L'inflamation, système d'alerte du corps

Le corps humain a toujours été une grande source de fascination pour moi, tant pendant mon enfance que plus tard, une fois devenue médecin à l’hôpital, ou plus tard encore chercheur en laboratoire. La première chose à m'avoir intriguée lorsque j’étais une petite fille — et à laquelle je suis en mesure de donner quelques réponses aujourd’hui — était le surgissement soudain d’un bien-être profond, tout étant, lors de ces moments magiques, parfaitement en ordre. J’avais l’impression d’être aérienne, et en même temps détendue, une sensation agréable qu’on pourrait presque définir par l’odorat, indiquant que « ça sentait bon » indépendamment de l’environnement... D’ailleurs, cette sensation de bien-être était bien souvent caractérisée par une délicieuse sensibilité accrue pour l’air, et si une brise légère était de mise, l’association du calme, de la trace d’une note musicale et de ce souffle caressant pouvait faire d’une sieste une expérience d’une volupté inimaginable.

D’autre part, les rarissimes fois où j’étais simplement trop accaparée par mes pensées et n’arrivais pas à trouver le sommeil, avec comme résultat une nuit blanche, c’était tout de suite la catastrophe. Je me sentais enserrée dans un insupportable étau et la journée devenait une souffrance sans fin. J’étais alors sidérée par la force et la quasi-impertinence de sensations apportées par quelque contracture... J’apprendrai plus tard qu’il faut parler au corps, ne pas le laisser servir tous ses plats, car ce ne sont que des dépêches du for intérieur. Il faut trouver le bon langage pour parler à son corps, c’est presque un devoir de citoyen. Citoyen du monde, citoyen de son corps. Dans le cas de ces insomnies, plus fréquentes pendant ma carrière universitaire, j’avais appris que de cette sensation d’être tenaillée par des sensations négatives, on pouvait se défaire en quelques minutes de mouvements, marche, méditation, bref, d’attention. Il s’agissait de signifier à ces muscles contractés « ça va, je vous ai entendus ». Il en résultait une sorte de cascade de sensations agréables (faisant sans doute appel à une réserve d’opioïdes cachée quelque part?) qui se manifestaient alors en induisant une sorte de légère euphorie. Cette sensation était capable d’animer toute la journée, qui devenait alors presque hyper-active. Le soir, je m’écroulais pour une de ces nuits parées d’un sommeil profond et sans adieux à la journée.

Voilà de quoi parle ce livre, du corps qui peut nous faire sentir bien ou pas. Mais qu’y a-t-il dans le corps ? Et comment lui parler ? Les représentations scientifiques longtemps recherchées et admirées sont insuffisantes à le décrire. C’est surtout notre relation à ce corps que nous incorporons. Ainsi, par excès de précision, on se retrouve devant un câblage d’usine (le système nerveux) ou la célèbre maquette ostéo-articulaire revêtue par des muscles toujours parfaitement adhérents, sans parler du système vasculaire avec ses bretelles rouges et bleues parfaitement rangées comme des voies de chemin de fer. Mais que se passe-t-il dans un corps quand le sujet devient obèse ou subit un traumatisme ? Ou tout simplement s’il n’a pas dormi la nuit précédente, ou qu’une idée fixe le taraude ou au contraire qu’une immense joie le traverse... Est-ce que ce corps anatomique reste là immuablement en place quoi qu’il ar- rive? Ses fonctions sont-elles aussi gravées dans le marbre? Ou, au contraire, est-il terriblement sensible au moindre changement ? À quel point la fable de l’homéostasie, de l’équilibre, de cette capacité à toujours retomber sur ses pieds, concernant notre corps, est-elle dépassée ? L’histoire récente, pourtant, nous dresse le bilan de milliers de personnes en proie aux intolérances, aux allergies, aux phénomènes d’auto-immunité. Effectivement, non seulement ce corps n’est jamais figé, mais il ne reste en fait pas en place et anticipe même par le changement permanent de sa morphologie ce qui est en train d’advenir à son for intérieur... Jeune médecin, la sémiologie des états dits « précliniques » fut ma première passion. Car nous disposons d’un nombre très important de systèmes d’alarme, très raffinés et reliés entre eux par les systèmes d’appartenance alors interpellés (vasculaires, endocrinologiques, nerveux...). C’est bien là la raison pour laquelle l’inflammation est un état d’alerte précieux qui se caractérise par cinq (au moins !) signes qui tous font partie d’une gestion indépendante : rubor, la rougeur, tumor, l’œdème, calore, la chaleur, la fièvre, dolore, la douleur, et enfin functio laesa, la perte de fonction — quelque chose se bloque dans le corps, que ce soit le système digestif, articulaire ou autres.
Comme les sociétés et les civilisations, l’histoire de l’inflammation a évolué. Elle reste notre plus précieux gardien face à un environnement qui peut se manifester de façon invasive ou déstructurante, que ce soit par une atteinte microbienne ou un traumatisme. Cependant elle a, au cours du temps, intégré les signalisations d’une partie des maladies de civilisation, comme celles du stress (par la cortisolémie élevée), du vieillissement accéléré (par l’inflammation chronique), des maladies dégénératives, du cancer et des maladies cardio-métaboliques (l’obésité et le diabète).

