L'histoire de l'homéopathie



Samuel Hahnemann naît en 1755 à Meissen, en Allemagne. Il étudie d’abord la médecine mais s’en lasse très vite, découragé par son manque d’efficacité et sa toxicité. Il renonce à sa pratique médicale et entame alors des études de chimie. Afin de pouvoir entretenir une famille nombreuse, il entreprend de traduire en allemand des livres scientifiques anglais. En 1790, alors qu’il a 35 ans, il lit dans un ouvrage de Willem Cullen qu’il est en train de traduire que la quinine contenue dans l’écorce de quinquina (un arbre tropical), réputée en son temps pour son effet fébrifuge dans la malaria, agit également comme stomachique1. Hahnemann est étonné de cette prise de position, car son expérience personnelle lui fait dire que la quinine occasionne plutôt des désagréments gastro-intestinaux chez certains malades. Afin d’en avoir le cœur net, Hahnemann va, durant plusieurs jours, absorber des doses répétitives de quinine, mais au lieu de développer des troubles de l’estomac, il va présenter des signes de malaria, notamment de la fièvre accompagnée de frissons et de claquements de dents. Le fait surtout que la fièvre apparaît tous les deux jours (fièvre tierce) convainc Hahnemann qu’il s’agit bien d’une fièvre de type malarique. Cette évidence empirique pousse le fondateur de l’homéopathie à avancer l’hypothèse suivante : un médicament (dit antipaludique, dans le cas présent), administré à une personne saine mais sensible2, occasionne des troubles toxiques lesquels sont analogues aux indica- tions du médicament en question. Ces troubles toxiques sont en fait des signes expérimentaux ou dits pathogénétiques pour la substance testée. Tout malade présentant une série de symptômes analogues aux signes pathogénétiques d’une substance donnée, guérira par l’administration de cette substance. La Loi de Similitude ou d’Analogie est née : les semblables seront guéris par les semblables ou similia similibus curantur.

Un autre exemple est celui de la Belladone ou Morelle furieuse. L’absorption répétitive de petites doses de ce remède par un individu sensible donne les signes pathogénétiques suivants :
• une fièvre élevée avec des douleurs battantes dans la tête, tandis que la face est rouge et congestionnée
• une transpiration profuse et chaude
• de la photophobie (sensibilité excessive des yeux à la lumière)

Il s’agit là d’un tableau dit pathogénétique fréquemment rencontré lors de nombreuses maladies infantiles, notamment dans la phase aiguë de la fièvre dite humide. La Belladone, prescrite homéopathiquement, accompagne ce type de fièvre mais également nombre d’autres petits problèmes inhérents à la médecine infantile.

◊ De l’expérimentation à la guérison
Tenter d’expliquer aujourd’hui le raisonnement d’Hahnemann depuis son hypothèse de travail jusqu’à ses premiers résultats thérapeutiques au moyen des remèdes homéopathiques, s’apparente à une gageure. En effet, cette histoire s’est déroulée il y a plus de 200 ans, alors on comprendra que ce qui va suivre ne peut qu’approcher la réalité vécue au jour le jour par le fondateur de l’homéopathie. Le parcours expérimental parmi les dilutions et les dynamisations ( voir plus loin) fut loin d’être facile, lorsque l’on tient compte des nombreux écrits, parfois contradictoires, que Samuel Hahnemann nous a laissés sur ce sujet.

Hahnemann va étayer son hypothèse de travail au moyen de l’expérimentation : près de 100 substances d’origine végétale, animale et minérale seront, durant 10 ans, administrées régulièrement à des sujets sains, notamment la famille et les disciples d’Hahnemann. Les doses administrées lors des premières expérimentations sont pondérables, et non dénuées d’une toxicité certaine, ce qui force Hahnemann à réduire ces doses. Il s’assure également de la bonne marche des expérimentations en les codifiant : l’expérimentateur est censé vivre dans de bonnes conditions d’hygiène, sans tabac ni alcool, et sans trop de stress ; il absorbe journellement la dose prescrite et note soigneusement dans un carnet l’apparition de chaque symptôme par ordre chronologique 3. L’ensemble de ces notes expérimentales est appelé la pathogénésie de la substance testée. C’est la compilation des notes pathogénétiques que l’on retrouve dans les ouvrages dits de Matière médicale. Le lecteur retiendra d’ores et déjà que les travaux d’Hahnemann s’appuient avant tout sur des faits expérimentaux, qu’il était pharma-cologue et non pas idéologue, et bien plus chimiste qu’alchimiste... Tandis que se déroulent les expérimentations, Samuel Hahnemann entreprend de soigner homéopathiquement ses premiers malades. Là où existe une analogie entre des plaintes présentées par un malade et des signes expérimentaux (ou pathogénétiques) chez des sujets sains concernant une substance bien définie, il l’administre au malade. Lors de ses premiers essais, il fait des dosages du remède se situant juste en dessous de la dose utilisée pour les expérimentations, et obtient des guérisons mais au prix d’aggravations préalables non négligeables. Il décide alors de diminuer le dosage en diluant la substance en question.

