Mémoire & Dépression La dépression a-t-elle un impact sur notre mémoire et sur notre cerveau ?

 

Paris, octobre 2023 – À l’occasion de la Journée Européenne de la dépression qui se déroulera le 27 octobre prochain, l’Observatoire B2V des Mémoires s’est penché sur les liens entre la mémoire et la dépression. Est-ce que la mémoire peut être « réparée » une fois l’épisode dépression terminé ? A-t-on déjà assez de recul pour connaître l’impact de la pandémie sur notre cerveau ? Francis Eustache, Neuropsychologue, Président du Conseil Scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires, et Catherine Thomas-Antérion, Neurologue et Docteur en neuropsychologie, et membre du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires, répondent à ces interrogations.

 

1 - La dépression peut-elle entraîner une perte de la mémoire

La dépression est un terme générique qui regroupe des situations très différentes. Elle concerne une personne jeune ou âgée, un épisode unique ou récurrent et on distingue les dépressions simples ou accompagnées ou non d’autres troubles psychiques (les comorbidités). La personne dépressive présente une humeur triste, une perte des intérêts, une diminution de l’élan vital et de l’activité ; cette baisse de régime est ressentie comme source de fatigue. Le patient souffre d’un manque de confiance et d’estime de soi, de sentiments de culpabilité ou de dévalorisation. Les idées suicidaires représentent un symptôme inquiétant, avec un risque suicidaire proportionnel à la gravité de la dépression. D’autres symptômes sont constants comme les troubles du sommeil et de l’alimentation.

 

La dépression n’est pas une maladie de la mémoire, comme la maladie d’Alzheimer qui est souvent considérée comme le prototype de ces maladies. Les troubles de l’humeur vont toutefois entrainer des troubles de la mémoire, du fait des difficultés de concentration et du ralentissement idéomoteur. Les insomnies modifient aussi la qualité de la consolidation, du fait des troubles du sommeil. Dans la maladie d’Alzheimer, on observe des troubles authentiques de la mémoire, c’est-à-dire que la personne ne parvient pas à enregistrer (encoder) de nouvelles informations, tout en oubliant des informations et des souvenirs qu’elle avait pourtant acquises dans son passé. Dans la dépression, il s’agit plutôt de troubles « apparents ». La personne souffrant de dépression à des difficultés à rappeler spontanément les informations (dans les tests de mémoire, cela correspond aux conditions de rappel libre). En revanche, et contrairement à la maladie d’Alzheimer, la personne dépressive est aidée par des indices de rappel (le début des mots présentés dans la phase d’encodage ou leur catégorie sémantique : c’était un nom d’animal, de fruit etc.) alors que ces indices aident peu le patient souffrant de maladie d’Alzheimer. En plus des mécanismes de la mémoire temporairement altérés, les contenus peuvent être modifiés. Les idées noires envahissent les souvenirs qui, à leur tour, envahissent les pensées de la personne dépressive entrainant une sorte de cercle vicieux. Un autre point notable est la distorsion de la perception du temps et de la projection dans le futur avec l’impression d’un temps qui s’accélère. Les souvenirs épisodiques biographiques sont rares, émoussés et « sur-généralisés », parce que le dépressif est replié sur lui-même pendant l’épisode avec une émotion émoussée et entièrement centrée sur la tristesse.

 

2 - Comment la dépression modifie-t-elle notre cerveau ? Une fois l’épisode dépressif résolu, la mémoire est-elle de nouveau efficace ?

Les recherches en neurosciences, qui utilisent notamment les méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle, vont dans le même sens que les descriptions cliniques et montrent un dysfonctionnement des circuits qui unissent les régions préfrontales (en avant du cerveau), et les hippocampes, impliquées dans le mémoire épisodique. Ces altérations sont bien en accord avec les difficultés de rappel (de récupération) qui sont observées dans les tests de mémoire. Ce ne sont pas vraiment les mécanismes de la mémoire qui sont touchés, mais davantage les stratégies qui permettent à la mémoire de bien fonctionner. Ces observations sont faites dans le cadre de la recherche sur des groupes de patients. Elles sont peu utiles en clinique courante, chez un patient singulier, contrairement à la maladie d’Alzheimer, où les méthodes d’imagerie cérébrale jouent un rôle de premier plan dans le diagnostic. Par ailleurs, une fois l’épisode dépressif résolu, la personne recouvre de bonnes capacités de mémoire. 

 

3 - A-t-on déjà assez de recul pour connaître l’impact de la pandémie sur notre cerveau ? Quelles sont les répercussions ?

La pandémie de COVID-19 et les situations de confinement ont entrainé pour certaines personnes avec ou sans antécédent aucun de fragilité psychique, une véritable épreuve avec toutefois de grandes disparités, selon les groupes sociaux et selon les situations de confinement. De nombreuses études ont été menées à différents moments de cette crise sanitaire. Une hausse de l’anxiété a notamment été mise en évidence, parfois suivie par des symptômes dépressifs. Il est important maintenant de suivre les enquêtes régulières comme celles menées par Santé publique France pour estimer les effets durables d’une telle situation anxiogène chez ces personnes. Il a été également enregistré une augmentation des addictions, élément de vulnérabilité à la dépression et comorbidité fréquente, ce qui exige des études complexes prenant en compte de nombreux paramètres. De façon plus générale, la multiplication de stress, individuels et collectifs, nous rend plus vulnérables à des idées dépressives ou même à des épisodes dépressifs. Donc, gardons une certaine distance par rapport aux informations anxiogènes, gare aux chaines d’information en continu ! Et privilégions les vrais échanges humains et amicaux.

 

À propos de l’Observatoire B2V des Mémoires

Créé en avril 2013 par le Groupe de protection sociale B2V, l'Observatoire B2V des Mémoires étudie la mémoire sous toutes ses formes : individuelle, collective, numérique... Son Conseil scientifique réunit d'éminents chercheurs en neurosciences et sciences humaines. Les actions menées au sein de ce « laboratoire sociétal » visent à favoriser la prévention à travers deux grands axes : soutenir la recherche et diffuser au plus grand nombre les avancées de la science en vulgarisant l'information scientifique pour faciliter sa compréhension.

 

Pour ne citer que quelques actions menées par le fonds de dotation Observatoire B2V des Mémoires : la bourse doctorale ; la publication de livres sur le thème de la mémoire ; l'événement grand public La Semaine de la Mémoire ; le podcast Mémoire, dis-moi qui suis-je ?

 

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