Dans le  livre présenté ci-dessous, nous allons donc parler de l’inflammation moderne, celle qui est en lien étroit avec le microbiote de la peau, du système digestif, de la muqueuse buccale, et d’autres parties du corps. Nous allons projeter l’inflammation dans son interaction stratégique au sein du corps, constituée par des cellules toutes différentes, mais réunies par le rythme intrinsèque des mécanismes de la sénescence cellulaire que l’inflammation contribue à orchestrer. Enfin, il n’y a pas de dissémination cancéreuse possible sans qu’une inflammation de bas grade soit présente. Celle-ci est entretenue par le stress via une déstructuration de la paroi intestinale qui héberge la quintessence de notre attitude vis-à-vis du monde qui nous entoure en termes immunologiques : la tolérance. Lorsque nous ne parvenons pas à maîtriser notre stress, cette tolérance est mise à rude épreuve. Alternativement il est aussi possible qu’une impasse se crée par une absence de stress fondamentaux (le froid, la faim, la peur brutale...) que l’évolution nous a adressés en forgeant notre physiologie, adaptant notre système de défense aux plus grands stress. Désormais, les stress mettant en péril notre vie ont été remplacés par des stress plus subtils, largement nichés dans notre imagination, qui mettent également en péril notre vie mais par des parcours très différents, que nous allons caractériser tout au long de ce livre.

De cet état moderne surgissent une pléthore de formes nouvelles d’inflammation et de ce fait de maladies chroniques, en raison de notre longévité accrue, un autre effet de la civilisation. Ainsi, les nouvelles approches thérapeutiques, les bonnes pratiques de santé, également une certaine forme de bon sens, vont progressivement se substituer au recours au cachet blanc qui résout tout, et proposer à sa place d’autres pratiques, basées plutôt sur la notion de prévention. En cas d’urgence, la pratique de la cohérence cardiaque, par exemple, grande tutrice de l’activité du nerf vague, fait plus de miracles qu’un cachet de paracétamol dont l’effet placebo n’est plus en discussion. Car nous avons développé, tout comme le fabuleux mécanisme neuro-biochimique de l’inflammation, celui de l’anti-inflammation... pour la moduler et éventuellement l’éteindre.
Ce va-et-vient entre les états changeants du corps se doit d’être bercé dans une élasticité de la matière, mentale et musculaire, conjonctive et nerveuse, que nous pouvons cultiver si nous le souhaitons. Mais le guide ne doit pas être un nouveau corollaire d’actes à accomplir ou d’habitudes à abandonner. Cette forme sans cesse changeante de notre corps, nous devons la guetter et l’accompagner ou alors, si nous ne sommes pas d’accord avec sa proposition, en débattre, essayer de faire valoir nos arguments, et entretenir avec le corps un véritable dialogue. Pour ceux qui n’ont pas accès à ce dialogue naturel avec le corps, reconnaître ses signes, apprendre à lui parler, puisqu’il s’agit d’une très ancienne pratique ; beaucoup d’outils sont disponibles, illustrés et discutés tout au long de l’ouvrage, des conseils étant formulés dans les conclusions.

Le livre présenté ci-dessous se veut comme un compagnon pour celles et ceux qui ont pris conscience qu’une longue vie avec notre corps comme principal allié est possible, et qu’elle nous réserve en ce cas bien des surprises. Car le temps aussi, lorsqu’il n’est pas soumis au saucissonnement de la planification, peut — tout en restant une catégorie de l’esprit et non pas une réalité physique — devenir un autre allié précieux. Mais pour cela il faut innover. Être prêt à des changements dans notre vie, changer pour ne pas mourir ou se soumettre. Ce n’est pas seulement l’économie qui peut bénéficier d’un développement accru d’innovation, c’est aussi notre existence au quotidien. Sans mettre en discussion les formes traditionnelles du (bien) vivre, l’innovation a aussi des aspects quelque peu disruptifs, que nous devons apprendre à intégrer dans notre quotidien Commençons déjà à bien comprendre l’inflammation, pivot central de notre bien-être.introduire

                                                                                         
Professeur Paricia d'Alessio  

 

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