S'affranchir de ses dépendances affectives

“ J’ai besoin de ton regard pour grandir, pour trouver que je suis une belle personne.
Quand tu cesses de me regarder, c’est comme si je m’éteignais, ou que je redevenais
celle que je n’aime pas,

celle que je ne veux plus être*.
Que vais‐je devenir si tu n’es plus là ? Comment pourrais‐je vivre sans toi ?
Ne me quitte pas ! Il n’y a que toi pour
 donner du sens à ma vie... “

N’avons‐nous pas déjà entendu ces mots à de nombreuses reprises ? Nous les avons sans doute rencontrés dans un roman, dans un film, ou bien dans les paroles d’une chanson écoutée en boucle parce qu’elle nous touchait...

Et si nous les avions aussi prononcés nous‐mêmes ? Chaque fois, une légère émotion, peut‐être un serrement au cœur, est venue nous dire que nous comprenions les mots que nous entendions, car d’expérience, nous en partagions le sens profond.

Nous avons en effet tous connu le mal‐être de la séparation, qui nous éloigne de quelqu’un qui nous tient à cœur ; nous savons tous ce que c’est que d’avoir quitté” quelqu’un, mais aussi d’avoir été quitté. L’épreuve a été douloureuse, mais, peut‐être qu’un peu plus tard, nous nous sommes rendu compte que nous y avions survécu, émotionnellement et affectivement.

Nous pourrions même aussi nous dire a posteriori que cette séparation était une nécessité, qu’elle nous a fait grandir, nous a ouverts à une autre dimension de notre vie. Sans doute cette vision positive de la nécessaire séparation s’explique‐t‐elle par le fait qu’elle est survenue alors que nous étions capables de la vivre. Cette capacité à vivre la séparation trouve son origine dans notre vie psychique inconsciente et elle est fortement marquée par les premières expériences relationnelles que nous avons connues en venant au monde. Les expériences difficiles de notre enfance prennent une part importante dans la construction de notre personnalité. Mais, en tant qu’humains, se cache en nos cœurs, à côté d’un enfant abandonné, son autre moi, cet alter ego, enfant courageux et audacieux, avide de découvertes du monde inconnu. Il s’appelle : Pourquoi pas ?

Une contradiction
D’un côté, s’impose en effet le besoin vital de créer des liens entre nous, sans lesquels les bébés ne pour‐ raient pas grandir psychiquement, et sans lesquels, nous autres les adultes, nous ne serions que de tristes ermites tournant en rond dans une profonde solitude...

D’un autre côté, il y a cette force irrépressible qui nous pousse à nous affirmer toujours plus fortement. Pour laisser s’exprimer la poussée de maturité qui nous habite, nous sommes appelés à devenir des êtres autonomes, nantis d’une personnalité unique qui définit le contenu spécifique de notre singularité...

Être original, personnel, et en même temps en lien avec les autres, en les aimant sans dépendre abusivement de cet amour, voilà des énergies spécifiquement humaines qui animent la construction de notre personnalité. Autrement dit, nous devons accepter d’être habités dès notre naissance par des forces psychiques qui semblent à première vue contradictoires, les unes agissant à la recherche du lien sécurisant, dans le sens de la tendre proximité, tandis que dans le même moment du développement, les autres poussent irrémédiablement vers l’individualisation.

Ces deux dimensions sont aussi nécessaires l’une que l’autre, elles ne s’annulent pas, mais se cumulent, se complètent, se dynamisent... Sauf quand surviennent des conditions qui empêchent qu’un juste équilibre s’établisse entre le besoin de proximité et le besoin d’autonomie et, qu’alors, l’un des besoins domine l’autre.

L’impossible séparation
Nous connaissons des adultes qui sont étroitement attachés les uns aux autres, dans ce qui ressemble à un emboîtement, ou encore à un tandem, tant il leur est nécessaire d’être à deux pour se sentir exister. Chaque membre du duo pris isolément a besoin de l’autre partenaire pour produire de l’énergie de vie. Seul, il ne sent pas vivante sa présence aux autres et au monde.

Tant que le duo fonctionne harmonieusement, on pourrait croire à un lien d’amour profond entre deux adultes.

À y regarder de plus près, on s’aperçoit que cette proximité cache en fait une difficulté à être seul, un manque de confiance et de sécurité pour l’un, avec une autonomie fragile. Pour l’autre, on pourrait voir le besoin d’avoir quelqu’un à cornaquer, comme le petit d’homme sur le dos de l’énorme éléphant, qui serait perdu sans son guide humain.

Au sein de ces duos, le lien à l’autre est autocentré, c’est‐à‐dire tourné vers soi‐même, au bénéfice de chacun des deux partenaires, et il est le plus souvent fermé à l’attention et à l’intérêt porté aux autres, au monde extérieur. On les dirait vivants à deux dans une même bulle...

