Le malaise vagual, un trouble souvent sans danger

La scène se passe à Dole, dans le Jura. Le comédien Michel Serrault joue le rôle de Francis*, un chef d’entreprise assailli par les soucis : sa femme le traite avec mépris ; sa fille prépare une fête de mariage somptuaire qu’il n’a pas les moyens de lui offrir ; ses employées sont mécontentes et menacent de faire grève... Cerise sur cet indigeste gâteau : un contrôle fiscal finit de mettre ses nerfs à vif. Pour l’apaiser, son ami Gérard, incarné à l’écran par Eddy Mitchell, l’emmène dans son auberge préférée déguster son plat favori : des rognons grillés. Francis commence à se détendre, aidé en cela par un bon verre de vin blanc. Il remercie son ami, lève sa fourchette et... tombe brusquement le nez dans ses rognons ! Branle-bas de combat, Samu, ambulance, arrivée aux urgences... Heureusement, Francis se remet rapidement sur pied. Ce qui l’a touché n’est pas grave : un simple malaise vagal.

Nous y voilà ! Car le malaise vagal constitue généralement notre première rencontre avec le nerf vague. Ce trouble fréquent, que l’on qualifiait autrefois de « syncope », est le plus souvent sans danger. Il découle d’une chute brutale de la pression artérielle, assortie d’un ralentissement du rythme cardiaque. À l’origine de ces manifestations, un déséquilibre entre les deux branches du système nerveux autonome (la branche sympathique et la branche parasympathique) généré par une modification de l’activité du nerf vague.

Ce nerf, nous ne le connaissons qu’à travers ce type de malaise brutal qui n’a pas grande signification sur le plan de la santé (sauf lorsqu’il se répète souvent et sans raison). Pourtant, il joue un rôle essentiel dans notre équilibre interne. On commence déjà à entrevoir son importance : en dehors de ce type de malaise accidentel, le nerf vague ne nous veut que du bien !

UN NERF PAS SI VAGUE QUE ÇA...
Le nerf dit « vague » est le dixième nerf crânien. C’est le plus long du corps. Par lui transitent la majeure partie des informations qui s’échangent entre le cerveau et l’ensemble de nos organes : cœur, poumons, reins, estomac, intestin, foie, rate, pancréas... Nous y reviendrons (voir chapitre 1, p. 26). Grâce à ce nombre impressionnant de données, le cerveau est tenu au courant seconde par seconde de ce qui se passe dans notre corps. En sens inverse, il envoie aux organes et aux tissus des ordres adaptés aux informations qu’il a reçues, toujours via le nerf vague. C’est ainsi que les millions d’opérations biochimiques qui nous maintiennent en vie, et surtout en bonne santé, sont régulées en permanence avec le concours de ce précieux agent de transmission et de communication.

Ajoutons à cela une autre notion essentielle : le nerf vague transporte en priorité les messages « parasympathiques » (voir chapitre 1, p. 22). Or, dans notre société (comme dans l’ensemble des sociétés occidentales), notre manière de vivre surstimule la branche sympathique au détriment de la branche parasympathique. Le nerf vague se tient donc au centre d’un réseau d’informations croisées. Nos équilibres internes dépendent en grande partie de sa capacité à compenser la surstimulation sympathique pour atteindre un équilibre favorable à notre bien-être et à notre santé.

UN PETIT DÉTOUR AU PAYS DU LANGAGE
À ce stade, nous pouvons nous interroger sur la validité du nom qu’on lui a donné. Dans notre langage courant, l’adjectif « vague » désigne ce qui est « flou, peu précis, changeant ». Le nerf vague mériterait mieux ! Rien, ni dans ses activités, ni dans sa structure, ni dans son parcours, ne justifie une telle appellation. Mais si l’on regarde de plus près la définition qu’en donne Le Petit Robert, on s’aperçoit que ce n’est pas si simple. Certes, le sens premier n’est pas faux, mais il est pour le moins parcellaire. Car « vague » signifie aussi « vagabond, errant ». C’est même le sens qui était le plus courant au cours des siècles précédents. Lorsque les scientifiques du xviie siècle ont commencé à entrevoir le rôle que pouvaient jouer le cerveau et le système nerveux, ils ont tenté d’identifier les nerfs les plus importants. C’est ainsi qu’ils ont découvert ce très long nerf aux ramifications multiples. Tout naturellement, ils lui ont donné le nom de « vague », puisque c’est un nerf qui vagabonde à l’intérieur de nos cavités thoracique et abdominale.

Dans son livre La formation de l’esprit scientifique*, le philosophe des sciences Gaston Bachelard tente d’analyser ce qui a permis de passer de l’esprit préscientifique à l’esprit scientifique. Il écrit : « Une connaissance générale est presque fatalement une connaissance vague. » Ce vague savoir, c’est celui dont disposaient les premiers scientifiques qui ont identifié ce nerf si particulier. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’ils aient opté pour cette appellation qui, depuis, est restée inscrite jusque dans nos dictionnaires. C’est donc ainsi que nous continuerons à l’appeler.

