LA VAGUE OMICRON : UNE VAGUE TRES DIFFERENTE DES PRECEDENTES

La 5ème vague liée au variant Omicron est différente des précédentes pour 3 raisons :
> Une transmissibilité très élevée du variant Omicron qui explique que 9 à 14 millions de Français pourraient avoir déjà été infectés par ce variant depuis son émergence début décembre 2021 ;
> Une gravité des formes cliniques moins importante ;
> Une couverture vaccinale élevée, avec une efficacité vaccinale limitée contre les
infections symptomatiques en absence de dose de rappel, mais conservée contre les formes sévères et graves.

Cette 5ème vague liée au variant Omicron n’est pas terminée et son retentissement sur le système de soins, va rester élevé mais en partie gérable, et ce jusqu’à mi-mars. Les enjeux pour la prise en charge des patients non COVID liés aux déprogrammations et les difficultés de gestion en personnel pour les établissements de santé sont une nouvelle priorité pour les semaines qui viennent.

Le Conseil scientifique a déjà émis plusieurs notes ou avis sur la vague liée au variant Omicron. Dans cette note, il souhaite insister sur le fait que cette vague n’est pas terminée, aborder certains points particuliers de la gestion de la crise à court terme, refaire le point sur les traitements actuels ou à venir et commencer à envisager quelle pourrait être la situation sanitaire mi-mars 2022.

VISION COURT TERME : FIN-JANVIER 2022
1. LA SITUATION EPIDEMIOLOGIQUE ET CLINIQUE a. Situation en Europe
Le Royaume-Uni a été avec la Norvège et le Danemark un des premiers pays du continent européen touché par le variant Omicron. L'épidémie a débuté à Londres début décembre 2021 au sein de la population âgée de 20 à 34 ans, avant de gagner les autres tranches d'âge. Les autres régions anglaises ont suivi avec un décalage de 5 à 10 jours. A l'échelle du Royaume- Uni, le pic du nombre de cas a été atteint à Londres le 1er janvier 2022 avec un décalage régional. Le nombre de patients hospitalisés est en plateau depuis, à la moitié du niveau observé en janvier 2021 pour les hospitalisations conventionnelles, et au quart pour les soins intensifs (il faut rappeler que la vague liée au variant Alpha il y a un an au Royaume-Uni a été particulièrement sévère, dépassant les niveaux d'hospitalisations observés avec la première vague d'avril 2020). Au 10 janvier 2022, plus de 95% des séquences disponibles au Royaume- Uni étaient du variant Omicron. Parmi les facteurs qui pourraient expliquer le nombre limité d'hospitalisations liées à la vague Omicron au Royaume-Uni figurent une proportion très élevée de personnes âgées de plus de 65 ans ayant reçu une dose de rappel (90% contre 75% en France), et la sévérité des vagues épidémiques passées ayant contribué à une immunité naturelle populationnelle élevée.

b. Situation en France
(i) Un niveau de contamination massif jamais atteint jusqu’ici
En Ile-de-France, il a été observé un léger ralentissement du nombre de cas journaliers en fin de S2, alors 350 000 cas étaient recensés par jour au niveau national. Cependant, une remontée importante du nombre de cas a été notifiée le 18 janvier avec environ 460 000 cas déclarés en 24h. Il semble que cette remontée s’explique par un regain de l’épidémie chez les moins de 15 ans et chez les 30-44 ans, suggérant un effet important de la rentrée des classes : le virus circule de façon intense chez les plus jeunes et se propage ensuite aux parents. Il y a un risque que ce rebond touche progressivement les autres groupes d’âge, et notamment les plus fragiles. Le nombre d'admissions quotidiennes à l’hôpital a dépassé les 2 000/jour depuis le 7 janvier 2022, et se situe actuellement à un niveau intermédiaire entre le pic de la troisième vague d'avril 2021 et celui plus élevé de la deuxième vague de novembre 2020. Le nombre de patients hospitalisés a dépassé le 18 janvier les 25 000 (80% des 30 000 atteints au plus fort des vagues précédentes), et celui des patients en soins intensifs reste légèrement en deça des 4 000 (66% des 6000 atteints lors des vagues précédentes).

La situation va être plus difficile dans les régions du Sud de la France (Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, et Provence-Alpes-Côte d'Azur) où les niveaux d'occupation des lits sont déjà similaires à ceux rencontrés au pic des vagues précédentes. 90% des souches séquencées sur le territoire français sont maintenant du variant Omicron.

