Le soin par l’oreille : une pratique ancestrale


L’utilisation de l’oreille pour soigner un certain nombre de maux ne date pas d’hier. Il y a plus de 5 200 ans, les Égyptiens pratiquaient par exemple la puncture de l’oreille comme moyen de contraception, tant chez les femmes que chez les hommes, ou comme remède analgésique. Considéré traditionnellement comme le « père de la médecine occidentale », Hippocrate (460 à 377 avant J.-C.) a lui aussi décrit un tel traitement basé sur des saignées à l’oreille : « Ceux qui ont subi des incisions à côté des oreilles usent, il est vrai, du coït et éjaculent, mais leur éjaculation est peu abondante, inactive et inféconde* ».

Dans les tout premiers livres de médecine chinoise, et notamment d’acupuncture, le traitement auriculaire est considéré comme un moyen pour soulager les douleurs, la constipation, les diarrhées ou encore comme un remède pour faire sortir une personne du coma.

Dans le Bassin méditerranéen, les soins par l’oreille sont aussi large- ment pratiqués. Abu al-Qasim (vers 940-1013), célèbre médecin et chirurgien arabe, recommande ainsi les cautérisations au niveau des oreilles pour soigner notamment les migraines ou les douleurs dentaires. Cette technique médicale basée sur l’utilisation de la chaleur est bien connue des médecins de l’époque (depuis Hippo- crate, au IVe siècle avant Jésus-Christ) et sert à traiter un grand nombre d’indications. Le grand médecin perse Avicenne (IXe siècle) préconise, quant à lui, l’incision des veines rétro-auriculaires dans « les maladies de la tête ». Dans ses écrits, il localise aussi un point clé situé au niveau du lobe de l’oreille. Ce n’est pas un hasard si les pirates et les corsaires portaient tous un anneau à l’oreille à cet endroit précis, correspondant à... la vision ! Il valait mieux, en effet, avoir de bons yeux pour repérer au loin les adversaires. Dans les pays arabes aussi, on retrouve cette pratique qui consiste à percer les oreilles des petites filles dès leur premier anniversaire pour leur assurer une bonne vision. Sur certains tapis fabriqués en Iran, il est également intéressant de constater qu’il existe des représentations d’hommes soignant des malades en traitant l’oreille...

En Angleterre aussi, pendant la période féodale, on perce les oreilles des petites filles dès leur naissance pour qu’elles aient une meilleure vue. Au XVIe siècle, les médecins espagnols pratiquent la cautérisation auriculaire pour guérir de la sciatique. Au début du XVIIIe siècle, Antonio Maria Valsalva (1666-1723), médecin anatomiste italien (et inventeur du terme « trompe d’Eustache »), identifie un point auriculaire pour soulager les rages de dents. Dans un tableau du peintre néerlandais Jérôme Bosch peint en 1480, Le Jardin des délices terrestres, et plus précisément dans le panneau de droite représentant l’Enfer, on retrouve aussi une représenta- tion de l’oreille avec une aiguille la transperçant sur les zones de la libido. Le reste de la représentation fait allusion sans compromis au sexe masculin.

Au cours du XIXe siècle, plusieurs médecins français et américains s’intéressent à la pratique espagnole consistant à cautériser une zone de l’oreille pour soigner la sciatique. Nul ne sait qui a eu cette idée de travailler sur l’oreille dans le but de traiter un nerf situé sur le membre inférieur. Personne n’est capable d’expliquer comment tout cela fonctionne, mais peu importe : les résultats sont là et la pratique se répand. S’y ajoutent des traditions, en apparence étranges, que l’on trouve dans différentes régions du globe et à diverses époques.

La découverte du Dr Paul Nogier
Il faudra attendre les années 1950 pour que naisse vraiment l’auriculothérapie, grâce aux nombreuses années de recherches cliniques menées par le Dr Paul Nogier (1908-1996), médecin français homéopathe et acupuncteur originaire de Lyon. Remarquant que plusieurs de ses patients atteints de sciatique avaient une cicatrice particulière à l’oreille, il s’intéressa à cette pratique ancienne. Ses patients avaient été traités par une guérisseuse de Marseille, Mme Barrin, qui avait cautérisé un point particulier de l’oreille correspondant à leur zone douloureuse. Il commença alors lui aussi à cautériser ce « point de sciatique » et rencontra un vrai succès. Il constata également que ce point ne soulageait que les sciatiques, et pas d’autres douleurs.

Suite à cette première expérience, il se mit en quête d’autres points pouvant agir de la même façon pour d’autres zones et donc d’autres pathologies. Un jour, il eut le déclic : l’idée lui vint de comparer la partie saillante de l’oreille (l’anthélix) avec la colonne vertébrale, puis le pavillon auriculaire dans son entier avec un corps. En partant du point de la sciatique, il en conclut que le haut de l’oreille correspondait au bas du corps, et que le bas de l’oreille correspondait à la tête. Il théorisa donc l’idée que l’oreille représentait l’ensemble du corps anatomique et pourrait donc être utilisée pour traiter de nombreux maux. L’oreille est devenue un « micro- système » du corps entier. Il fut aussi le premier à faire l’analogie entre les reliefs du pavillon auriculaire et la représentation d’un fœtus humain en position tête en bas, créant ainsi la toute première cartographie du pavillon auriculaire.

S’inspirant des travaux du Dr Jean Niboyet (lequel avait constaté que la peau présentait une résistance plus faible au niveau des points d’acupuncture), il découvrit aussi que les points électrique- ment perturbés sur l’oreille signalaient des dysfonctionnements au niveau des organes. Il suffisait donc de détecter ces points pour identifier les pathologies. Pour désigner sa méthode, il créa alors le terme d’auriculothérapie, formé de auricula, signifiant « petite oreille » en latin, et therapeuein, qui signifie « soigner » en grec.

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QU’EST-CE QU’UN « MICROSYSTÈME » ?
Les microsystèmes utilisent une zone du corps (par exemple les oreilles, le crâne, les mains ou les pieds) pour traiter les conditions qui sont présentes partout dans le corps. On retrouve ce même principe dans la réflexologie plantaire, le traitement en acupuncture et en digitopuncture par les systèmes holographiques de projection miroir et image, le Dien Chan, l’acupuncture coréenne ou les techniques d’automassage des mains telles que le Su Jok.
Pour en savoir plus : Ma bible des points qui guérissent, Laurent Turlin et Alix Lefief-Delcourt, éditions Leduc.s, 2018.
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Laurent Turlin

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