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Aujourd’hui, 34 ans après la découverte du VIH-1 par des chercheurs pasteuriens – découverte récompensée en 2008 par le Prix Nobel de médecine – le sida reste un problème majeur de santé publique qui affecte tout particulièrement les pays et les populations les plus démunis : 37 millions de personnes vivent avec le VIH/sida dans le monde, dont la moitié n’ont pas accès à un traitement, et plus de 2 millions de nouvelles contaminations ont lieu chaque année. Le VIH représente la première cause de décès chez les femmes en âge de procréer et la deuxième cause de décès chez les adolescents de par le monde. Par ailleurs, dans certaines régions, notamment en Europe, le nombre de nouvelles infections est en augmentation. En France, on déplore ainsi encore plus de 6000 nouvelles contaminations tous les ans sans aucun signe de diminution (voir « Le sida en chiffres »).
Parmi les progrès significatifs de ces dernières années, la tri-thérapie s’est montrée particulièrement efficace pour contrôler le virus et diminuer sa transmission. Les derniers résultats prouvent qu’il est crucial pour les patients de bénéficier du traitement le plus tôt possible après leur contamination. En effet, le virus provoque des atteintes du système immunitaire dès les premières semaines de l’infection ; ces dernières ne sont pas réversibles si le traitement est initié trop tard. Malgré ces avancées, le VIH induit une inflammation chronique qui persiste, bien qu’à des niveaux plus faibles, chez les personnes traitées. Cette inflammation est associée à un risque plus élevé de maladies telles que le cancer, les maladies cardiovasculaires et le diabète. Il reste donc urgent de développer un vaccin afin de bloquer l’épidémie.
Dans ce contexte, les recherches sur le VIH/sida constituent toujours, depuis sa découverte, l’un des objectifs majeurs de l’Institut Pasteur à Paris et du Réseau international des instituts Pasteur, dans les pays particulièrement affectés par l’épidémie.
À Paris, une dizaine d’équipes est mobilisée. Les axes de recherches couvrent la majorité des champs d’investigation prioritaires aujourd’hui. Ils concernent notamment l’étude de l’évolution de l’épidémie, les mécanismes d’entrée et de multiplication du VIH dans les cellules humaines, la transmission du virus, la physiopathologie de l’infection, la réponse immunitaire de l’homme contre le virus, la protection naturelle chez l’homme, l’implémentation des traitements dans les pays à ressources limitées, la recherche en vue d’une guérison du VIH, et bien sûr la recherche sur les candidats vaccins.
Ces travaux sont réalisés dans le cadre d’un partenariat très étroit avec l’Agence Nationale de Recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), et en collaboration avec le Réseau international des instituts Pasteur, les hôpitaux en France ainsi que des laboratoires partenaires nationaux et internationaux.
La recherche sur le VIH/sida à l’Institut Pasteur
Des avancées remarquables dans la recherche fondamentale et clinique, ainsi que dans le traitement et la prévention, ont permis d’enrayer, depuis 2012, la montée de la pandémie. Cependant, avec plus de 37 millions de personnes infectées dans le monde, le sida continue aujourd'hui d'être un problème majeur de santé publique, pour lequel l'effort de recherche doit être maintenu. Il est indispensable d’affiner les connaissances fondamentales sur l’infection par le VIH pour faire avancer, à terme, la recherche thérapeutique et vaccinale. À l'Institut Pasteur, de nombreux travaux sont menés sur les interactions virus-hôte, le traitement de l'infection ou encore l'étude de candidats-vaccins.