Les modélisations de l’équipe de Simon Cauchemez à l’Institut Pasteur suggèrent qu’au niveau national, le pic des hospitalisations devrait être atteint dans la deuxième moitié de janvier avec environ 4000 patients COVID-19 en soins critiques et entre 15 000 et 18 000 patients en hospitalisation conventionnelle au pic de la vague (voir https://modelisation-covid19.pasteur.fr/realtime-analysis/omicron-variant-epidemic/). Ces modélisations ne prennent cependant pas en compte le rebond lié à la rentrée scolaire mentionné plus haut, et pourrait donc sous-estimer l’impact de cette vague sur l’hôpital si le rebond lié à la rentrée scolaire se traduit par un regain des infections chez les plus fragiles. Par ailleurs, ce modèle ne prend pas en compte les disparités régionales, qui sont importantes.

L’analyse des données de criblage et des données sur les cas suggère que depuis l’émergence d’Omicron, 4.5 millions de cas déclarés ont été infectés par le variant Omicron. Cela correspond à 9-14 millions d’infections par le variant Omicron depuis l’émergence du variant en France sous l’hypothèse que 33-50% des infections sont détectées comme étant des cas positifs. Ce niveau d’infections est exceptionnel sur une si courte période dans l’histoire de l’épidémie. Pour rappel, on estime que le nombre de contaminations durant la 1ère vague (mars-avril 2020) était d’environ 3 millions. Mi-février, une immunité post-infectieuse large (supérieure à 15 millions) va donc se rajouter à l’immunité induite par la 3ème dose/rappel (supérieure à 35 millions) sans qu’on puisse cependant affirmer qu’un niveau suffisant d’immunité collective sera atteint et que celle-ci sera durable pour protéger efficacement contre un nouveau variant.

(ii) Un système de soins en tension très forte jusqu’à mi-mars 2022
> Le Conseil scientifique note que l’on va entrer dans une période contrastée. D’un côté, le soulagement lié au sentiment d’avoir évité le pire, et de l’autre côté une circulation virale qui demeure très intense et un système de soins qui va rester en très forte tension pendant plusieurs semaines, en particulier dans le sud de la France (et peut-être en outre-mer). Le retentissement sera un peu moins marqué sur l’occupation des lits de soins critiques, mais restera marqué sur les lits d’hospitalisation classique. Globalement, sauf surprise ou modifications majeures des comportements des citoyens (voir plus loin), le système hospitalier devrait tenir durant les semaines qui viennent malgré les problèmes liés aux absences du personnel (voir différentes projections de l’équipe de modélisations de l’Institut Pasteur de Paris). Ceci est lié à une gravité nettement moindre du variant Omicron et à l’effet de protection des vaccins.

> Les déprogrammations des patients non COVID. Limiter la déprogrammation des patients non COVID est un enjeu majeur pour les 2 mois qui viennent. La déprogrammation des malades chirurgicaux sera peut-être plus limitée que prévu en raison d’une moindre tension sur les soins critiques et donc indirectement sur les services d’anesthésie-réanimation. Par contre, la déprogrammation des malades médicaux (cancers, maladies chroniques...) risque d’être plus marquée que lors des vagues précédentes, car les lits d’hospitalisation classique seront plus mobilisés par la vague Omicron malgré une baisse significative de la durée de séjour de ces patients. La gestion hospitalière des prochaines semaines devra tenir compte de ces nouveaux enjeux et des possibles tensions entre équipes médicales, avec un partenariat de nouveau très étroit entre équipes soignantes et administration, dans une vision de territoire en mobilisant les équipes et les unités de soins des structures privées. L’absentéisme des soignants, lié à un statut de cas ou de contact, devrait diminuer assez rapidement début février 2022. Une recommandation s’impose donc : éviter la prise en charge dégradée des patients non COVID, en particulier dans le domaine de l’oncologie, des transplantations d’organes, de la cardiologie et des maladies chroniques.


(iii) COVID long post Omicron ?
> Depuis le début de l’épidémie, d’après la Haute Autorité de Santé (HAS), la persistance de symptômes après l’infection au SARS-CoV-2 initiale a été observée chez plus de 20 % des patients après 5 semaines et chez plus de 10 % des patients après 3 mois.

