LA TUBERCULOSE MALADIE EN FRANCE EN 2018. FAIBLE INCIDENCE NATIONALE, FORTE INCIDENCE DANS CERTAINS TERRITOIRES ET GROUPES DE POPULATION


Jean-Paul Guthmann, Stella Laporal, Daniel Lévy-Bruhl
Santé publique France, Saint-Maurice, France

La situation de la France au regard de la tuberculose est marquée par une baisse constante des cas notifiés depuis des décennies. Cependant, les données nationales cachent une situation hétérogène marquée par d’importantes disparités. À partir des données de la déclaration obligatoire (DO), nous décrivons briève- ment les principales caractéristiques épidémiologiques de la tuberculose maladie en France en 2018, et faisons un focus sur les territoires et les groupes plus particulièrement atteints. En 2018, 5 092 cas de tuberculose maladie ont été déclarés, soit un taux de déclaration de 7,6 cas/100 000 habitants. Les taux de déclaration les plus élevés ont été observés en Guyane (25,7/100 000), en Île-de-France (16,1/100 000) et à Mayotte (11,5/100 000). Le taux de déclaration était près de 17 fois plus important chez les personnes nées à l’étranger que chez celles nées en France (respectivement 40,1/100 000 et 2,4/100 000). Le taux de déclaration était de 249/100 000 dans la population sans domicile fixe et de 76,0/100 000 chez les détenus. Malgré l’amélioration globale de la situation concernant l’épidémiologie de la tuberculose en France, les fortes incidences dans certains territoires et groupes de population nécessitent la poursuite des actions de lutte et la plus grande vigilance. Une adaptation des mesures tenant compte des situations épidémiologiques particulières est nécessaire, afin d’atteindre l’objectif d’élimination de la tuberculose en France et en Europe.

La tuberculose figure parmi les dix principales causes de décès et est la cause de décès la plus fréquente par un agent infectieux. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 10 millions de personnes ont contracté la tuberculose en 2017, et 1,5 million sont décédées1. Les enfants de moins de 5 ans sont particulièrement à risque de développer des formes graves, avec par conséquent un risque plus élevé de mort ou de séquelles. La situation en France n’est pas comparable à celle de l’ensemble du monde. Avec une tendance décroissante de son incidence depuis des décennies 2 et, depuis 2004, moins de 6 000 nouveaux cas
de tuberculose maladie déclarés chaque année, soit un taux annuel de déclaration inférieur au seuil de 10 nouveaux cas pour 100 000 habitants3, la France est, comme la plupart des pays de l’Union euro- péenne4, classée dans le groupe des pays de faible endémie tuberculeuse.
Cependant, les données nationales cachent une situation hétérogène marquée par d’importantes disparités 3, la tuberculose affectant plus particulière- ment des personnes vivant dans certains territoires ou dans des conditions sociales ou économiques les mettant à plus haut risque d’être infectées et/ou de développer la maladie. Nous décrivons brièvement dans cet article les principales caractéristiques épidémiologiques de la tuberculose maladie en France en 2018.
L’objectif principal est cependant de mettre l’accent sur les territoires ou les groupes plus particulière- ment atteints par cette maladie. Ils sont constitués principalement des populations les plus pauvres, les plus vulnérables socialement, celles qui ont le plus de mal à se loger ou à accéder au système de soins 5. La description de la tuberculose dans ces groupes est traitée de façon synthétique car elle est abordée de façon plus approfondie dans les autres articles de ce numéro du BEH.
Méthodes
La maladie tuberculeuse est à déclaration obligatoire (DO) en France depuis 1964, alors que plus récemment ont été mises en place la notification des infections tuberculeuses latentes chez les enfants de moins de 15 ans (2003) et celle des issues de traitement (2007). Cet article porte sur les données des cas de tuberculose maladie déclarés en France en 2018. L’organisation du dispositif de surveillance de la tuberculose et le rôle des différents acteurs impliqués sont décrits en détail ailleurs3. En résumé, la fiche de DO est adressée par le médecin ou le biologiste déclarant à l’Agence régionale de santé (ARS) de sa région, qui la saisit sur un logiciel dédié. Des fichiers électroniques régionaux ou départementaux anonymisés sont générés et traités par Santé publique France. Le traitement consiste en la validation des données au cours d’un processus d’apurement où sont notamment exclus les doublons et les cas de tuberculose déclarés, mais finalement non retenus comme étant des cas de tuberculose.

Les indicateurs générés par l’analyse sont le nombre de cas et les taux de déclaration de tuberculose annuels, déclinés par territoire (région et département) et par caractéristiques sociales et démographiques de la population. Dans le calcul des taux, les dénominateurs sont les estimations localisées de population générées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et, pour le calcul des taux chez les personnes nées hors de France, les données du recensement de 2015 de l’Insee.
Le traitement des données est effectué avec le logiciel Stata® version 14.2 et les comparaisons à l’aide du test du Chi2, avec une signification statistique au seuil de 5%. Un cas multirésistant (MDR) est défini comme un cas de tuberculose résistant à l’isoniazide et à la rifampicine. Tous les cas MDR présentés dans nos données ont été confirmés par le Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA).

