Avis du Conseil scientifique COVID-19 / ORGANISATION DE LA SORTIE DE L’ETAT D’URGENCE SANITAIRE LE 1er JUIN 2021


Cet avis a été transmis aux autorités nationales le 21 avril 2021 à 16H00.
Comme les autres avis du Conseil scientifique, cet avis a vocation à être rendu public.


SAISINE ET CONTEXTE
Le 16 avril 2021, le gouvernement a saisi le Conseil scientifique afin de solliciter son avis sur l’organisation juridique de la sortie de l’état d’urgence sanitaire, notamment afin que le cadre juridique puisse être allégé mais puisse permettre d’activer différentes mesures en cas de dégradation de la situation sanitaire. Dans cet avis, le Conseil scientifique examine un projet de loi, qui permettrait d’utiliser des outils de contrôle d’épidémie mobilisés depuis mars 2020 sans avoir recours à l’état d’urgence sanitaire.

Le Conseil scientifique s’est déjà prononcé à différentes reprises à la demande du gouvernement en tenant compte de l’évolution de l’épidémie sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Les compétences et les avis du Conseil scientifique se limitent à des considérations d’ordre strictement médical et sanitaire. Elles ne portent en aucun cas, y compris à propos du projet de loi qui lui est soumis, sur la pertinence juridique, politique ou relevant d’autres considérations plus générale du texte, qui ne relève pas de sa compétence.

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de COVID-19 a institué l’état d’urgence sanitaire en France. Cet état d’exception a notamment permis au gouvernement de prendre des mesures comme un confinement strict sur l’ensemble du territoire national, des restrictions de déplacement ou de gestion de crise sans passer par un vote au Parlement. Il a aussi permis d’encadrer les mesures de quarantaine et d’isolement, notamment pour les personnes entrant sur le territoire national, tout particulièrement dans les territoires d’outre-mer. La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 a prorogé l’état d’urgence sanitaire et complété ses dispositions.

Dans sa note du 28 avril 2020 relative à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, le Conseil scientifique a considéré que l’ensemble des dispositifs de lutte contre l’épidémie COVID-19, incluant ceux prévus dans la loi sur l’état d’urgence sanitaire, restaient nécessaires. La loi du 11 mai 2020 a prorogé l’état d’urgence sanitaire et complété ses dispositions jusqu’au 10 juillet 2020. L’état d’urgence sanitaire a pris fin le 10 juillet 2020 sur l’ensemble du territoire national, à l’exception de la Guyane et de Mayotte, dont la situation sanitaire nécessitait son prolongement.

Un régime transitoire organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire a été adopté par le Parlement par la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020. Cet état transitoire était applicable jusqu’au 30 octobre 2020. Ce régime favorisait un retour au droit commun tout en permettant aux autorités publiques de prendre les mesures nationales et territoriales nécessaires à la lutte contre l’épidémie. Dans son Avis du 12 septembre 2020, le Conseil scientifique avait émis un avis favorable à la prorogation de ce régime transitoire jusqu’au 1er avril 2021.

Dès l’été 2020 puis début septembre, le Conseil scientifique avait anticipé et alerté sur la survenue d’une seconde vague. Face à l’importance de cette deuxième vague, a été pris le mercredi 14 octobre 2020 en conseil des ministres, le décret n° 2020-1257 instaurant à nouveau l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire pour 4 semaines à compter du samedi 17 octobre 2020.

Répondant à une saisine du Gouvernement, le Conseil scientifique a émis, dans son Avis du 19 octobre 2020, un avis positif portant, d’une part, sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021, et d’autre part, sur la mise en place d’un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire, du 17 février au 1er avril 2021. La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 ainsi que le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021.

Le 6 janvier 2021, le Conseil scientifique a été de nouveau saisi sur la prolongation des deux régimes : d’une part, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin 2021, et d’autre part, le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire, du 1er juin au 31 décembre 2021. Finalement, la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin 2021 sans proroger le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire.


Le 16 avril 2021, le Conseil scientifique a été saisi sur la mise en place d’un régime allégé de sortie d’état d’urgence sanitaire à compter du 2 juin et jusqu’au 31 octobre 2021 dans le cadre du projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (NOR : PRMX2111684L/Rose-2).