Epidémiologie, évolution du virus et de la pandémie
Le VIH a une évolution très rapide. Environ 0,5% de son génome mute chaque année. Cette flexibilité lui permet d’échapper au système immunitaire de son hôte et de développer des résistances aux traitements antirétroviraux. Elle est aussi à l’origine d’une variabilité qui permet aujourd’hui aux chercheurs de reconstruire son l’évolution. On sait ainsi que le VIH s’est d’abord développé chez les singes, avant de bénéficier de plusieurs introductions dans la population humaine, dont une seule est à l’origine de la pandémie mondiale : celle du groupe M du VIH-1. Parmi les grandes étapes de cette pandémie les scientifiques ont pu dater son origine au début du XXe siècle en Afrique centrale, son développement en République Démocratique du Congo à partir des années 50-60, et enfin sa propagation à travers le monde dans les années 1980.
L’unité de Bioinformatique évolutive d’Olivier Gascuel s’intéresse aux méthodes permettant de comprendre cette évolution et d’en mesurer les effets, avec pour objectif d’accompagner la mise en place de politiques préventives. Cette unité est à l’origine de logiciels informatiques très diffusés, qui permettent de reconstruire les phylogénies virales, de les dater, et de suivre leur développement au sein des groupes à risques ainsi qu’à travers le monde. Ces chercheurs ont récemment formellement démontré, par des études évolutives, l’existence d’un dixième gène du VIH-1, proposée à la fin des années 80 mais dont les confirmations expérimentales restaient jusqu’alors peu convaincantes. Ce gène est corrélé à la diffusion du virus et n’est présent que dans le groupe M et ses sous-types les plus prévalents.
Parallèlement, l'unité s’intéresse aux mutations de résistance, qui tendent à se développer et qui risquent de poser des problèmes majeurs, notamment en Afrique. Elle a notamment montré, grâce à l’analyse de données statistiques à large échelle ?, que ces mutations sont très largement transmises par les patients non-traités, d’où l’émergence de formes particulièrement dangereuses car difficilement traitables de l’épidémie, et la nécessité de politiques de prévention ciblées et énergiques dans les groupes affectés.
Comprendre les mécanismes qui contrôlent naturellement l’infection
Les « Controllers », ces patients qui ne développent pas la maladie
De rares individus infectés par le VIH-1 contrôlent la multiplication du virus. Ces « Controllers du VIH » (HIC) ont été identifiés et sont suivis au sein de la cohorte CO21 CODEX de l’ANRS. Ces patients séropositifs, infectés depuis plusieurs années, n’ont pas de virus détectable dans leur plasma et gardent un taux élevé de cellules T CD4, les cellules immunitaires cibles du virus. Ils ne développent donc pas de maladie, et contrôlent naturellement l’infection en l’absence de thérapie.
D’importantes avancées dans la compréhension de ce mécanisme de protection ont déjà été réalisées. L’équipe d’Asier Saez-Cirion, au sein de l’unité VIH, Inflammation et persistance, dirigée par Michaela Müller-Trutwin, a notamment mis en évidence de manière avérée deux facteurs impliqués dans le contrôle de l’infection : l’activité des cellules T CD8 qui reconnaissent les cellules infectées par le VIH-1 et les suppriment très efficacement, ainsi qu’un facteur conférant aux cellules cibles du virus une résistance, qui limite leur infection par le VIH. Les chercheurs poursuivent actuellement ces travaux pour identifier les mécanismes qui permettent d’induire ces cellules suppressives T CD8 capables de bloquer fortement la réplication du VIH.
D’autres recherches indiquent que les lymphocytes CD4 de la « mémoire centrale » jouent un rôle essentiel chez les HIC et expliquent les défenses exceptionnelles de ces patients qui se comportent comme s’ils étaient vaccinés. L’équipe de Lisa Chakrabarti - groupe Pathogénie virale - a en effet observé que les cellules immunitaires T CD4+ de ces patients ont la capacité de reconnaître des quantités minimes de virus. Cette détection particulièrement sensible dépend de l'expression de récepteurs T spécifiques situés à la surface des cellules immunitaires, ciblant avec une haute affinité la protéine de capside du VIH. L'expression préférentielle de ces récepteurs pourrait permettre le maintien du système immunitaire en état d'alerte constant et contribuer ainsi au contrôle du VIH.