Résultats
Principales caractéristiques de la tuberculose en France
En 2018, 5 092 cas de tuberculose maladie ont été déclarés, soit un taux de déclaration de 7,6 cas/100 000 habitants. Ce taux était en augmentation comparé à 2017, montrant que la légère tendance à la hausse observée depuis 2016 se poursuivait (figure 1). Cependant, cette variation entre 2017 et 2018 n’était pas statistiquement significative (p=0,40). Parmi ces cas, 82 étaient des cas MDR (1,6%), un nombre stable comparé aux années précédentes, fluctuant autour de 80 à 100 cas par an6. Les caractéristiques démo- graphiques, cliniques et bactériologiques des cas étaient très comparables à celles des années pré- cédentes3. Les cas se concentraient chez les hommes (n=3 378, 66%) et chez l’adulte jeune entre 20 et 39 ans (n=2 061, 41%), alors que les enfants de moins de 5 ans représentaient 2,4% (n=120) des cas. L’âge médian était de 38 ans. Les formes pulmo- naires (associées ou non à d’autres localisations) représentaient 70% des cas (n=3 584) et les formes exclusivement extra-pulmonaires 29% (n=1 488) des cas. Parmi les formes pulmonaires, 1 652 (46%) personnes avaient un examen microscopique positif, alors qu’il était négatif ou non renseigné, mais avec une culture positive sur prélèvement respiratoire chez 946 (26%) patients. Le nombre de cas de tuberculose pulmonaire considérés comme potentiellement contagieux (cas avec un résultat positif de microscopie ou de culture sur prélèvement respiratoire) était donc de 2 598, soit 72% des cas déclarés avec une localisation pulmonaire. Une localisation méningée (isolée ou associée à d’autres localisations) était signalée chez 106 cas de tuberculose déclarés (2,1%), et une forme miliaire (isolée ou associée à d’autres localisations) chez 132 patients (2,6%).

Formes sévères de tuberculose chez l’enfant
Huit formes méningées ou miliaires ont été notifiées en 2018 chez les enfants de moins de 15 ans, un nombre inférieur à celui de 2017 (15 cas) (figure 2). Ces 8 cas étaient plus fréquemment de sexe mas- culin (6 cas), 2 d’entre eux étaient âgés de moins d’1 an et 6 avaient plus de 5 ans. Parmi ces 8 enfants, 4 étaient nés en France et 4 à l’étranger (Algérie, Congo, Tchad, Albanie). Ils résidaient en Île-de-France (3 cas) ou en France métropolitaine hors Île-de-France (5 cas).
Le statut vaccinal BCG de l’enfant et son apparte- nance à un groupe ayant une indication vaccinale a permis de classer ces enfants selon l’évitabilité potentielle de la maladie par la vaccination. Parmi ces 8 cas, 3 étaient des échecs vaccinaux et n’ont donc pas été évités par la stratégie actuelle de vaccination (une forme méningée isolée, un cas associant une tuberculose génitale, un cas associant une forme pulmonaire et ganglionnaire intra et extra-thoracique). Parmi les 5 autres cas, 2 cas (associant également une localisation pulmonaire) n’étaient pas vaccinés, mais n’avaient pas d’indication vaccinale (ils pouvaient être considérés comme potentiellement évitables par la politique de vaccination universelle qui a prévalu jusqu’en 2007), un cas (forme méningée pure) était considéré comme potentiellement évitable par la stratégie actuelle de vaccination BCG (indication vaccinale BCG, mais non vacciné) et 2 cas (forme méningée pure pour l’un, méningée-miliaire et pulmonaire pour l’autre) ne pouvaient pas être classés en raison d’un statut vaccinal inconnu.

Incidence élevée de tuberculose dans certains territoires ou groupes de population
Tuberculose dans certains territoires
Le nombre de cas et les taux de déclaration variaient selon les régions (figure 3). Excepté dans trois régions, les taux de déclaration étaient inférieurs à 10 cas/100 000 habitants en 2018, seuil considéré par l’OMS pour définir une région de faible endémie tuberculeuse.

Trois territoires rapportaient, comme au cours des dernières années, les taux de déclaration les plus élevés : la Guyane (25,7/100 000), l’Île-de- France (16,1/100 000) et Mayotte (11,5/100 000). La région Île-de-France concentrait à elle seule plus d’un tiers des cas déclarés (n=1 956) alors que le nombre de cas était faible en Guyane (n=74) et à Mayotte (n=30). En Île-de-France, l’incidence était particulièrement élevée dans certains dépa tements comme la Seine-Saint-Denis (23,6/100 000) et, dans une moindre mesure, Paris (19,1/100 000) et le Val-de-Marne (18,7/100 000).