SITUATION EPIDEMIOLOGIQUE
Il y a un an environ, le Conseil scientifique avait rendu un avis sur la sortie de l’état d’urgence sanitaire en tenant compte de la situation sanitaire observée après le premier confinement. A l’époque, la circulation du virus historique était nettement plus faible, mais les mesures barrières en population générale étaient plus limitées et on n’envisageait pas encore la disponibilité d’un vaccin à court terme.


Fin avril 2021, la situation sanitaire reste malheureusement préoccupante, notamment en raison de l’apparition de variants, en particulier du variant UK (variant B.1.1.7 dit « britannique ») en Europe occidentale, 50% plus transmissible et plus létal que le virus historique. Depuis janvier 2021, une course s’est installée entre la propagation de ce variant et la vaccination. Face à cette situation, les pays européens disposent cependant d’un ensemble d’instruments d’action qui n’étaient pas disponibles dans les mêmes proportions l’an dernier au cours de l’été. L’usage systématique des masques, le nombre de tests RT-PCR réalisés, la disponibilité d’autres types de tests et d’autotests, et surtout l’accès élargi à la vaccination permettent un contrôle accru de la dynamique épidémique. Parallèlement, la durée prolongée de l’épidémie, plus difficile à supporter, et la présence de variants peuvent rendre la situation plus difficile dans les mois à venir.

1. UNE 3EME VAGUE QUI N’EST PAS TERMINEE
En France, le 20 avril 2021, la troisième vague de l’épidémie se situe depuis plusieurs mois à un niveau élevé, expliquée par la circulation du variant UK dont la transmission est plus élevée que le virus historique. Des mesures de freinage plus strictes sur l’ensemble du territoire ne sont en vigueur que depuis le 3 avril 2021 après une période prolongée de couvre-feu. Le retentissement de cette troisième vague est majeur pour notre système de soins, avec une occupation importante des lits de réanimation et de soins intensifs par des patients COVID souvent plus jeunes, associée à un niveau important de déprogrammation dans certaines régions. Cette situation a entraîné un niveau important de mortalité directe liée au COVID, qui s’élève à 101 597 morts au 20 avril 2021 d’après les données de Santé publique France. Les retentissements sur la vie économique et sociale de cette situation, qui se prolonge depuis des mois, sont par ailleurs majeurs et inégalement distribués dans la population, tant en raison des effets directs de l’épidémie, que des mesures mises en œuvre et d’un ensemble d’effets indirects. Le Conseil scientifique a notamment attiré à nouveau l’attention sur les effets psychiques de la situation épidémique dans son avis du 11 mars 2021.


Le pic de cette 3ème vague (qui existe également dans la plupart des pays européens) va se situer à des moments différents selon les territoires. Le virus continue à circuler à un niveau très important, avec une baisse récente de l’incidence dans certains territoires. Globalement, le retentissement sur le système de soins demeure à un niveau très élevé, mais on semble observer depuis quelques jours un plateau à un niveau élevé de la saturation des lits en réanimation, suggérant que la baisse pourrait se faire sur un temps long.

Le nombre de nouvelles contaminations se situe au-dessus de 35 000 nouveaux cas par jour avec un nombre de tests virologiques réalisés très important autour de 400 000 tests RT-PCR ou antigéniques quotidiens.
Quelques soient les régions, le variant UK est très largement dominant (>80%), les autres variants représentent environ de 10 à 12% des nouvelles contaminations. En termes de circulation du virus, la situation sanitaire fin mai 2021 sera donc moins bonne que celle qui était observée l’année précédente au cours de la même période, alors que l’on sortait d’un confinement très strict ayant alors conduit à une baisse importante de la circulation du virus. Fin mai 2020, le nombre de nouvelles admissions à l’hôpital était dix fois inférieur à celui d’aujourd’hui (200 contre 2000 par jour) et la circulation du virus était contrôlée (R à 0,9).
Le calendrier et les conditions de sortie des mesures de restriction prévues à partir de la mi- mai 2021 vont également jouer un rôle important sur l’évolution de la situation sanitaire, en particulier au 1er juin 2021, avec probablement des disparités régionales pouvant justifier des réponses adaptées.