Les travaux sur les patients HIC sont menés dans le cadre d’un consortium de laboratoires de recherche mis en place par l’ANRS. Pour la première fois, il est possible d’étudier le système immunitaire organisé pour lutter efficacement contre le virus. Ces travaux devraient influencer les futures stratégies vaccinales et thérapeutiques.
Les muqueuses, des sites clés pour la transmission du virus et son contrôle naturel
Les muqueuses sont les sites privilégiés pour l'entrée du VIH dans l'organisme. La transmission hétérosexuelle homme-femme est la voie principale de transmission via les muqueuses du tractus reproducteur féminin. Par ailleurs, au cours de la grossesse, 90% des enfants de femmes VIH-1 positives sont naturellement protégés de l’infection par le VIH. Les chercheurs de l’Institut Pasteur ont montré que le placenta et son environnement jouent un rôle important dans cette protection. Ainsi, l’équipe d’Elisabeth Menu - groupe MISTIC, dans l’unité VIH, inflammation et persistance, dirigée par Michaela Müller-Trutwin -, a mis en évidence le rôle de l’immunité innée de la muqueuse à l’interface materno-fœtale dans la prévention naturelle de la transmission in utero du VIH-1.
Sur la base de leurs résultats, les chercheurs de cette équipe développent actuellement des études sur le contrôle de la transmission au niveau des muqueuses du tractus génital chez la femme non enceinte. Ils s’intéressent particulièrement à des récepteurs de l’immunité innée, les récepteurs Toll-Like (TLR), qui reconnaissent des motifs de pathogènes et qui enclenchent les réponses immunitaires.
Ils étudient également l’impact du liquide séminal lors d’expositions intra-vaginales sur les réponses immunitaires locales et notamment sur les réponses vaccinales et l’inflammation. Enfin, ils s’intéressent au rôle du microbiote vaginal sur la susceptibilité aux co-infections et sur les réponses immunitaires.
L’ensemble de ces travaux pourrait aboutir à l’identification de nouveaux mécanismes de défense contre des pathogènes au niveau des barrières que sont les muqueuses.
L’immunité innée, un mécanisme majeur dans le contrôle de la réplication du VIH
On sait aujourd’hui qu’une activation des réponses immunes innées est essentielle pour l’induction des réponses spécifiquement dirigées contre le VIH, à savoir les réponses en anticorps et lymphocytes cytotoxiques. Cet axe de recherche concernant le rôle de l’immunité innée contre le VIH constitue un champ de recherche très actif à l’Institut Pasteur. Plusieurs laboratoires travaillent sur le rôle des
cellules dendritiques, des macrophages et des cellules naturelles tueuses dans l’induction des réponses immunes spécifiques, notamment dans le cadre de la recherche vaccinale. Le virus se mulitplie majoritairement au sein des organes, tels que l’intestin etles ganglions lymphatiques, notamment dans leurs follicules. Or, ces follicules sont des sites importants de production d’anticorps, et jouent par conséquent un rôle clé dans la réponse immune spécifique. La forte réplication virale au sein des follicules des ganglions lymphatiques pourrait donc perturber l’induction de bonnes réponses en anticorps, d’autant que les tri-thérapies actuelles ne réussissent pas à contrôler
complètement la réplication du VIH dans ces follicules. Le modèle animal permet de quantifier la multiplication du virus dans les différents organes. Grâce à une technologie d’imagerie et de constructions d’images en 3D, l’équipe de Michaela Müller-Trutwin (unité VIH, inflammation et persistance) dissèque et suit dans ce cadre les réponses immunes innées au sein des follicules.
Ces études apportent une nouvelle compréhension sur les possibilités de contrôler la réplication virale. Elles sont menées en collaboration avec le Centre des modèles de maladies et thérapies innovantes (IDMIT) au CEA, et sont soutenues par l’Institut de recherche vaccinale (VRI) à Créteil.