Il n’y a pas de données concernant la fréquence et l’importance des symptômes prolongés

> en fonction des variants, on ne sait donc pas quel sera le nombre de personnes souffrant d’une forme chronique de COVID au décours de la vague Omicron en France. Le fait que le variant Omicron soit moins sévère au plan clinique pourrait réduire la fréquence de survenue de cas de COVID long, mais ce n’est là qu’une hypothèse.

Le Conseil scientifique souhaite souligner à nouveau les enjeux médico-sociaux autour du COVID long, et ce d’autant plus si le pourcentage de personnes ayant une forme chronique de COVID reste le même avec le variant Omicron, compte tenu du nombre massif de personnes infectées avec ce variant.

Le Conseil scientifique note que la loi sur le COVID long a été adoptée le 13 janvier 2022. Elle prévoit la mise en place d’une plateforme de référencement et de prise en charge des malades chroniques du COVID avec une organisation territoriale confiée aux ARS et la prise en charge des soins et des analyses liées au COVID. Cette structuration des soins vient en complément des « Réponses rapides » à destination des professionnels de santé éditées par la HAS en février 2021 et actualisées en novembre 2021 : fiches sur les stratégies de premier recours et fiches par symptôme ou spécialité. Il conviendra de veiller à ce que les moyens humains et financiers soient alloués à la prise en charge nécessairement prolongée dans le temps de ces patients, notamment pour les métiers de la rééducation et de la santé mentale indissociables du parcours de soin. Les cohortes mises en place par l’ANRS MIE sur cette thématique devraient pouvoir surveiller les éventuelles formes post Omicron.

LECONS DE LA GESTION DE CRISE
a. Des modifications des connaissances et des comportements de nos concitoyens
Après plusieurs vagues épidémiques, les Français ont désormais acquis une familiarité avec les caractéristiques de la maladie et de sa propagation. Cette familiarité est sans commune mesure avec les connaissances partagées au début de l’épidémie, qui ont elles-mêmes considérablement évolué. Nos concitoyens ont bénéficié d’une information abondante et diversifiée, et se sont familiarisé un vocabulaire spécialisé et de nombreuses notions scientifiques, à défaut d’une information toujours claire et hiérarchisée. Ce faisant, ils se sont approprié l’ensemble des moyens disponibles de lutte contre l’épidémie, en y recourant de manière globalement adaptée, en matière de port de masques, de recours à la vaccination, d’usages de tests diagnostiques, de recours aux outils numériques tels que les QR codes ou les applis développées dans le cadre de l’épidémie. Ces outils se sont insérés dans les pratiques quotidiennes et dans les comportements de chacun. Ils ont accompagné une modification des formes d’organisation collective, au travail comme dans les transports, les activités sportives ou dans les loisirs par exemple. Au fil des mois, les formes de vie ordinaire de la plupart des Français se sont adaptées, au point de devenir aujourd’hui de nouvelles normes d’usage, dans le cadre d’une autre normalité, propre à la situation épidémique et à ses rebonds successifs.

(ii) Certains segments de la population restent cependant à l’écart de ces évolutions, de manière parfois délibérée, mais le plus souvent de manière tacite, selon leurs possibilités d’adaptation, limitées par des conditions inégales d’accès à l’information, aux services de santé ou plus généralement aux ressources socio-économiques. L’adaptation à l’épidémie est l’objet d’inégalités sociales, voire d’une exclusion nullement choisie. Aussi importe-t-il, chaque fois que l’autonomie est privilégiée par rapport aux logiques de réglementation, que les segments de la société les plus éloignés de ces formes de régulation soient informés et accompagnés de manière appropriée, selon un principe d’inclusion et d’universalisme proportionné, adapté à leurs besoins spécifiques.
(iii) Dans ce contexte général, les réglementations édictées par les autorités publiques doivent tenir compte des pratiques acquises par nos concitoyens, qui disposent désormais d’une part accrue d’autonomie dans une gestion partagée de l’épidémie. D’un côté, alors que de nombreux instruments de lutte contre l’épidémie sont disponibles, les mesures générales de restriction des activités sociales semblent désormais plus difficiles à envisager, sauf en situation extrême, alors même que les effets de l’épidémie en termes de morbidité et de mortalité ne sont pas moindres aujourd’hui qu’au cours de vagues antérieures, ayant justifié le recours à des mesures strictes. Une différence importante avec les vagues antérieures est que le niveau d'immunité populationnelle induite par les vaccins fait qu'un pic d’impact sur le système de soins à un niveau acceptable peut être atteint cette fois-ci avec seulement 20% de réduction des contacts. Pour les vagues pré été 2021, il fallait au moins 50% voire 80% de réduction des contacts.