Les notions de diminution du dosage et de dilution ne sont donc pas tombées du ciel, mais ont à l’époque répondu à un double besoin : d’une part éviter des effets toxiques et dangereux chez l’expérimentateur (pour rappel : Hahnemann a, entre autres, expérimenté des poisons violents tels que l’aconit, l’arsenic et le mercure), d’autre part réduire au maximum l’aggravation 4 préalable du malade lors de l’administration du similimum.

Hahnemann commence par utiliser des dilutions de « 1/100 », c’est-à-dire une partie de la substance active mélangée avec 99 parties de solvant (de l’alcool, en règle générale s’il s’agit de plantes, mais nous verrons plus loin que certaines substances minérales nécessiteront une préparation particulière). Il va ensuite secouer fortement ce mélange ( voir plus loin) et produire ainsi ce que l’on va appeler une « 1CH » ou première centésimale hahnemannienne. Une partie de ce nouveau mélange, additionnée de 99 nouvelles parties de solvant, va résul- ter, après succussion5, en une « 2CH » et ainsi de suite. Hahnemann va traiter ses malades au moyen de ces remèdes dilués et dynamisés et constater des guérisons au prix d’aggravations médicamenteuses minimales cette fois.

À ce stade de l’historique, on peut supposer que la curiosité scientifique de Samuel Hahnemann a été aiguillonnée par l’effet empirique des dilutions et qu’il a voulu sans cesse aller plus loin, tant sur le plan de l’expérimentation que sur le plan thérapeutique. Aussi, traite-t-il ses malades au moyen de substances de plus en plus diluées et étudie l’effet de ces mêmes substances diluées sur des individus sains et sensibles.

L’apparition de signes pathogénétiques – et leur intensité – chez un individu sain va dépendre du dosage (en homéopathie, il faut plutôt parler de potence, du latin potentia ou puissance, qui est la résultante des dilutions et succussions) et de la fréquence des prises de la substance testée, mais surtout de la sensibilité de l’expérimentateur à ladite substance. Comme nous l’avons souligné précédemment, Hahnemann a développé des signes pathogénétiques de la quinine parce qu’il était devenu sensible à cette substance lors de précédents accès de paludisme.

L’introduction des succussions 6 dans la préparation homéopathique forme un chapitre à part et doit être interprétée dans le contexte historico-scientifique de l’époque. Hahnemann avait bénéficié d’une sérieuse formation en chimie et était soit dit en passant contemporain du célèbre savant et chimiste Lavoisier (1743-1795). À l’époque, secouer signifiait avant tout mélanger qui constituait la phase la plus importante de la préparation des produits chimiques. La succussion des remèdes homéopathiques était donc au départ une notion se rapportant à la galénique, laquelle est la préparation de la substance de base en médicament prêt à l’emploi. Lavoisier ne disait-il pas que pour synthétiser de l’éther à partir d’alcool, il est recommandé de secouer énergiquement les substances réactives durant trois minutes ? On peut supposer que, les succès thérapeutiques aidant, Hahnemann devient petit à petit persuadé que secouer signifie plus que la simple action de mélanger. Ainsi s’exprime sur ce sujet le fondateur de l’homéopathie en 1827 : « Par la succussion de liquides et par la trituration 7 de poudres, se développe une grande action thérapeutique de substances qui, dans des circonstances normales, ne font montre d’aucune activité ». À partir de cette constatation, la succussion devient donc un concept (bio-)énergétique. Dilution et succussion (ou dynamisation), regroupées sous le vocable de potence sont des phases essentielles de la préparation homéopathique qui vont attribuer à une substance de base ses propriétés thérapeutiques définitives.