« Il faut confronter les idées vagues avec des images claires », fait dire Jean-Luc Godard à son personnage principal dans son film La Chinoise**. Cette confrontation est à l’œuvre dès que l’on parle de ce nerf. D’une idée vague (à l’époque où l’on ne savait pas grand-chose de lui), il a évolué en un savoir clair, au fur et à mesure que les connaissances se sont approfondies. Mais, dans nos esprits, il est resté « vague ». Et il y a fort à parier qu’il le reste à jamais.

CE NERF NE FAIT PAS DE VAGUES !
C’est un grand discret, ce nerf vague. Il travaille en silence, sans se faire remarquer, à la différence par exemple du nerf sciatique qui se rappelle à notre bon souvenir par de violentes douleurs dès que nous adoptons de mauvaises postures. Aujourd’hui, le nerf vague sort de l’ombre, et c’est tant mieux. Car c’est grâce à lui que notre organisme continue à fonctionner jusque dans notre sommeil le plus profond, voire dans certains états de coma.

Nos fonctions biologiques n’ont pas besoin d’être contrôlées de manière consciente. Seule la respiration peut être modulée par la seule force de la décision et de la volonté. Imaginez la situation inextricable dans laquelle nous nous trouverions si nous devions gérer de bout en bout, par des ordres et des contre-ordres conscients, notre digestion, notre sommeil ou notre élimination ! Il y a fort à parier que, si nous devions réaliser tout cela de notre propre chef, notre organisme fonctionnerait mal, voire pas du tout. Heureusement, tout cela se fait de manière inconsciente, sans que nous ayons besoin de nous en préoccuper.

C’est le miracle de notre corps. Nous devrions même dire : le miracle de notre nerf vague. Certes, il n’est pas responsable de l’ensemble de nos fonctions corporelles, ni de leurs éventuels dysfonctionnements. Ainsi, une douleur à la cheville, parce qu’on a fait un faux mouve- ment en descendant l’escalier ne doit rien au nerf vague. Mais dès que l’on souffre de maux qualifiés de fonctionnels (par opposition aux maux d’origine lésionnelle qui ont pour origine une lésion d’un organe ou d’un ensemble de tissus), le nerf vague est en ligne de mire Lorsqu’il ne parvient pas à mener à bien la multitude de tâches qui lui incombent (au moins au niveau du transfert d’informations), c’est l’ensemble de notre équilibre organique qui vacille.

UN NOUVEL ÉCLAIRAGE SUR LA PSYCHOSOMATIQUE
Les médecins et les chercheurs savent depuis plus d’un siècle que certains états psychiques et émotionnels ont des répercussions délétères sur notre état de santé. C’est ce que, dans la seconde moitié du xixe siècle, la science a qualifié de « psychosomatique ». Plus précisément, c’est le psychiatre allemand Johan Heinroth qui a créé ce terme au début du xixe siècle. Son sens est clair : en grec ancien, psukhê (psyché) désigne « l’âme », et sôma « le corps ». La psychosomatique désigne donc l’ensemble des influences que nos états d’âme, notre humeur et les stress auxquels nous réagissons, exercent sur notre corps physique, et donc sur notre santé.

Cette notion est aujourd’hui bien connue du grand public. De multiples études et de nombreux ouvrages détaillent l’impact du stress et des émotions sur notre état de santé. Ce que l’on savait moins, c’est que, même s’il n’est pas impliqué dans toutes les manifestations psychosomatiques, le nerf vague est tout de même partie prenante dans un très grand nombre de cas. On pourrait même le qualifier « d’autoroute de la psychosomatique ». Cela ouvre de nombreuses perspectives quant à la compréhension de ces phénomènes, mais aussi (et surtout) quant à la manière de lutter contre ces troubles que l’on qualifie parfois de « maladies du siècle ».

Et pour cause : nos conditions de vie actuelles mettent à mal nos délicats équilibres internes, à commencer par les fonctions relevant de l’activité du nerf vague. D’abord, à cause du stress généré par l’accélération du temps, l’obligation de réussite, la multiplication des sollicitations, l’afflux d’informations perturbantes... Ce sont autant d’éléments qui, nous le verrons, affectent l’activité du nerf vague. S’ajoutent à cela d’autres habitudes quotidiennes, notamment alimentaires, qui peuvent se révéler néfastes pour ce précieux allié de notre bien-être et de notre santé. Pourquoi ? Parce que toute tension, toute perturbation, toute carence, tout désordre susceptible de perturber le nerf vague se manifeste rapidement par des symptômes très variés.

