En juin 2018, un homme de 78 ans est décédé après avoir consommé une plante qu’il avait cueillie au cours d’une randonnée dans les Pyrénées-Orientales [1, 2].
Pensant ramasser des feuilles de couscouil, plante comestible de la famille des angéliques, il a en fait cueilli puis consommé des feuilles d’aconit napel (ou aconit tue-loup), espèce très toxique aussi surnommée « arsenic végétal » dans l’Antiquité, qui contient de puissants alcaloïdes terpéniques, comme l’aconitine. La plante, non fleurie, n’avait pas déployé ses fleurs caractéristiques bleu-violacées en forme de casque de Jupiter, ce qui a facilité la confusion.
Le randonneur a présenté dans l’heure suivant l’ingestion des signes digestifs, des troubles de la sensibilité (fourmillements) et des troubles cardiaques (troubles du rythme) à l’origine d’un choc cardiogénique et du décès.
Alors que les confusions de plantes toxiques avec des plantes comestibles peuvent être fatales, il n’existe à l’heure actuelle pas de recommandations des autorités sanitaires pour les éviter, à l’instar des recommandations de cueillette et de consommation des champignons [3].
Suite à cette alerte, l’Anses et le réseau des Centres antipoison ont réalisé une étude rétrospective des cas de confusion alimentaire entre plantes comestibles et toxiques, afin de quantifier l’importance de ce problème, d’identifier les plantes le plus souvent en cause et de proposer des mesures de prévention.
Description des confusions de plantes
Le nombre de cas de confusion (et de dossiers) enregistrés par les centres antipoison chaque année, semble relativement stable, variant de 257 cas (et 159 dossiers) en 2013, à 263 cas (et 181 dossiers) en 2017 (figure 1). A noter que l’augmentation du nombre de cas et de dossiers en 2018 ne pourra être interprétée qu’au vu du nombre de cas des prochaines années (2019 et suivantes).
Les confusions étaient survenues plus fréquemment en été (32 % des dossiers), et dans une moindre mesure en automne (24 %), au printemps (23 %) et en hiver (21 %). Elles étaient prépondérantes dans les régions du Sud de la France et la Bretagne.
Les cas d’exposition à des plantes, avec ou sans symptômes, ont été extraits du système d’information des Centres antipoison (SICAP) entre le 1er janvier 2012 au 31 décembre 2018. Après relecture complète des dossiers, seuls les cas comportant l’ingestion d’une plante toxique « confondue » avec une plante comestible, y compris les enfants de moins de 6 ans qui avaient partagé un repas, ont été inclus. Les enfants de moins de 6 ans et les personnes atteintes de troubles cognitifs, qui avaient ingéré une plante toxique en dehors d’un con- texte de repas, ont été exclus, ainsi que les cas d’imputabilité nulle (sans lien causal entre la plante consommée et les symptômes observés) et les cas d’intoxication volontaire par une plante toxique dans un but suicidaire.
Les repas pouvant être pris par une seule personne ou partagé par plusieurs, dans la suite, les résultats de l’étude distinguent le nombre de personnes ayant ingéré des plantes par confusion, ce qui permet de quantifier l’importance du problème en santé publique, du nombre de « repas » ou « dossiers » correspondant aux différentes confusions, ce qui permet de quantifier le nombre de confusions et décrire les plantes concernées.
Au total, 1872 cas correspondant à une confusion alimentaire ont été inclus dans l’étude. Le repas était collectif (au moins 2 personnes) pour 56 % des cas. Les 1872 cas étaient répartis dans 1159 dossiers (ou repas), soit en moyenne 1,6 personne par repas (de 1 à 11 personnes) ; près d’un tiers des 1159 repas étaient collectifs.
Les confusions portaient principalement sur des feuilles (31 % des dossiers) mais également sur des bulbes1 (17 %), des fruits ou des baies (13 % des dossiers chacun), des graines (12,5 %), et enfin sur des fleurs, des racines, et des tiges pour les cas restants.
Les confusions les plus fréquentes concernaient les plantes à bulbes (12 % des dossiers), le marron d’Inde (11 %), les colo- quintes ou les courges amères (8,5 %), l’arum (7 %), la petite ou la grande ciguë (4 %), la cytise (4 %), et la morelle noire ou douce-amère (3,5 %) (figure 2), soit la moitié des dossiers.
Description des personnes exposées
Parmi les 1872 cas étudiés, la présence ou l’absence de symptômes était renseignée pour 1687 d’entre eux2 (90 %) ; seuls ces derniers cas sont conservés pour la suite de l’analyse. Ils étaient symptomatiques pour 53,5 % d’entre eux (N=903 cas).
L’âge, connu pour 96 % des cas, était en moyenne de 39,6 ans, et variait de 2 mois (cas d’un nourrisson allaité) à 98 ans. Si toutes les tranches d’âge étaient concernées, 16 % des personnes étaient âgés de 30 à 39 ans, et 5 % avaient moins de 6 ans. Le sex-ratio (rapport homme/femme) était de 0,8.
