L’inflammation : mécanisme biologique de régulation des interactions avec l’environnement

 

Les causes d’inflammation

Tout un chacun a expérimenté une agression, un stress environnemental (extérieur), aboutissant à une lésion tangible qui active le système de réparation du corps et permet de restaurer l’équilibre. Cependant, il est important de noter que ces phénomènes sont à considérer de la même manière en cas de stress issu de l’imagi- naire de l’individu (intérieur), qu’il s’agisse d’une peur, d’un chagrin, d’une saute d’humeur, voire d’une colère. Ainsi, des causes bien différentes (« réelles », ou imaginaires) auront les mêmes ef- fets, ceux d’une réaction inflammatoire. Elle peut être considérée comme une « bonne inflammation » lorsqu’elle agit de façon ponctuelle et que tout rentre dans l’ordre assez rapidement, ou alors comme une « mauvaise inflammation » lorsqu’elle s’installe pour devenir chronique, parfois de façon silencieuse.

Quelle qu’en soit la cause, la cascade des événements qui s’ensuit implique différents systèmes, dont celui de l’hémostase et de la coagulation aboutissant à la formation de fibrine par transformation du fibrinogène. Le taux sanguin de ce dernier est aussi élevé lors du processus de réparation d’un tissu lésé que lors d’un stress aigu de dépression ou de PTSD (Post Traumatic Stress Disorder). Ceci confirme, s’il en était besoin, la covalence des stress exté- rieurs et « internes ». De plus, l’inflammation, interférant avec la régulation des organes endocrines par le système nerveux central et périphérique, influence profondément deux voies de régulation très divergentes: les systèmes orthosympathique et parasympa- thique, un nerf parmi tous étant mis à l’honneur, le nerf vague, le plus puissant outil anti-inflammatoire de notre organisme.

• Les premières étapes de l’inflammation
Les premiers phénomènes d’alerte de l’inflammation sont d’ordre hémodynamique, de par le passage d’une vasoconstriction à une vasodilatation. Nous connaissons tous la pâleur soudaine suivie de la rougeur des pommettes consécutives à une blessure soudaine ou à une émotion forte. En fait, la vasoconstriction fugace gou- vernant la pâleur est le résultat d’une activation puissante par le système des kinines1. Ces dernières sont également responsables de la sensation de douleur aiguë.
Les kinines libérées activent alors des fibres nerveuses reliées au cerveau, envoyant des messages conduisant à une réponse immédiate de celui-ci. Cette réponse comporte notamment la sécrétion rapide de neuropeptides qui vont alerter les mastocytes tissulaires, véritables bastions de l’immunité innée. La sécrétion des molé- cules préformées des granules des mastocytes entraîne une vasodilatation... nous observons alors la rougeur.

De plus, une vasorégulation s’opère directement au niveau de la musculature lisse2, qui gaine les vaisseaux, innervée par le système nerveux périphérique et contrôlée par le système nerveux central. Ces muscles lisses, qui entourent les artérioles, modulent leur dia- mètre et donc la vitesse du flux sanguin, ainsi que les forces de frottement au niveau de la paroi vasculaire. En cas de blessure, de brèche vasculaire, l’altération de ces forces physiques gouverne les premières étapes de la réparation. Il s’agit de l’activation des plaquettes sanguines, et, au niveau de la brèche, de leur adhérence.

Rapidement, la cascade de la coagulation s’enclenche, dont le but initial est d’organiser ce bouchon de plaquettes (clou plaquettaire dit « de Hayem », découvert en réalité 80 ans plus tôt par Julius Bizzozzero) par la création d’un réseau de fibrine, résultat des enchaînements enzymatiques de la coagulation (13 facteurs connus aujourd’hui). Plus tard, le caillot formé ensuite sera détruit par des enzymes hépatiques (plasmine) et le vaisseau et les tissus alentour restitués ad integrum ou presque, suite à l’action des macrophages tissulaires1.

