Dow SW, LeCouteur RA, Poss ML, et coll. Central nerv- ous system toxicosis associated with metronidazole treat- ment of dogs: five cases (1984-1987). Journal of the American Veterinary Medical Association. 1989;195 (3):365-8.
4.Evans J, Levesque D, Knowles K, et coll. Diazepam as a treatment for metronidazole toxicosis in dogs: a retro- spective study of 21 cases. J Vet Intern Med. 2003;17 (3):304-10.
5. Hernandez Ceruelos A, Romero-Quezada LC, Ruvalcaba Ledezma JC, et coll. Therapeutic uses of metronidazole and its side effects: an update. European review for medi- cal and pharmacological sciences. 2019;23(1):397-401.
6. Kuriyama A, Jackson JL, Doi A, et coll. Metronidazole- induced central nervous system toxicity: a systematic review. Clinical neuropharmacology. 2011;34(6):241-7.

 

7. Plumb DC. Metronidazole. In: Veterinary Drug Handbook 4th ed. Iowa State Press, Ames, IA, USA. 2002; p. 549-52.
8. Sekis I, Ramstead K, Rishniw M, et coll. Single-dose pharma- cokinetics and genotoxicity of metronidazole in cats. Journal of feline medicine and surgery. 2009;11(2):60-8.
9.Tauro A, Beltran E, Cherubini GB, et coll. Metronidazole- induced neurotoxicity in 26 dogs. Australian veterinary journal. 2018;96(12):495-501.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter :
Neurotoxicité induite par le métronidazole chez le chien, J. Bietrix, M.A. Moriceau, S. Laurentie, Point vétérinaire N°413/414, Janvier-Février 2021

 

VigilAnses