Le tableau I présente les confusions de plantes les plus fréquentes et/ou à l’origine des cas les plus graves (gravité forte3 ), selon la saison, en détaillant les symptômes observés.
Si les personnes ayant consommé des plantes à bulbe étaient symptomatiques pour 72 % d’entre elles (191 cas, figure 3), aucun cas n’était de gravité forte. Ces bulbes avaient été confondus avec des bulbes comestibles (oignons, ail, échalote...) et étaient responsables de troubles digestifs, céphalées et tremblements. Les bulbes se conservant facilement, des confusions ont été décrites tout au long de l’année calendaire, principalement en automne et en hiver. A noter qu’en 2012, une intoxication collective de 11 personnes ayant consommé par erreur des tiges et bulbes de narcisse (non fleuri), vendus sans information spécifique sur un étal à côté de ciboulette et d’oignons chinois, avait été signalée au Royaume-Uni [4].
Les confusions de coloquintes ou de courges amères avec des courges comestibles, parfois seulement différentiables par l’absence d’amertume, étaient symptomatiques pour 55 % des cas (88 cas, figure 3), et pouvaient être à l’origine de troubles digestifs, diarrhée sanglante et déshydratation sévère, dus à la présence de cucurbitacines. Une étude rétrospective des confusions de coloquintes ou de courges amères avec des courges comestibles (non amères), enregistrés par les centres antipoison de 2012 à 2016, avait montré que parmi les cas dont le mode d’obtention était connu, la courge amère provenait du potager familial pour 54 % d’entre eux, et avait été achetée dans le commerce pour 46 % [5, 6].
Cette dernière situation pouvant nécessiter des mesures de gestion spécifiques auprès des autorités administratives compétentes, il est nécessaire de contacter le Centre antipoison, qui pourra faire le signalement adapté. Une intoxication collective de 6 cas, impliquant des enfants de 3 et 4 ans qui avaient présenté des symptômes de gravité moyenne4, était survenue après l’ingestion de feuilles de datura, vendues sur un marché comme étant des épinards. Les autorités sanitaires prévenues n’avaient pu retrouver le vendeur qui avait disparu sans trace.
L’envie de retour à la nature, de découvertes culinaires, par- fois associées aux bienfaits supposés des plantes, peuvent encourager la cueillette de plantes comestibles... et par conséquent accroître le risque de confusion avec des plantes toxiques. Face à ce risque, l’Anses et les Centres antipoison mettent en garde contre la consommation de plantes supposées comestibles qui n’auraient pas été clairement identifiées. Les descriptifs et/ou photographies de livres, de pages inter- net, sont parfois utiles mais ne peuvent permettre à eux seuls d’identifier une plante avec certitude. Au moindre doute, il ne faut pas consommer les plantes ramassées, et demander conseil à un spécialiste en horticulture ou en botanique. Il est également recommandé de photographier les plantes ramassées pour permettre leur identification en cas d’intoxication.
Si des formations de terrain accessibles à tous se sont développées ces dernières années, L’Anses a prévu de renforcer la communication sur les risques de confusion de plantes toxiques avec des plantes comestibles, adaptée aux saisons, afin d’aider les amateurs de saveurs botaniques à séparer aux mieux le bon grain de l’ivraie.
Sandra SINNO-TELLIER
Références bibliographiques :
[1]https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/dans- les-pyrenees-orientales-un-randonneur-decede-apres-avoir- consomme-une-plante-mortelle-1528630878. Consulté le 24/05/19.
[2] S. Combaluzier, L. Boismenu, A. Boulamery, et al. A bad salad seasoning: When aconite confused with Couscouil. page S35 ToxAC Vol 31 – N°2S – mai 2019.
[3] Recommandations de cueillette et consommation des champignons – Infographie : https://www.anses.fr/fr/system/ files/InfographieChampignons.pdf. Consulté le 10/05/19.
[4] Matulkova P, Gobin M, Evans M, Parkyn PC, Palmer C, Oli- ver I. Gastro-intestinal poisoning due to consumption of daffodils mistaken for vegetables at commercial markets, Bristol, United Kingdom. Clin Toxicol (Phila). 2012 Sep;50 (8):788-90.
[5] Le Roux G, Leborgne I, Labadie M, Garnier R, Sinno-Tellier S, Bloch J, Deguigne M, Boels D. Poisoning by non-edible squash: retrospective series of 353 patients from French Poi- son Control Centers. Clin Toxicol (Phila). 2018 Aug;56(8):790- 794.
[6] M. Labadie. Toutes les courges ne sont pas comestibles. Vigil’Anses n°3. https://vigilanses.anses.fr/sites/default/files/ Vigil%27Anses-N3_Octobre2017VF_0.pdf. Consulté le 27/05/19.
[7] Persson H, Sjöberg G, Haines J, Pronczuk de Garbino J. 1998. Poisoning Severity Score: Grading of acute poisoning. J
4 Cas ayant présentés des symptômes ou signes prononcés ou prolongés [7].