Tuberculose chez les migrants en provenance des pays de forte endémie tuberculeuse
En 2018, parmi les 4 787 (94%) cas de tuberculose dont le lieu de naissance était renseigné, 34% étaient nés en France et 66% à l’étranger. La concentration des cas dans les populations d’origine étrangère, en constante hausse, a augmenté d’environ 20 points en 10 ans (figure 4). Parmi les personnes nées à l’étranger, 71% provenaient d’Afrique (52% d’Afrique subsaharienne et 19% d’Afrique du Nord), 13% d’un pays d’Européen, 12% d’Asie et 4% d’Amérique ou d’Océanie. Le taux de déclaration était près de 17 fois plus important chez les personnes nées à l’étranger que chez celles nées en France (respectivement 40,1/100 000 et 2,4/100 000). Les taux de déclaration les plus élevés concernaient les personnes nées en Afrique subsaharienne (150/100 000), taux en constante augmentation (figure 5). Le taux de déclaration le plus élevé chez les personnes nées à l’étranger était trouvé chez les personnes arrivées en France depuis moins de 2 ans (312/100 000) et il diminuait avec l’allongement de l’ancienneté d’entrée en France (12/100 000 chez les personnes arrivées depuis 10 ans ou plus), sans jamais atteindre le taux des personnes nées en France.

Tuberculose chez les personnes mal logées et les personnes détenues
En 2018, le nombre de cas de tuberculose maladie chez les personnes sans domicile fixe (SDF) était de 356 cas pour un nombre de personnes sans domi- cile estimé à 143 0007, soit un taux de déclaration de 249/100 000 dans cette population. Ce taux était en augmentation comparé à 2016 (182/100 000) et 2017 (219/100 000). Un pourcentage élevé de personnes SDF étaient nées hors de France, avec une augmentation significative du pourcentage au cours du temps(2008:63%;2012:78%;2018:
91%, p<0,01). En 2018, une tuberculose maladie a été déclarée chez 54 personnes détenues, pour une population de 71 000 détenus 8, soit un taux de déclaration de 76,0/100 000. Ce taux était de 86,4/100 000 en 2016 et de 96,7/100 000 en 2017. Un pourcentage élevé de personnes détenues étaient nées hors de France (2008 : 58% ; 2012 : 78% ; 2018 : 65%, p=0,09).

En 2018, le taux de déclaration de tuberculose en France restait faible, inférieur à 10 cas/100 000, permettant de continuer à classer la France dans les pays de faible endémie tuberculeuse. Ce taux était inférieur à la moyenne dans l’Union européenne4. Les données épidémiologiques montraient cependant une poursuite de la légère tendance à la hausse observée depuis 2016. Même si le taux de déclaration augmentait de façon très modérée, cette hausse est à remarquer car il s’agit d’une rupture par rapport aux années antérieures où la tendance était à la baisse presque chaque année, avec deux exceptions : le début des années 1990, avec l’arrivée de l’épidémie de VIH-sida, et le milieu des années 2000, avec la mise en place du « Plan tuberculose » ayant induit une augmentation transitoire du nombre de cas déclarés, très probablement liée à une amélioration du taux de notification. À ces deux occasions, les hausses d’incidence ont été faibles et de courte durée, la tendance repassant à la baisse en 2 ou 3 ans. La poursuite de la surveillance épidémiologique de la tuberculose permettra de savoir si la légère augmentation observée depuis 2016 se poursuit au cours des prochaines années.
On constate cependant une situation épidémiologique hétérogène avec des territoires ou des groupes de population particulièrement affectés, le plus souvent expliqué par la forte densité de population dans certains territoires, les mauvaises conditions socioéconomiques et les migrations en provenance de pays de forte endémicité tuberculeuse, ces différents facteurs étant souvent combines9,10. La réactivation d’une infection tuberculeuse acquise dans un pays de forte endémie, favorisée probablement par le parcours migratoire et souvent par des conditions de vie dans le pays d’accueil, peuvent expliquer la fréquence élevée de tuberculose chez les migrants, notamment ceux arrivés en France depuis moins de deux ans 11.
En Île-de-France, le pourcentage de cas nés à l’étranger (77%) était supérieur à la moyenne nationale et en hausse significative par rapport à 2016 (73%) (p<0,05). Dans cette région, les départements supportant le plus lourd fardeau en termes d’incidence, étaient ceux comptant la proportion la plus élevée de cas nés à l’étranger, comme la Seine- Saint-Denis. L’Afrique subsaharienne est la zone géographique qui contribuait le plus à cette augmentation, puisqu’elle concentrait 30% du total des cas (contre 17% en 2008 et 26% en 2016).

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