Physiopathologie de l’infection et mécanismes d’immunodéfiscience
De nombreuses analyses sont faites chez l’animal et chez l’homme (suivi de patients séropositifs) pour comprendre comment le virus dérègle le système immunitaire, qui est détruit en grande partie pendant l’infection.
Comprendre le passage de la séropositivité à la maladie déclarée
Le groupe de Michaela Muller-Trutwin, précédemment dans l’unité de Régulation des infections rétrovirales, dirigée par Françoise Barré-Sinoussi, a démontré formellement que c’est l’inflammation chronique induite par l’infection VIH qui est responsable du passage de la séropositivité vers la maladie sida. Cette découverte a pu être réalisée en étudiant le réservoir animal du VIH, le SIV (virus de l’immunodéficience simienne) présent chez les singes d’Afrique. Les singes verts d’Afrique sont porteurs chroniques du SIV, mais maintiennent leurs cellules T4 et n’évoluent pas vers la maladie. Contrairement aux hommes infectés par le VIH, les singes d’Afrique sont capables de résoudre rapidement l’inflammation induite par le virus et ne présentent pas d’inflammation chronique. Les résultats chez le modèle simien ont permis d’orienter les recherches sur l’inflammation chez l’homme. Des études chez l’homme sont en cours pour identifier les meilleurs marqueurs de l’inflammation associés à une mauvaise réponse antivirale ou un risque plus élevé de développer des maladies non-sida. D’autres projets de recherche visent à identifier le mécanisme qui permet de résoudre l’inflammation chez le singe d’Afrique, ce qui pourrait contribuer à développer et/ou trouver des parades contre l’inflammation chronique chez l’homme.
Le virus perturbe les contacts entre les cellules du système immunitaire et leur fonction dans la réponse immune
Des chercheurs de l’unité de Biologie cellulaire des lymphocytes, dirigée par Andrès Alcover, et de l’unité Virus et immunité, dirigée par Olivier Schwartz, ont découvert un mécanisme par lequel le virus du sida altère la réponse immunitaire. Les scientifiques ont ainsi démontré que l’infection des lymphocytes T par le virus perturbait des contacts cellulaires entre ces lymphocytes T et d’autres cellules du système immunitaire. Ces contacts, appelés « synapses immunes », sont indispensables au déclenchement des réponses immunitaires.Le virus modifie subtilement la localisation à l’intérieur des lymphocytes T de certaines protéines perturbant les fonctions de ces cellules.
Effets immunologiques à long terme d’une infection pendant l’enfance
Les enfants peuvent être infectés par le VIH in utero, en fin de grossesse, ou lors de l’accouchement, si leur mère est séropositive. Le développement de leur maladie est très différent de celui de personnes infectées à l’age adulte. En effet, les défenses immunitaires de l’enfant sont moins fortes que celles des adultes, et donc moins efficaces face au virus. Elles se renouvellent en revanche mieux et le potentiel de reconstitution du système immunitaire de l’enfant est plus élevé que celui de l’adulte. Grace aux antirétroviraux, les enfants infectés à la naissance peuvent atteindre l’âge adulte. La première génération de ces enfants, nés avant l’ère des trithérapies, a ainsi quitté les services de pédiatrie pour les services de médecine adulte. La question revient maintenant à savoir si leur système immunitaire est semblable à celui de patients infectés à l’âge adulte. Florence Buseyne et son groupe Immunité des infections rétrovirales humaines, au sein de l’unité Epidémiologie et physiopathologie des virus oncogène, dirigée par Antoine Gessain, s’attachent à y répondre. S’appuyant sur l’étude de la cohorte nationale française d’enfants infectés, ces travaux ont montré que la reconstitution des lymphocytes T CD4 est restée efficace chez ces jeunes et compense bien l’effet délétère du virus sur le long terme. Les recherches en cours visent à savoir si le traitement très précoce du nourrisson - avant 6 mois - peut avoir un bénéfice à long terme.