Qui n’a jamais souffert de maux de tête, de difficultés digestives, de constipation, d’insomnies, de déprime passagère, de fringales incoercibles, d’anxiété chronique, d’infections à répétition... ? Qui s’est douté que ces troubles pouvaient être liés à une mauvaise activation de son nerf vague ? L’heure est venue de rendre ses lettres de noblesse à ce sous-général en chef (le général, c’est le cerveau). C’est en comprenant la manière dont il agit sur les organes que l’on peut saisir toutes les subtilités de ce nerf vraiment pas comme les autres. C’est aussi ce qui permet de mettre en place de nouveaux gestes et d’acquérir de nouvelles habitudes (rassurez-vous, ce n’est ni long ni compliqué) qui garantiront à votre nerf vague des conditions de fonctionnement optimales. Ce qui, par répercussion, vous évitera bien des problèmes de santé.

VOTRE OBJECTIF SANTÉ : STIMULER VOTRE NERF VAGUE
Vous l’avez compris : votre bien-être quotidien est, en grande partie, entre vos mains. Car si vous prenez soin de votre nerf vague, si vous intégrez à votre vie quotidienne quelques petits gestes en sa faveur, vous contribuerez à entretenir votre capital le plus précieux : votre santé. On raconte que Voltaire disait : « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé. » La formule est en parfaite adéquation avec les besoins de notre nerf vague. Tenir à distance les émotions perturbantes, éviter les stress inutiles, renoncer aux pensées négatives qui tournent en boucle, tout cela lui est bénéfique. Mais comment y arriver ? On n’est pas heureux sur commande !

 

La solution n’est pas de chercher le bonheur à tout prix. Ce serait une quête infinie et pour tout dire désespérée, car le bonheur n’est pas un état durable que l’on peut installer pour le reste de sa vie. La solution passe plutôt par des gestes simples, apparemment presque banals, qui prennent une tout autre dimension lorsqu’on les pratique régulièrement, de manière ciblée et surtout en les associant : des petits exercices de respiration et de relaxation, des courtes pratiques pour atténuer l’impact des émotions, des conseils d’équilibre alimentaire, et bien d’autres choses encore. Vous apprendrez, par exemple, que le simple fait de se gargariser ou de chanter fait le plus grand bien à votre nerf vague. Comme vous le voyez, il n’est pas très exigeant, ce nerf qui nous rend tant de services jour après jour ! Il ne vous demande pas beaucoup de temps, d’énergie ou d’attention. Il se contente de peu, à condition que ce « peu » soit bien organisé et mis en place de manière régulière.

Nous l’avons dit : les conditions de vie actuelles sur-stimulent les activités sympathiques de notre système nerveux. Le message ambiant est donc le suivant : « Efforcez-vous de les apaiser pour rétablir l’équilibre rompu. » Certes ! Mais lorsqu’on est tendu, soumis à des émotions violentes (un deuil, une perte d’emploi, le départ d’un enfant...), dépassé par des événements qui nous submergent, on ne voit pas très bien comment faire, sauf à s’astreindre à des plages de relaxation qui sont bien difficiles à atteindre lorsque l’on se trouve dans une telle situation. Le remède risque alors de devenir pire que le mal, un nouveau stress venant s’ajouter à la tension déjà existante : celui de ne pas parvenir à cette détente que l’on appelle de ses vœux.

Et si la solution se situait à l’opposé ? S’il fallait plutôt soutenir, activer, stimuler notre nerf vague afin qu’une meilleure circulation des informations parasympathiques vienne, naturellement, compenser la suractivité de la branche sympathique ? Lorsque l’on souffre du dos à cause de crispations musculaires, on dispose de deux solutions : soit on essaie de détendre ses muscles dorsaux à coups de massages et d’exercices posturaux (c’est difficile), soit on renforce ses muscles abdominaux afin qu’une transition s’opère naturellement et que les deux faces de notre corps, antérieure et postérieure, se rééquilibrent (c’est beaucoup plus simple). Il en est de même avec le nerf vague. Pour refroidir un bol de soupe chaude, vous pouvez souffler dessus (ce sera très long et peu efficace), ou rajouter un peu d’eau froide. C’est cette eau, bienfaisante comme une douche fraîche par temps de canicule, que vous allez offrir à votre nerf vague.

Dans les chapitres du livre présenté ci-dessous, vous allez découvrir comment stimuler votre nerf vague en douceur. Alors, Si cet extrait vous a intéressé,  vous pouvez en lire plus en cliquant sur l'icône du livre ci-dessous...

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* Ce film s’intitule Le bonheur est dans le pré. Il a été réalisé par Étienne Chatiliez et est sorti en salle en 1995. Il est disponible en DVD et en VOD.
* Ce livre a été publié pour la première fois par les éditions Vrin, en 1938, et régulière- ment réédité depuis.
** Ce film est sorti en 1967. Il est disponible en DVD.

Dr Yann Rougier / Marie Borrel

 
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