Bouddha aurait été un chef spirituel. Si les sources diverses semblent lui attribuer une durée de vie de quatre-vingts ans, la période durant laquelle il vécut varie de plusieurs siècles. Entre 961 et 881 av. J.-C. selon la chronologie tibétaine et autour de 623-543 av. J.-C. pour la tradition Theravada. Quant à la majorité des spécialistes du début du xxe siècle, ils ont situé sa naissance entre 563 et 483 av. J.-C. Mais les recherches les plus récentes dégagent désormais un consensus pour une naissance plus proche de nous et qui serait intervenue entre 411 et 400 av. J.-C.1. En revanche, tout le monde s’accorde pour dire qu’il serait né à Kapilavastu 2, une petite ville située dans le sud de l’actuel Népal. Il aurait été le souverain de cette petite principauté ainsi que le chef du clan des Sakyas, qui constituait une tribu établie au nord de la péninsule indienne et qui appartenait à la caste des kshatriyas, vouée à la guerre et à l’administration. Vers l’âge de trente à trente-cinq ans, il aurait entamé une vie errante, dans la plaine gangétique du centre de l’Inde. Il la poursuivit pendant les quarante-cinq années restantes de sa vie, au cours desquelles il voyagea sans cesse. Il enseigna sa pratique en matière de médi- tation à une grande variété de personnes, allant des nobles aux plus modestes, sans oublier les disciples d’autres philosophies et religions. Il fonda une communauté de moines et de nonnes, la sangha, qui perpétua ses enseignements après sa disparition. Ces moines errants, qui donnèrent naissance au bouddhisme, furent très actifs de son vivant dans les États de Kosala et Maghada, au nord-est de l’Inde actuelle. Siddharta Gautama aurait été le contemporain du roi Bimbisâra du Maghada, l’actuel État du Bihar dont les successeurs constituèrent, à partir des années 322 à 300 av. J.-C., la dynastie des Maurya. Depuis sa capitale Pataliputra, l’actuelle Patna, cette dynastie établit le premier État de grande taille du sous-continent indien, doté d’une administration centralisée. Cet empire est considéré comme un âge d’or de l’histoire indienne, un moment où le pays fut uni et indépendant. Ce fut particulièrement le cas sous le règne de l’empereur Ashoka, qui régna de 274 à 232 av. J.-C. et qui, après sa conversion, fit la promotion du bouddhisme, envoyant même des missions à Ceylan ainsi qu’au-delà du sous-continent indien.
La formalisation de la doctrine bouddhiste
Les deux premiers conciles se déroulèrent environ un siècle après la mort de Bouddha. Ils s’attachèrent à la conservation de ses paroles et à la formalisation de la dizaine de règles à respecter dans le monde bouddhiste. Mais son enseignement se transmit oralement, pendant trois à quatre siècles, avant d’être couché dans les textes du canon bouddhique, appelé Tipitaka, ou trois corbeilles. Ce nom viendrait du fait que les textes anciens furent rédigés sur des feuilles de palme, et auraient été rangés dans des paniers. Il s’agit d’un très vaste recueil de textes fondateurs. Ces textes sont écrits en pali, une langue de la famille indo-aryenne parlée autrefois en Inde et qui est encore utilisée de nos jours comme langue liturgique dans le bouddhisme theravada qui s’appuie sur ces textes. Ce canon aurait été mis par écrit pour la première fois au Sri Lanka au ier siècle av. J.-C., à l’occasion du quatrième concile. Quant à sa première version imprimée, elle ne date que du xixe siècle et apparut en Birmanie. Ces textes mélangent métaphysique et détails biographiques dont certains semblent improbables, voire fantastiques. Ainsi, si l’épisode où Gautama apaise un éléphant furieux, que son cousin Devadatta aurait lâché sur lui, peut être acceptable pour un lecteur critique, d’autres, tel celui de sa téléportation instantanée au Sri Lanka, ne le sont pas. La première biographie complète du Bouddha est le Buddacharita du philosophe et poète indien Ashvagosha (entre 80 et 150 apr. J.-C.), rédigée sous forme de récit épique. À noter que « bouddhisme » est un mot qui a été créé dans les années 1920 alors que jusqu’alors le mot traditionnel était dharma, la loi, ou l’enseignement du chemin de l’éveil.