Le nombre d’Avogadro
La pilule est amère pour les scientifiques modernes, lorsque l’on aborde l’action des hautes dilutions homéopathiques ou doses infinitésimales. En effet, à partir d’une « 12CH » soit 1023, il n’y a plus de substance active dans le solvant. Cette assertion repose sur les travaux du comte Avogadro (1776-1856), chimiste italien et contemporain de Samuel Hahnemann. Selon Avogadro, il y a le même nombre de molécules dans des volumes égaux de gaz différents à la même température et à la même pression. Au départ de cette hypothèse, il y a la mole (« mol », symboliquement) : 1 mol représente une quantité d’atomes de carbone (isotope 12) à l’état gazeux dont le poids est exactement de 12 grammes. Avogadro a déterminé le nombre d’atomes de carbone dans cette quantité de gaz dans des conditions normales (température 0° C et pression de 760 mm de mercure) et a trouvé le nombre (N, symboliquement) suivant : N = 6,023. 10 +23 (lire 6,023 fois 10 puissance 23), ou le nombre 6023 suivi de 19 zéros, soit 60 230 000 000 000 000 000 000. Par une interprétation élargie, on a commencé à utiliser le nombre d’Avogadro pour définir la quantité de particules contenues dans une mole de substance donnée. Par particules, il faut entendre au sens large : des atomes, des molécules, et même des parties d’un tout.

Afin, d’une part, d’obtenir une idée de grandeur du nombre d’Avogadro, d’autre part de saisir la difficulté que représente la détection d’une seule particule parmi ce nombre, nous allons nous représenter ce qui suit : restons dans la sphère d’activité homéopathique et considérons 1 mol de granules de lactose blancs8. Comprimés de manière maximale, ils occupent chacun un espace de 1 mm3 (un petit cube de 1 mm de côté). Dans 1 mol, nous allons donc trouver 6,023. 1023 granules de lactose blancs, bons pour un volume de 602.300 km3. La surface de la terre compte environ 510.000 km2. Si l’on recouvrait la terre entière au moyen de granules de lactose blancs étalés d’une même manière, l’on obtiendrait une couche d’environ 118 cm d’épaisseur ! La détection de la présence, au sein de tous ces granules blancs, d’un seul granule rouge prescrit par un médecin homéopathe, est quasiment impossible, car cette présence équivaudrait à une concentration de 1 sur 6,023. 1023 ou une dilution d’environ 12CH. Et pourtant, ce granule rouge est censé avoir des propriétés thérapeutiques... Même des dilutions plus hautes, de l’ordre de 15CH et de 30CH, prouvent empiriquement leur action thérapeutique dans la pratique homéopathique quotidienne. Com- ment expliquer cela ?

La réponse réside sans doute dans les techniques de préparation homéopa- thique du remède, notamment les succussions qui provoquent, lors des dilu- tions successives, le transfert énergétique de l’action de la substance à son solvant (eau, alcool), lequel relaye ainsi le message homéopathique. La preuve expérimentale de cette hypothèse a été livrée en 1982 par le Dr Benveniste, chercheur à l’INSERM (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale) à Paris, qui a publié le fruit de ses résultats dans la prestigieuse revue Nature le 30 juin 19889. L’article en question a suscité de vives réactions au sein du monde scientifique et signé le début d’une polémique violente autour de la mémoire de l’eau.

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1. Stomachique : qui facilite la digestion.

2. En fait et si l’on tient compte des nouvelles données de la science en matière d’épigénétique (voir au cha- pitre Le mot de la fin sur l’homéopathie), Samuel Hahnemann, ayant souffert de malaria auparavant, était déjà imprégné de quinine endogène. Dans le jargon médical moderne, nous dirions que Hahnemann était aller- gique au quinquina. La sensibilité profonde d’un individu à des substances bioactives forme la base du travail expérimental en médecine homéopathique.

3. Ces notes expérimentales ou protocoles dont l’existence est niée par les fervents détracteurs de l’homéo- pathie forment pourtant la base de la recherche scientifique moderne sur les médicaments.
4. Cette aggravation dite homéopathique qui augure de l’efficacité du remède, est encore bien connue de nos jours en pratique journalière.

5. Succussion : jargon homéopathique désignant l’action de secouer fortement une dilution. Voir également au chapitre sur La fabrication et présentation des remèdes homéopathiques.
6. Au début de ses travaux, le fondateur de l’homéopathie secoue quelques fois ses remèdes. Plus tard, il va standardiser sa méthode et secouer 100 fois par étapes de dilution.

7. Trituration : broyage ou friction.

8. Comme nous le verrons plus loin dans cet ouvrage, ces sphères contenant du sucre forment le substrat principal des préparations homéopathiques.

 

  Dr. Baudouin Caironi       
                                                                              

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