En parallèle, l’exigence se manifeste d’un apport local accru de cellules immunitaires, facilité par la vasodilatation secondaire à la vasoconstriction fugace évoquée plus haut. La rougeur persiste, suivie de l’apparition d’un œdème. Mais tout cela est positif! Les bataillons de cellules immunocompétentes qui arrivent sur le lieu de la lésion vont d’abord, le cas échéant, s’occuper des micro-organismes introduits de façon impromptue et les anéantir. C’est essentiellement le rôle des polynucléaires neutrophiles et de leur contenu enzymatique détersif et antiseptique.

Pour recruter ces cellules, la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires, notamment le TNF-a (Tumor Necrosis Factor-alpha), et de chimiokines telles que l’IL-8 (Interleukine-8) est impérative. Un des effets les plus importants des cytokines pro-inflammatoires est ainsi d’augmenter la diapédèse des cellules immunocom-pétentes, sortant du torrent sanguin pour se diriger vers les tissus endommagés. Pour ce faire, la très fine couche de cellules endothéliales qui tapisse l’intérieur des vaisseaux commence, sous l’impulsion des cytokines pro-inflammatoires, à exprimer des molécules d’adhérence (ICAM-1, VCAM-12, ainsi que les E- et P-sélectines) à la surface de l’endothélium vasculaire. Le but est de réguler de façon rationnelle l’afflux de cellules immunocompétentes tout en préservant l’intégrité de l’endothélium. En pratique, des milliers de neutrophiles arrivent sur le site de la lésion, en déversant leurs enzymes et radicaux libres de l’oxygène, pour à la fois tuer les mi- cro-organismes et se frayer un chemin.

Ces phénomènes se déroulent en quelques minutes, voire en quelques secondes, comme chacun a pu l’expérimenter à la moindre blessure.

Ceci montre à quel point les variations hémodynamiques sont ressenties par le cerveau. Il y a là de véritables senseurs de l’alerte, un phénomène baptisé dès 1890 par William James le neurovascular coupling ou couplage neurovasculaire. On sait maintenant que les acteurs moléculaires de cette veille sont les prostaglandines, les leucotriènes, le PAF (Platelet Activating Factor) acéther, l’histamine1, la sérotonine, qui vont coopérer au cours de cette première phase si cruciale de l’alerte, de la détection d’une possible vulnérabilité.

Cependant, une partie des cytokines a également d’autres fonctions. À côté de la douleur, de la rougeur et de l’œdème, une altération de la température corporelle se manifeste par la fièvre. C’est un des éléments fondamentaux de notre fonctionnement dont de nombreuses autres fonctions dépendent. Au cours de l’inflammation, ce délicat système est mis en jeu par l’intervention de cytokines pyrogènes telles que l’IL-1, le TNF-a, l’IL-6, l’inter- féron gamma (IFN-g). Ces médiateurs assurent la régulation de cette deuxième phase de l’alerte. Ils agissent de concert avec des cryogènes naturels tels que l’arginine vasopressine, l’a-MSH (al- pha-melanocyte stimulating hormone), les glucocorticoïdes, le neuropeptide Y, la bombésine, la thyrolibérine, et enfin le récepteur à l’IL-1 appelé IL-1Ra.

En dépit de l’importance et de la fréquence de cette fièvre, elle n’accompagne pas forcément toutes les inflammations. Nous sommes aujourd’hui très intrigués par la cold inflammation, inflammation « froide », qui s’installe confortablement au cours de certaines infections virales ou de maladies chroniques comme cela est détaillé dans le deuxième chapitre de l’ouvrage présenté en fin de cet article.
• La phase de réparation
La seconde phase de l’inflammation aiguë, comme indiqué plus haut, est la cicatrisation qui aboutit normalement à une restitution ad integrum du tissu. Cependant, la séméiologie de l’inflammation décrit aussi un cinquième signe (après la rougeur, l’œdème, la chaleur et la douleur1), la perte de fonction ou functio laesa en latin. Il peut s’agir de l’immobilisation momentanée du site lésé, par l’œdème et la douleur. Cette réaction de l’organisme (qui nous gêne tant quand il s’agit d’un doigt ou d’une cheville) est bénéfique car elle limite les mouvements et facilite la réparation. Il peut aussi s’agir de lésions dont la réparation s’associe à une perte définitive de matière ou de fonction, comme certaines cicatrices restreignant la mobilité d’un membre par exemple.