Tous les courants bouddhistes considèrent Siddharta Gautama comme le « Bouddha pur et parfait » (samyaksambuddhā) de notre ère. Il aurait, selon ses adeptes, non seulement atteint l’éveil, mais aurait aussi été capable de mettre en branle le dharmacakra, ce symbole qui représente sous une forme de roue le dharma. Le titre de Bouddha, du sanskrit buddha, « éveillé », lui fut accordé plus tard, après sa mort, par ses disciples. Il est également connu comme un tathagata, celui qui est venu et allé ainsi prêcher la bonne loi, le dharma.
Des notions importantes de l’hindouisme ont été reprises puis remaniées dans le bouddhisme, comme le concept de réin- carnation, celui du karma, ou encore le statut de dieux, en particulier celui de Brahma. C’est aussi le cas des états de concentration cultivés appelés dhyana, souvent traduit par le mot « absorption », terme que l’on peut plus simplement associer aux notions de méditation ou de contemplation. Les principaux concepts du bouddhisme sont l’impersonnalité, l’impermanence et l’insatisfaction de toute chose, lesquelles doivent conduire au renoncement face au désir d’une réalité conventionnelle, la réalité ultime ne pouvant être découverte que par l’accomplissement personnel, l’illumination. Gautama Bouddha présenta son enseignement comme la redécouverte d’une vérité autrefois enseignée par les bouddhas du passé. Parmi lesquels Dipankara, qui prophétisa que Gautama devien- drait un Bouddha. Cette vérité sera à nouveau présentée par les bouddhas du futur, le prochain devant être Maitreya. Jusqu’à la fin de sa vie, Gautama Bouddha insista sur le fait de toujours continuer à chercher. Ses derniers mots auraient été : « Tous les phénomènes sont inconsistants, travaillez sans relâche à votre libération 3 ».
Au fil du temps, les moines bouddhistes devinrent trop riches et leur message perdit de sa cohérence. Quatre conciles se tinrent successivement jusqu’au iiie siècle apr. J.-C. pour tenter de définir les textes essentiels communs à tous les bouddhistes, indépendamment de leur secte d’appartenance. Ce furent à chaque fois des échecs, et finalement ils ne retinrent que les principes essentiels,à savoir les quatre nobles vérités et les trois joyaux qui faisaient consensus. Pour le reste, ils se contentèrent de noter les différences entre l’École du véhicule des anciens et celle du grand véhicule que nous développerons un peu plus loin. Vers le xiie siècle, la contre-réforme hindouiste réussit à assimiler le bouddhisme en terre indienne. Les brahmanes parachevèrent cette renaissance de l’hindouisme en considérant le Bouddha comme étant le neuvième avatar de Vishnou
Quelques points de repère sur le bouddhisme
Voici comment on peut résumer succinctement les éléments essentiels du bouddhisme
• Les trois joyaux
L’adhésion au bouddhisme, ou plus exactement l’« entrée dans la voie », est on ne peut plus simple. Il suffit d’adhérer aux trois joyaux ou plutôt d’y prendre refuge. Soit :
– je prends refuge dans l’Éveillé (le Bouddha) ;
– je prends refuge dans la loi (le dharma, c’est-à-dire l’ensemble des enseignements) ;
– je prends refuge dans la communauté monastique et l’ensemble des pratiquants (la sangha).
• Les quatre nobles vérités
Les quatre nobles vérités indiquent ce qu’il est essentiel de savoir pour un bouddhiste. Elles énoncent le problème de l’existence, son diagnostic et le traitement jugé adéquat :
– la vérité de la souffrance : toute vie implique la souffrance et l’insatisfaction ;
– la vérité de l’origine de la souffrance qui repose sur le désir et les attachements ;
– la vérité de la cessation de la souffrance qui est possible ;
– la vérité du chemin : le chemin menant à la fin de la souffrance est la voie médiane, qui suit le noble chemin octuple.
Jean-Noël Robert précise dans un petit livre, qui permet de se familiariser aisément avec le bouddhisme 4, que « comme tous les Indiens, les bouddhistes pensaient que les êtres circulaient dans une série infinie de morts et de renaissances ». Reprenant les croyances védiques, le bouddhisme précise que c’est la soif d’exister et l’attachement aux possessions matérielles qui incitent à faire des actes répréhensibles qui nous contraindront à renaître, et que seule la cessation de ces aspirations permettra d’interrompre le cycle des incarnations, le samsâra. En fait, le bouddhisme préfère d’ailleurs parler de renaissance plutôt que de réincarnation, soulignant ainsi qu’il n’y a pas rupture mais continuité. Cela pourra être obtenu par l’extinction des passions en suivant l’octuple voie, le mârga, qui propose huit méthodes à appliquer conjointement afin d’interrompre la production du karma. C’est le noble chemin ou sentier octuple, qui consiste à entreprendre des actions, des paroles, des vues et des intentions justes, comme doivent l’être aussi les efforts et les moyens d’existence, ainsi que l’attention et la concentration.