Comment le virus entre, se mutliplie et se dissémine dans les cellules humaines, et comment ces dernières se défendent
Plusieurs équipes de l’Institut Pasteur ont pour objectif de décrypter les mécanismes d’entrée du virus dans les cellules cibles, son intégration au patrimoine génétique de ces cellules, la façon dont il détourne la machinerie cellulaire pour « se faire produire » par la cellule qu’il infecte, les mécanismes de défense des cellules cibles contre l’infection, etc.
Suivre la dynamique de l’infection
Les mécanismes moléculaires impliqués dans l'infection et la dissémination du virus dans l’organisme, ainsi que dans la réponse du système immunitaire face à cette infection sont étudiés par l’unité Virus et immunité, dirigée par Olivier Schwartz. Ces travaux concernent notamment les mécanismes du passage du VIH d'une cellule à l'autre - mode privilégié de propagation du virus - ou encore les barrières de défense antivirale mises en place par la cellule elle-même. Le virus VIH se multiplie en effet de façon efficace en passant directement d’une cellule infectée à une cellule cible non infectée. L’unité étudie les mécanismes de formation des « synapses virologiques » qui assurent la transmission intercellulaire du virus et lui permettent probablement d’échapper en partie à la réponse du système immunitaire (anticorps et cellules cytotoxiques). Les chercheurs se penchent également sur le rôle de protéines cellulaires, appelées facteurs de restriction, qui bloquent la multiplication virale à différentes étapes du cycle de multiplication du virus.
Bloquer la réplication du virus
L’équipe précédemment menée Gianfranco Pancino, et désormais dirigée par Asier Saez-Cirion, dans l'unité VIH, inflammation et persistance, a révélé que l’activation des macrophages, principales cellules cibles, avec les lymphocytes T CD4, de l’infection au VIH-1, bloque la multiplication du virus en l’empêchant d’établir une infection persistante. Les chercheurs ont identifié une molécule cellulaire, appelée p21, responsable de cette inhibition.
L’équipe d'Elisabeth Menu, dans la même unité, travaille sur les mécanismes de restriction de l'infection dans les cellules trophoblastiques du placenta, des cellules humaines naturellement résistantes au VIH-1. Ces cellules pourraient contribuer au contrôle de la transmission du VIH-1 in utero de la mère à l’enfant (voir plus haut « Les muqueuses, des sites clés pour la transmission du virus et son contrôle naturel).
L’imagerie super-résolutive pour comprendre comment le virus se réplique
L’unité d’Imagerie et de modélisation, dirigée par Christophe Zimmer, utilise des techniques d'imagerie optique à haute résolution pour étudier des aspects encore obscurs de l'interaction du VIH avec la cellule hôte. En collaboration avec Francesca Di Nunzio, au sein du laboratoire de Virologie moléculaire et vaccinologie de Pierre Charneau, les chercheurs de l’unité ont développé une méthode de microscopie à fluorescence super-résolutive adaptée à l'étude de protéines virales. Ils ont ainsi obtenu des visualisations du VIH dans les cellules infectées avec une résolution d'environ 30nm... le diamètre d’une molécule d’ADN compactée. Leurs résultats indiquent que le virus reste majoritairement emprisonné dans une capside conique dans le cytoplasme des cellules infectées. Plus récemment, ils ont contribué à analyser le rôle de Tpr, une protéine des pores nucléaires, dans l'intégration chromosomique du génome viral. Avec Francesca Di Nunzio, ils ont pu montrer que Tpr guide le génome viral vers des régions actives des chromosomes, ce qui facilite l'expression et la réplication du virus. Dans un projet en cours, les chercheurs utilisent des méthodes d'imagerie avancées pour étudier l'interaction du virus avec les pores nucléaires, les microtubules et les chromosomes. Ces travaux contribuent à une meilleure compréhension du cycle réplicatif du VIH et pourraient déboucher sur l'identification de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Un dialogue entre cellules de l’immunité favorable à la multiplication du virus ?