D’un autre côté, les autorités publiques prennent la mesure de ces évolutions, en répugnant à mettre en œuvre des mesures restrictives, à la fois impopulaires, dérogatoires aux libertés et peu respectueuses de la dignité des personnes et de l’autonomie acquise par la population dans la lutte contre l’épidémie. En témoignent les récentes dispositions prises ou non par le gouvernement, aussi bien que certaines décisions du Conseil d’État ou de tribunaux administratifs, jugeant notamment l’usage général des masques, dans certains départements, disproportionné.

b. Renforcer l’autonomie de nos concitoyens
Dans ce contexte, il apparaît souhaitable au Conseil scientifique de renforcer chaque fois que possible l’autonomie de nos concitoyens dans la lutte contre l’épidémie. Cela peut conduire à privilégier l’appréciation personnelle dans l’usage de certaines technologies, qu’elles soient médicales, biologiques ou autres, telles que le recours aux autotests, à la vaccination volontaire pour les enfants ou l’usage décentralisé de TousAntiCovid. Il peut aussi être question d’organisation collective, par des incitations au télétravail dans les périodes critiques, ou par la délégation à des organisations de la société civile de « ses » conditions d’activité de nature à limiter les effets de l’épidémie (collectivités, fédérations, entreprises, associations...).
La valorisation de l’autonomie et d’une forme d’autorégulation de la société dépend toutefois des informations scientifiques disponibles, selon les évolutions constatées. Ces informations doivent être actuelles, factuelles, objectives, fiables, documentées, lisibles et compréhensibles par le plus grand nombre.

c. Communication et information doivent être améliorées
Le Conseil scientifique constate le travail remarquable effectué depuis le début de l'épidémie par la majorité des journalistes de la presse écrite et audiovisuelle. Néanmoins, des logiques d'audience dans certains médias,distillent de manière répétée des informations tendancieuses ou fausses, mettant fallacieusement sur un pied d’égalité, sous couvert d’impartialité, des points de vue pseudo-symétriques opposant d’un côté des opinions scientifiquement marginales, douteuses ou erronées, et d’un autre côté des avis largement partagés par les communautés scientifiques. Ni l’impératif de liberté d’expression et de démocratie, ni les principes de controverses scientifiques, ne sont facilement compatibles avec la médiatisation d’opinions non documentées formulées par des personnes se prévalant d’une légitimité scientifique auprès du public. Faire confiance à l’autorégulation de l’épidémie par la société exige une information de qualité et une meilleure régulation collective des informations destinées au public, à la télévision en particulier.


Au regard de dérives manifestes, largement relayées et amplifiées par les réseaux sociaux, il importe que les différentes communautés de professionnels concernées – journalistes, professionnels de santé et scientifiques – assument plus fermement et en toute autonomie par rapport à l’Etat et au gouvernement les responsabilités collectives qui leur sont confiées par la société en matière d’information scientifique, qu’il s’agisse des journalistes (régulation entre pairs, Arcom), des professionnels de santé (ordres professionnels) ou des experts scientifiques (universités et organismes de recherche).

Il s’agit d’insister sur l’importance d’une autorégulation des activités d’information scientifique, indispensable à une politique de santé publique favorisant l’autorégulation des citoyens...

La suite de l'avis ici

19 JANVIER 2022, 17H30

Membres du Conseil scientifique associés à cet avis :
Jean-François Delfraissy, Président
Laetitia Atlani-Duault, Anthropologue
Daniel Benamouzig, Sociologue
Lila Bouadma, Réanimatrice
Simon Cauchemez, Modélisateur
Catherine Chirouze, Infectiologue
Angèle Consoli, Pédopsychiatre
Pierre Louis Druais, Médecine de Ville
Arnaud Fontanet, Epidémiologiste
Marie-Aleth Grard, Milieu associatif
Olivier Guérin, Gériatre
Aymeril Hoang, Spécialiste des nouvelles technologies
Thierry Lefrançois, Vétérinaire/One Health
Bruno Lina, Virologue
Denis Malvy, Infectiologue
Yazdan Yazdanpanah, Infectiologue

Cet avis a été transmis aux autorités nationales le 19 janvier 2022 à 17H30.
Comme les autres avis du Conseil scientifique, cet avis a vocation à être rendu public.