• Le noble chemin ou le sentier octuple
Les trois premières méthodes traitent de la moralité, la discipline et l’éthique. Soit :
– la parole juste : ne pas mentir, semer la discorde, tenir un langage grossier ou oisif ;
– l’action juste qui respecte les cinq principes : ne pas tuer, voler, mentir, prendre des substances qui altèrent l’esprit ou avoir une inconduite sexuelle ;
– des moyens d’existence justes.
Les trois suivantes se préoccupent de discipline mentale, de concentration, de méditation :
– la persévérance juste, vaincre ce qui est défavorable, entre- prendre ce qui est favorable ;
– l’attention juste, ou la prise de conscience juste des choses et de la réalité, de soi et de son corps, de ses émotions et de ses pensées, mais aussi des autres ;
– la concentration et l’établissement de l’être dans l’éveil. Enfin, les deux dernières tendent vers la sagesse parfaite :
– qui consiste à disposer de la vision juste ou de la com- préhension juste de la réalité. Celle des quatre nobles vérités ;
– mais aussi de la pensée ou du discernement juste, dénué d’avidité, de haine et l’ignorance.
Le terme de cette voie est appelé extinction, c’est-à-dire entrée dans le Nirvana, que l’on pourrait aussi tenter de décrire comme la fin de la croyance en un ego autonome et permanent.
• Les courants principaux du bouddhisme
Tout cela s’exprime différemment selon les très nombreux courants qui subdivisent le bouddhisme qui, comme toutes les religions, n’a pas échappé aux nombreux schismes et divisions. Quatre écoles principales fédèrent ces différents courants qui se subdivisent eux-mêmes en une multitude d’écoles dont beaucoup expriment, entre autres choses, des spécificités liées à des particularismes nationaux. Ce sont, dans l’ordre chronologique :
– hinayana, le terme qui désigne les dix-huit écoles qui auraient existé jadis ;
– theravada,la«voiedesanciens».Cetteécoleestdavantage alignée sur les points de vue des écoles bouddhistes anciennes. On la rencontre en Asie du sud et du sud-est. Elle explique comment accéder soi-même à la délivrance. Dans cette perspective, les techniques de méditation y sont assez développées, et la vie monastique y est promue comme la meilleure voie pour accéder au salut. Cette école a souvent intégré des traditions locales antérieures ;
– mahayana, la « voie du grand véhicule » ou « grand moyen de progression » qui prétend dépasser la première voie par davantage de rigueur. Elle incite chacun à devenir un bodhisattva, un être promis à l’éveil, en développant la compassion envers autrui susceptible, entre autres, de soulager le karma d’autrui. Dans cette école, l’univers compte de nombreux bouddhas. On la rencontre en Asie du nord, Chine, Corée et Mongolie. Le chan, qui met l’accent sur la méditation et qui s’est développé en Chine, avec une influence taoïste manifeste, en est une école dérivée, plus connue sous le nom du zen au Japon ;
– vajrayana « voie du diamant » ou encore « tantrisme », qui se veut plus ésotérique par une transmission d’instructions rituelles souvent faite d’un maître à un disciple. On le rencontre autour de l’Himalaya et en particulier au Tibet. Là, il est lui- même divisé en quatre écoles principales, nyingmapa, kagyüpa, sakyapa et gelugpa, illustrant ainsi combien le bouddhisme fait l’objet d’un très grand nombre de courants ou d’écoles, souvent liés à leur origine à un maître...
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1. Paul Dundas, The Jains, Routledge, 2001, p. 24.
2. On a situé Kapilavastu sur le site de Tilaurakot dans le district de Lumbini au Népal. Le roi du Koshala, Virûdhaka, suzerain des Śākya, aurait détruit la ville du vivant du Bouddha.
3. Mahāparinibbāna Sutta, DN 16.4. Jean-Noël Robert, Petite histoire du bouddhisme, Paris, Gallimard, coll. « Librio », 2008.
Christophe Queruau Lamerie
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