L'unité Immunité anti-virale, biothérapie et vaccins, dirigée par Marie-Lise Gougeon, s’est intéressée aux mécanismes développés par le VIH pour échapper à l’immunité innée, portée notamment par les cellules dendritiques (DC) et les cellules natural killer (NK). L’équipe a découvert différentes stratégies virales qui conduisent d’une part à l’incapacité des cellules NK à éradiquer les cellules DC infectées, et d’autre part à un processus d’augmentation de la réplication virale dans les DC. Ces stratégies virales impliquent une protéine, HMGB1, molécule inflammatoire indispensable au dialogue NK-DC, nécessaire à la maturation des DC et à l’activation des NK en cellules tueuses. Par ailleurs, la protéine HMGB1 contribuerait à la persistance virale dans le système nerveux central. Enfin, l’étude de l’impact du VIH sur les DC plasmacytoides (pDC) a mis en évidence la capacité du VIH à rendre les pDC tueuses. Ces pDC tueuses auraient un rôle protecteur en phase aiguë de l’infection (via leur capacité à détruire des T CD4 infectées), mais aussi un rôle délétère en phase chronique par la destruction de cellules non infectées exprimant un récepteur particulier. Ces résultats contribuent à une meilleure compréhension des mécanismes d’échappement à l’immunité développés par le VIH et ils ouvrent des voies vers des stratégies d’éradication virale.
L’amélioration des thérapies
Un gel pour contrôler l’entrée du VIH dans les cellules cibles
En 2009, un travail collaboratif soutenu par l’ANRS, entre des équipes de l’Institut Pasteur (Françoise Baleux dans l’unité de Chimie des biomolécules, dirigée par Laurence Mulard, et Sylvie Pochet, CNRS-UMR3523, unité Chimie et biocatalyse), du CEA, du CNRS et des universités Joseph Fourier et Paris-Sud 11, a permis de développer une molécule capable de bloquer l’entrée du VIH dans ses cellules cibles. Initialement composée d’un fragment de protéine mime le CD4 et d’un fragment d’héparine synthétique, cette construction moléculaire originale a par la suite été optimisée en remplaçant avantageusement le fragment d’héparine par un peptide sulfaté. Ce composé a été évalué chez l’animal en tant que gel microbicide, approche préventive visant à protéger contre l’infection par le VIH. Suite à un challenge vaginal, 83% des animaux ont ainsi pu être été protégés. En plus de leurs capacités à inhiber l’infection par les virus libres, cette famille de molécules inhibe également le passage du virus d’une cellule à l’autre. En complément de leur utilisation préventive, ces molécules devraient donc pouvoir être utilisées dans une approche thérapeutique.
Modéliser de la rémission
On ne peut pas interrompre la thérapie antirétrovirale chez des patients traités en phase chronique sous peine d’une réactivation du virus. Des patients traités très précocement après l’infection et qui continuent à contrôler le virus après interruption de la thérapie ont été récemment identifiés. Des recherches sur ces patients ont été entreprises dans le cadre de l’étude VISCONTI de l’ANRS afin de déterminer les paramètres qui peuvent conduire à une rémission permanente (équipe d’Asier Saez-Cirion dans l’unité VIH, inflammation et persistance, dirigée par Michaela Müller-Trutwin). Sur la base de ces découvertes, des essais pré-cliniques et cliniques sont aujourd’hui initiés afin de tester de nouvelles stratégies prometteuses. Un essai multicentrique de phase III, évaluant chez des patients en primo- infection VIH-1 l’impact sur le réservoir viral (par quantification de l’ADN VIH-1 dans les cellules du sang) d’une combinaison comprenant différentes combinaisons d’anti-retroviraux, est actuellement mené par l’ANRS en collaboration avec des chercheurs à/de l’Institut Pasteur.