Mais de façon plus subtile, l’inflammation s’associe à une diminution de la sensation de bien-être1. Comme nous l’apprend Spinoza, ce mal-être entraîne forcément une modification des relations à autrui et envers la société en général. Pour remédier à cet état générateur d’anxiété, consécutif à une réponse inflammatoire, les systèmes orthosympathique et parasympathique entrent en jeu.

Relativement autonomes par rapport au système nerveux central (qui réceptionne, intègre et transforme en messages les signaux reçus par le corps, en se donnant un rôle de chef d’orchestre) et au système endocrinien (qui signe des temporalités plus cycliques et globales), ils agissent dans une autre chronologie et leurs actions se situent dans un autre espace, voire une autre géométrie.Profondément en contact avec la matière élastique du corps, le tissu conjonctif, les vaisseaux, les réservoirs d’eau recelés dans les travées de collagène et l’élastine des parenchymes, ces deux systèmes régissent la contraction et la dilatation, voire la relaxation, et sont donc plus intimement reliés à la conscience du corps de l’individu. Nous aurons l’occasion de répéter qu’après un stress ou un traumatisme, fût-il léger, la sollicitation de la partie relaxante de ce système nerveux autonome (par le biais du parasympathique) recrée la possibilité pour l’homme de retrouver le contact avec lui-même. En effet, les fibres nerveuses de ces deux systèmes sont distribuées dans tout le corps humain, au niveau des vaisseaux, des glandes endocrines, des muscles, des os. En action, le système orthosympathique, véritable système de survie dans la tempête, permet la gestion rapide d’une situation au cours de laquelle l’individu se trouve ou se sent soudainement attaqué, que ce soit par le lion de la savane en train de bondir sur lui ou par un doute atroce qui s’empare de lui, par exemple sur l’issue d’une opération financière, ou une crainte quant à la fidélité de son conjoint. Dans les deux cas, le système orthosympathique est immédiatement activé avec tous ses médiateurs, qui vont entraîner tout d’abord l’arrêt de toutes les fonctions vitales car le maximum d’énergie doit être utilisé pour résoudre le problème. Ainsi, les échanges entre les organes stoppent, au bénéfice d’un dialogue rapide du cerveau avec les muscles (fuite ou attaque ?), et le cœur bat la chamade.

Entre-temps, activé par l’excitation de son alter ego, le système parasympathique tente de moduler les aspects dangereux, voire téméraires pour le corps, prenant alors le relais, agissant dans la lenteur (jusqu’à une semaine) pour maintenant réparer. Là, les médiateurs qui dépendent du parasympathique sont impliqués dans la baisse du rythme cardiaque, la relaxation, la reprise de la digestion et des communications entre les organes. Au niveau microscopique, ils entreprennent aussi la réparation des membranes cellulaires, déchirées par toutes ces activations moléculaires. Cette régulation entre les deux systèmes est normalement très coordonnée mais également soumise à un timing très strict. Activés en permanence, l’un prédomine sur l’autre de façon alternative. Mais si l’un prévaut trop longtemps — notamment l’orthosympathique sur le parasympathique —, la vie est en danger, comme nous l’enseignent la mort subite du nourrisson ou l’arrêt cardiaque post-traumatique. Car une mort subite par arrêt cardiaque peut survenir si le système parasympathique prend le dessus (une crise vagale), suite au préalable à une prise en otage de l’organisme par le système orthosympathique. C’est le cas dans certaines professions (pompiers, policiers, militaires) qui exposent les individus à des scènes de violence, d’atrocité ou d’accident dus à l’homme ou à la nature. Les raisons en ont été précisément décrites. Dans certaines circonstances en effet, il n’est pas possible d’évacuer l’atteinte ni même le choc émotionnel en pleurant, criant, hurlant son désarroi. Or, ces réactions spontanées sont toutes des activités de relaxation, correspondant à une activation du système parasympathique. Si ce dernier, en particulier l’activité cardiorégulatrice du nerf vague qui ralentit les battements du cœur, n’a pas pu être activé, le stress persiste. Parfois, le choc a en apparence été intégré par l’individu, mais en réalité les pics de cortisol et l’augmentation de la tension artérielle indiquent qu’il en va différemment. Si, au bout de sept jours, le système parasympathique est toujours inhibé, une réaction de rebond s’installe qui sera exagérée car trop longtemps contenue. Le premier organe concerné par cette reprise d’activité parasympathique est alors le cœur, si brusquement ralenti qu’un arrêt s’ensuit la plupart du temps1.

