Découverte de la micro-mobilité en osthéopathie


Lorsque l’on me parle d’ostéopathie crânienne pour la première fois, je réagis de la même façon que pour la sphère viscérale. L’idée me semble étrange, audacieuse et amusante, mais je n’y adhère pas spontanément. Dans la vision médicale occidentale, les os du crâne, à l’âge adulte, ne bougent plus. Comment pourrait-il y avoir une perte de mobilité ? Comment celle-ci pourrait-elle expliquer l’apparition de symptômes ? Je décide de me faire soigner par un spécialiste de cette méthode pour expérimenter ce qu’il en est.

Mon ressenti pendant la séance et surtout les effets de celle-ci me fascinent. Je perçois que les os de mon crâne se mettent à bouger entre les mains du praticien. Un ressenti de légèreté remplace la sensation d’étaux présente initialement au niveau du front. Ces perceptions sont en corrélation avec une décongestion, puisque mon nez se met à couler dans les heures qui suivent. La sinusite et la céphalée frontale qui me gênaient depuis deux semaines disparaissent dans les 48 heures.
Comment peut-on avoir de si grands résultats avec si peu de mouvements ?

En posturologie, nous parlons de la non-proportionnalité. Des modifications subtiles entraînent des effets notables par rapport à des modifications plus importantes. Une cale épaisse d’un centimètre sous un pied entraîne une modification transitoire de l’équilibre mais la ligne de gravité du corps retrouve vite sa position initiale. L’organisme s’adapte rapidement et notre grande modification n’a que peu d’effet sur l’équilibre résultant. Une cale fine, de moins d’un millimètre d’épaisseur, à un endroit précis, entraîne par contre des effets considérables. L’équilibre résultant de la personne est profondément modifié à long terme.

Par extension, une technique grossière, effectuée dans de grandes amplitudes, produirait moins de changement qu’une pratique plus subtile utilisant la micro-mobilité1.

Lorsque le ressenti des micro-mobilités du corps m’apparaît en tant que thérapeute pour la première fois, je suis, sans le savoir et bien malgré moi, dans un état modifié de conscience, terme m’étant étranger à cette époque. À la suite d’une soirée festive et prolongée, couché à 5 heures du matin et péniblement levé à 7heures, je me rends au séminaire de thérapie manuelle viscérale. Les mains posées sur mon partenaire, je n’ai pas la tête à me concentrer sur ces fameuses micro-mobilités. Le sommeil me guette. Mon esprit semble ailleurs quand soudain, après quelquesminutes, les yeux fermés, j’ai la perception que mes mains se mettent à bouger toutes seules. Ce n’est pas un mouvement habituel. Cela ressemble à quelque chose qui dérive ou qui glisse lentement avec une amplitude importante. Ma curiosité est débordante. J’ouvre les yeux. Alors qu’une seconde avant j’avais l’impression de ressentir de grands mouvements, l’observation visuelle montre une posture statique qui vient infirmer mon ressenti.

Laquelle de ces perceptions, apparemment si contradictoires, est juste? La micro-mobilité et la macro-mobilité1 existeraient-elles vraiment dans le même référentiel de perception ? N’y aurait-il pas une question d’échelle, de grossissement de l’observation et de la pertinence du focus ?

La physique répond à mes questions. Au début du xxe siècle, Albert Einstein amène l’idée que l’espace et le temps sont interdépendants. Sa théorie de la relativité fait aujourd’hui référence dans le milieu scientifique. Il nous explique : « Placez votre main sur un poêle une minute et ça vous semble durer une heure. Asseyez- vous auprès d’une jolie fille une heure et ça vous semble durer une minute. C’est ça la relativité. » Pouvons-nous en tirer une explication face à la perception des micro-mobilités ? Le temps que nous mettons pour nous rendre d’un point A à un point B peut changer la perception que nous avons quant à la distance effective entre ces deux points. De la même manière, la perception de la durée du temps qui s’écoule n’est que relative. Une heure semble passer en quelques minutes quand nous sommes intéressés alors que certaines minutes semblent durer des heures.

Mes deux perceptions qui semblaient si opposées ne le sont en réalité pas du tout. Les deux coexistent. Elles n’ont simplement pas le même référentiel. Ainsi, ma main n’a pas bougé, elle a été attirée très lentement par un point, pendant longtemps. Mon cerveau a traduit cela comme un grand mouvement.

En ralentissant notre respiration et en calmant notre propre rythme, les distances, les volumes, les mouvements paraissent plus étendus. Le corps de notre patient devient perceptuellement plus grand et nous devenons beaucoup plus précis. Les micro-mobi- lités et les macro-mobilités n’ont pas les mêmes référentiels. Nous les observons avec différentes pertinences de focus. Cette explication est cohérente et satisfaisante. La micro-mobilité m’apparaît pour la première fois envisageable de façon pragmatique. En macro-mobilité, les os du crâne ne bougent pas alors qu’en micro-mobilité, le thérapeute peut percevoir des mouvements dans les tissus. Ces derniers, s’ils sont déséquilibrés, peuvent être à l’origine de symptômes.

Un autre domaine du patient s’ouvre dans le champ thérapeu- tique. Régulièrement, alors que je rééquilibrais les tissus musculosquelettiques et viscéraux dans leur macro-mobilité, je gardais la sensation qu’un petit quelque chose restait « coincé ». C’était comme si les mouvements étaient globalement récupérés mais que les tissus manquaient de vivacité, gardant une texture encore dense et sèche. Dans un premier temps, j’utilise la micro-mobilité comme complément et observe une disparition de cette sensation de densité persistante. Les patients le ressentent, les effets étant souvent forts et rapides sur le symptôme. Un autre avantage vient du fait que nous avons accès à tous les tissus, sans exception. En plus de pouvoir travailler sur les sphères musculo-squelettique et viscérale, la sphère crânienne devient accessible.

Avec le temps, j’ai pu observer cliniquement que si la macromobilité est liée avec prédilection à la locomotion biomécanique, la micro-mobilité a un effet bénéfique sur la santé physiologique des tissus. Beaucoup de gens sont « tordus » de façon visible sans avoir aucun symptôme. Le lien entre la macro-mobilité et la douleur n’est donc pas évident. Il est beaucoup plus systématisé avec la micro-mobilité. Elle a l’air primaire la plupart du temps puisque quand nous la rééquilibrons, l’autre se régule d’elle-même, ceci n’étant pas réciproque. Par contre, dans la mise en place d’un déséquilibre, l’une et l’autre sont interdépendantes, un choc ou une posture pouvant perturber la micro-mobilité. Les gains d’amplitude de cette dernière ont tendance a s’améliorer entre les séances. En diminuant les douleurs, elle devient un atout considérable, complémentaire de la kinésithérapie dans les rééducations post-opératoires, rhumatologiques et traumatiques.

Patrick Ghossoub

 

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