Des anticorps neutralisants ultra-puissants pour bloquer le virus et éliminer son réservoir
Certains malades développent des anticorps anti-VIH-1 neutralisants extrêmement puissants et à large spectre appelés bNAbs. Le groupe Réponse humorale aux pathogènes, mené par Hugo Mouquet, étudie actuellement les réponses des cellules B mémoires et des anticorps contre le VIH-1 chez ces individus, afin de comprendre comment ces rares anticorps se développent. Les chercheurs caractérisent leurs diverses propriétés antivirales telles que leur activité empêchant le passage du virus à travers des cellules épithéliales dans les tissus muqueux. Ils tentent également de disséquer les mécanismes moléculaires et structurels responsables de leur large activité neutralisante contre les souches divergentes du VIH-1. Enfin, le groupe s’intéresse à caractériser le rôle des médicaments antiviraux dans la restauration des réponses d'anticorps efficaces dans les sites muqueux.
Les chercheurs de l’équipe d’Olivier Schwartz de l’unité Virus et immunité (Institut Pasteur/CNRS), cofinancée par le Vaccine Research Institute (VRI), et du groupe dirigé par Hugo Mouquet, en collaboration avec l’équipe d’Olivier Lambotte (Hôpital Bicêtre), ont démontré que les bNAbs agissent de façon complémentaire. Tout d’abord, les bNAbs neutralisent la propagation du virus et notamment son passage de cellule à cellule. Par ailleurs, ils sont également capables, pour les plus efficaces d’entre eux, de reconnaître directement les cellules infectées et d’entraîner leur destruction par les cellules Natural Killer (NK), cellules du système immunitaire chargées d’éliminer les cellules anormales de l’organisme. Or, il persiste chez les patients sous traitement antirétroviral un « réservoir viral », responsable de la reprise rapide de la multiplication du virus en cas d’arrêt du traitement. Eliminer ou diminuer significativement ce réservoir représente une stratégie potentiellement intéressante pour arriver à une « rémission fonctionnelle » qui permettrait de diminuer ces traitements. Dans cette optique, l’utilisation des anticorps bNAbs constitue une piste prometteuse.
La caractérisation de ces anticorps bNAbs est importante à plusieurs titres. La façon dont ils reconnaissent l’enveloppe virale donne en effet des informations précieuses pour la conception de candidats vaccins. De plus, il a déjà été démontré que les bNAbs peuvent être utilisés chez l’homme. Les plus efficaces sont actuellement en cours d’essai clinique aux Etats-Unis pour leur faculté à abaisser significativement la charge virale pendant 28 jours. Ces immunothérapies représentent donc de nouvelles stratégies thérapeutiques ou préventives prometteuses.
Par ailleurs, l’équipe de Monsef Benkirane (IGH, Montpellier) a récemment identifié des « biomarqueurs », des molécules cellulaires sélectivement présentes à la surface des cellules du réservoir. L’unité d’Olivier Schwartz teste également des stratégies visant à éliminer les cellules présentant ces biomarqueurs, afin de diminuer là encore la taille du réservoir viral chez les personnes infectées.
Un modèle murin humanisé pour tester de nouvelles thérapies
Le recours à des modèles murins humanisés pour le système immunitaire (HIS) permet de modéliser la réplication du VIH-1 et les réponses immunes in vivo. Ces modèles aident entre autres à comprendre la physiopathologie induite par le virus et à tester des immunothérapies pour la prévention et le traitement du VIH-1, comme les anticorps neutralisants à large spectre (BNabs), ainsi que des vaccins stimulant le système immunitaire. Guillemette Masse-Ranson, dans l’unité Immunité innée dirigée par James Di Santo, a développé une série de nouveaux modèles murins HIS qui améliorent les réponses immunes humaines innées et adaptatives. En étudiant ces modèles, elle teste de nouvelles immunothérapies combinées qui peuvent potentiellement cibler le réservoir viral in vivo. Ces projets de « HIV cure » sont financés par le Vaccine Research Institute (Yves Lévy) et par Gilead Sciences, Inc (Olivier Schwartz).