2. PLUSIEURS POINTS A PRENDRE EN COMPTE POUR LES MOIS QUI VIENNENT
>Les vaccins. La campagne de vaccination s’est récemment accélérée, en raison de la disponibilité des vaccins. L’objectif de vacciner 20M de Français à la mi-mai et 30M à la mi- juin devrait être atteint avec environ 350 000 personnes vaccinées par jour en moyenne. Au 1er juin, une grande partie des personnes âgées de plus de 65 ans ou ayant des facteurs de comorbidité aura été vaccinée. Les premières données d’Israël et du Royaume-Uni suggèrent par ailleurs que les vaccins ARNm ont un rôle sur la réduction de la transmission du virus. La vaccination des 20-40 ans qui devrait débuter fin juin demeure un défi important en terme d’acceptabilité vaccinale. Les vaccins ARNm paraissent efficaces contre le variant UK et en partie contre les variants SA (lignage B.1.351 dit variant « sud- africain ») et BR-P1 (lignage B.1.1.28 dit variant « brésilien »).
> On estime que 20-26% des adultes français ont été infectés par le virus, variable selon les territoires, avec une proportion légèrement plus élevée parmi les adultes de 20-49 ans. Une partie de ces individus auront acquis une immunité protectrice. Il faut cependant souligner que le niveau d’immunité acquis au sein de la population par la vaccination ou à la suite d’une infection restera insuffisant pendant plusieurs mois avant d’envisager une reprise des activités sans des mesures de protection.
> Les mesures barrières (distanciation sociale, port du masque, gel hydroalcoolique...) sont globalement et largement bien appliquées, mais on peut s’attendre à une certaine forme de relâchement durant les mois d’été, comme cela avait été le cas l’an dernier.
> Les tests diagnostiques (RT-PCR, antigénique) sont déjà largement utilisés en France. La mise à disposition des autotests devrait permettre de mieux appréhender les formes asymptomatiques en particulier en milieu scolaire et universitaire avant la coupure estivale et après la rentrée de septembre (Avis du Conseil scientifique « Les autotests : une opportunité de santé publique » du 19 avril 2021).
> Les circonstances de contamination sont mieux connues (à la suite de plusieurs études internationales ou françaises comme ComCor) – en particulier les rencontres familiales ou professionnelles en lieu clos, à l’occasion des repas et en l’absence de masque – ce qui permet de mieux les prévenir.
> La circulation du virus semble sensible à des effets climatiques. Comme l’année dernière, le climat estival pourra avoir un effet bénéfique affaiblissant la circulation du virus. Les conditions de vie en extérieur au cours de l’été peuvent aussi avoir un effet favorable sur les contaminations. Il est toutefois à noter que des reprises épidémiques ont pu être observées en période estivale dans certains contextes, comme aux Etats-Unis en 2020. En outre, le virus a de nouveau commencé à circuler de façon active en France dès le début du mois de juillet, avec un R atteignant 1,5 à la mi-août.
> Enfin, la pandémie demeure active au niveau international, notamment en Amérique du Sud et en Asie, avec de nouveaux variants plus ou moins sensibles aux vaccins qui touchent déjà certains départements et territoires d’outre-mer.

Au regard de toutes les considérations formulées ci-dessus, et en tenant compte des privations imposées par un ensemble de mesures restrictives depuis plusieurs mois, le Conseil scientifique émet un avis favorable à l’instauration d’un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 octobre 2021 dans le cadre du projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (NOR : PRMX2111684L/Rose-2).

Cette période doit s’accompagner d’une communication publique visant à associer la levée de certaines restrictions au maintien d’autres mesures indispensables, notamment individuelles (respect des gestes barrières, port du masque, usage de gel hydroalcoolique, recours à la vaccination, utilisation de tests et d’autotests...). L’organisation du régime transitoire doit en outre rester compatible avec la possibilité d’un retour à l’état d’urgence sanitaire en cas de nécessité, en particulier en cas de reprise importante de l’épidémie liée à un nouveau variant.

Membres du Conseil scientifique associés à cet avis :
Jean-François Delfraissy, Président
Laetitia Atlani-Duault, Anthropologue
Daniel Benamouzig, Sociologue
Lila Bouadma, Réanimatrice
Simon Cauchemez, Modélisateur
Franck Chauvin, Santé publique
Catherine Chirouze, Infectiologue
Angèle Consoli, Pédopsychiatre
Pierre Louis Druais, Médecine de Ville
Arnaud Fontanet, Epidémiologiste Marie-Aleth Grard, Milieu associatif
Olivier Guérin, Gériatre
Aymeril Hoang, Spécialiste des nouvelles technologies Thierry Lefrançois, Vétérinaire/One Health Bruno Lina, Virologue
Denis Malvy, Infectiologue
Yazdan Yazdanpanah, Infectiologue