Heureusement, dans l’immense majorité des cas, ces deux systèmes complémentaires arrivent à moduler leur activité de façon harmonieuse, en alternant la capacité de contrôler une situation difficile et la nécessité pour l’organisme de connaître des moments de répit, de relaxation et surtout de réparation.

• La cicatrisation
Arrivons-en à la cicatrisation. Pour réparer un tissu, il faut d’abord qu’il soit bien nettoyé. C’est ainsi que les macrophages entrent en jeu après l’élimination des micro-organismes pour réaliser une profonde détersion, en éliminant les bactéries tuées et les polynucléaires apoptotiques. De concert avec les fibroblastes, les macrophages entament la reconstruction du tissu conjonc-if. C’est la cicatrisation, idéalement invisible. Cependant nous connaissons tous l’inesthétisme de certaines cicatrices. Ceci est lié au fait que la réparation est prévue de façon über-conservatrice. Lors de chaque cicatrisation, la fibrose guette, et en cas de ré- pétition excessive de ce processus parfaitement physiologique, la sclérose. Pourquoi la sclérose est-elle un problème? Simplement parce qu’elle retarde ou obère le retour à la reprise d’une fonctionnalité normale et, par là même, entretient l’inflammation. Au cours de la vie, l’effet conjugué des traumatismes et de la gravité aboutit insidieusement à un raccourcissement du corps. C’est un premier lien important entre inflammation et vieillissement. À la suite d’un traumatisme, des modifications compensatoires du système ostéo-musculaire peuvent survenir. En modifiant l’équilibre entre tenseurs et extenseurs, à la faveur des premiers, elles créent des groupes musculaires immobilisés, hypertoniques, incapables de se relaxer. Le système orthosympathique est alors sollicité de façon exagérée. C’est l’émergence d’une posture recourbée, préoccupée, diminuée, l’attitude de la perte d’élasticité1. Ces déséquilibres posturaux — initialement momentanés et compensatoires —, qui résultent d’un traumatisme physique ou psychologique, peuvent amener à des problèmes chroniques. La déstabilisation des systèmes ortho et para-sympathique modifie la signalisation entre le cerveau et les muscles, élément essentiel de notre maintien et de tous nos mouvements, y compris les plus subtils de la proprioception. La tension est omniprésente. Pourtant la silhouette de l’individu donne une impression d’effacement, de mollesse, de fragilité. En fait, ce qui se passe au niveau moléculaire implique de nouveau le système cardiovasculaire. Lorsqu’un déséquilibre s’installe entre des groupes musculaires, il y a toujours une op- position entre tension et relaxation. Or, les muscles squelettiques, tout comme le muscle cardiaque, sont également des pompes qui déplacent le sang et la lymphe. Comme ceci devient difficile, voire impossible, dans les zones atrophiées, un manque crucial de nutrition et d’oxygénation en découle dans ces territoires. Lorsqu’un muscle est chroniquement tendu/raccourci, il perd graduellement la capacité de se relaxer.

Quelle est la stratégie de l’organisme dans ce cas? Une néosynthèse de fibres de collagène et d’élastine — avec l’interaction des adipocytes — s’installe au niveau du tissu conjonctif, et crée des supports supplémentaires de façon à augmenter le volume diminué du muscle contracté. Mais seul un tissu musculaire réellement effectif pourrait en fait remédier à l’accumulation de déséquilibres et à la sensation de désagrément qui l’accompagne. Le corps continue de se fragiliser et se déformer.

 

                                                                                         
Professeur Paricia d'Alessio  

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