L’utilisation du papier buvard pour mesurer la charge virale
La détection précoce de l'échec thérapeutique est un défi majeur pour la prise en charge des patients sous traitement antirétroviral (TARV) afin d'optimiser l'efficacité du traitement, de favoriser une bonne observance au traitement, de prévenir l'accumulation des résistances virales et de ne pas compromettre les options thérapeutiques futures. La technique de référence pour détecter l’échec thérapeutique repose sur la mesure de la charge virale VIH. Cependant, dans les pays en développement, les patients vivants en zone décentralisée, qui représentent plus de la moitié des patients, ont un accès très limité à cette mesure. La complexité de la technique, le cout élevé du matériel nécessaire et le manque de personnel centres urbains. La mesure de la charge virale s’effectue préférablement sur un échantillon de plasma, mais le transfert de tels échantillons est complexe du fait de la rapide détérioration de l'ARN viral à température ambiante, nécessitant donc une chaine de froid. Dans les pays en développement, la mise en place d'un système pérenne de transfert de plasma est coûteuse et difficile. L'utilisation du support de prélèvement par tâche de sang séchée (Dried Blood Spot - DBS), qui a été introduite dans les dernières recommandations de l'Organisation Mondiale de la Santé, permettrait de surmonter les difficultés de transfert des échantillons.
Afin de favoriser l'utilisation du DBS pour permettre l'accès à la charge virale, le projet MOVIDA (Monitoring Of Viral load In Decentralised Area) a été développé par des chercheurs de l’Institut Pasteur à Paris Fabien Taïeb, Centre de Recherche Translationnelle, et Yoann Madec, unité Epidémiologie des maladies émergentes, dirigée par Arnaud Fontanet). Au Vietnam, deux études ont été réalisées par les équipes de virologie et épidémiologie du National Institute of Hygiene Epidemiology (NIHE) et au sein de centres de soins pour le VIH à Hanoi, dans le but de former les équipes locales à la réalisation de la mesure de la charge virale sur papier buvard(DBS) et d’en évaluer différentes techniques. Une étude de plus grande ampleur dans six provinces du Nord Vietnam devrait démarrer prochainement grâce au soutien du Fonds mondial de lutte contre le sida en vue de l’utilisation de la technique à l’échelle du pays. Au Cameroun, une étude a été réalisée dans 12 centres décentralisés issus de trois régions (Centre, Est et Nord-Ouest). Cette étude a permis d’évaluer virologiquement près de 1000 patients et de mettre en évidence une proportion inquiétante de cas en échec virologique. Elle a fourni des informations précieuses tant au niveau individuel que collectif et programmatique. Les équipes participant au projet MOVIDA souhaitent maintenant évaluer la mise à l’échelle de l’utilisation du DBS au Cameroun.
Les espoirs de la recherche vaccinale
Un candidat vaccin rougeole-VIH d’ores et déjà testé chez l’homme
Un candidat-vaccin « VIH-rougeole » a été mis au point dans le laboratoire de Génomique virale et vaccination dirigé par Frédéric Tangy à l’Institut Pasteur. Une première version de ce vaccin a été testée chez l’homme en 2011. Cet essai de phase I a permis de démontrer l’innocuité et l’immunogénicité du vaccin chez des adultes ayant déjà été vaccinés contre la rougeole. L’efficacité d’une nouvelle version améliorée du vaccin vient d’être testée dans un modèle primate. Le vaccin a montré sa capacité à protéger 75% des animaux contre l’établissement de l’infection chronique. Il s’agit d’un vaccin « recombinant » basé sur le virus vaccinal atténué de la rougeole, qui a depuis 40 ans prouvé son innocuité et son efficacité sur plusieurs milliards de bébés vaccinés dans le monde. Les chercheurs ont introduit plusieurs gènes du VIH dans le génome du virus vaccinal pédiatrique. Un tel vaccin combiné permettrait de protéger à la fois contre le sida et la rougeole.
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