On rencontre des adultes qui n’arrivent pas à avoir confiance dans leur propre jugement, dans leurs évaluations ou dans leurs sentiments : ils doutent de tout et surtout de leur propre capacité à avoir un avis personnel, à oser une initiative, à choisir.

Ils semblent avoir besoin d’être autorisés par quelqu’un à qui ils attribuent, plus ou moins consciemment, un jugement supérieur à celui qu’ils n’osent formuler eux‐mêmes. Cette personne‐ressource devrait toujours être là, disponible, près d’eux, tout près... trop près ?

Comme les grands cétacés des profondeurs, il existe des personnes qui ont besoin d’un poisson‐pilote pour les guider dans la vie. Or, le poisson‐pilote est souvent à peine visible, tant celui qui est guidé occupe le devant de la scène. Il en va de même pour les humains : on voit distinctement le profil du dépendant, qui cache souvent celui dont il dépend.

La sécurisation implicitement recherchée par celui qui a besoin d’être guidé ne peut venir que de quelqu’un qui occupe une place affective marquante. La figure de la mère – parfois de la grand‐mère – habite le plus souvent la fonction de cette guidance ; mais ce peut‐ être aussi une figure d’homme, de père, de mari, de compagnon, de maître ou encore de mentor, qui peut conduire jusqu’à la figure du gourou. Les préceptes religieux, idéologiques et éducatifs peuvent d’ailleurs avoir la même fonction de provoquer une dépendance exclusive.

Une douce prison
Mais, au‐delà de cette relation étroite que ces duos donnent à voir, on peut s’interroger : ces personnes référentes, poissons‐pilotes, ressources, guides, qui assurent une présence inconditionnelle auprès de celui qui croit en avoir besoin, sont‐elles là par hasard ? Ne sont‐elles pas, elles aussi, habitées par le besoin d’être investies dans ce rôle d’étayage indispensable, et cela même si parfois elles s’en plaignent ? On reconnaîtra là certains parents qui se comportent vis‐à‐vis de leur enfant devenu adulte comme si celui‐ci restait un tout‐petit à qui il faudrait encore donner la main. Les deux protagonistes qui se trouvent concernés par cette forme d’emprise sont enfermés dans ce qu’on pourrait décrire comme une douce prison, une cage dorée. Cette situation psychoaffective n’est pas sans évoquer les relations précoces entre la mère et son bébé. Elle se justifie dans la première enfance, elle signe une immaturité quand elle perdure... jusqu’à l’âge adulte.

On interrogera donc le processus qui installe ce besoin d’être là pour l’autre, enraciné dans le monde intérieur, qui peut tourner à une forme d’emprise psychologique ouvrant sur la manipulation perverse.

Le grain de sable
Ces toxicomanes de la présence de l’autre ne perçoivent généralement pas la dimension problématique, si ce n’est pathologique, de leur relation. En effet, un équilibre s’instaure entre le besoin de recevoir de l’un et le besoin de donner de l’autre : généralement personne ne se plaint.

Les difficultés apparaissent seulement quand un troisième acteur s’immisce dans le couple de dépendants : par exemple, un conjoint entre une mère et sa fille. Parfois, la personne sur laquelle on s’appuyait peut être détrônée par un ou une rivale. Les possibilités sont évidemment infinies, mais elles déséquilibrent toujours un accordage qui paraissait inamovible.

La peur de la dépendance
Nous devrons également nous intéresser à une figure plus discrète de la dépendance affective problématique, qui concerne ceux et celles qui ont un besoin très profondément ancré dans leur inconscient de se tenir éloignés de toute relation affective, précisément par peur de la dépendance. Dans ce registre, on rencontrera la problématique du « contraire » : la personne se dit qu’en faisant le contraire de ce qu’on lui a fait, elle est, de façon illusoire, libre et autonome.

Approches psychothérapeutique et cinématographique
Pour comprendre les mécanismes mis en jeu dans la dépendance affective problématique, nous utiliserons des moments de psychothérapie et d’analyse reconstruits à partir de l’expérience clinique.
Nous les compléterons avec le récit de quelques situations équivalentes dans des films contemporains. L’avantage du film est qu’il concentre une situation psychologique spécifique en un scénario resserré et de courte durée. Il nous montre les protagonistes aux prises avec une seule question, aussi complexe soit‐ elle, ce qui nous permet de nous mettre à leur place, dans une identification quasi immédiate. C’est cette identification qui nous donne des informations sur nous‐mêmes et qui permet de nous interroger sur qui nous sommes, au fond.

Nous clôturerons chaque présentation par un dialogue fictif sur ce que chacun des personnages étudiés peut nous enseigner, que ce soit dans l’approche clinique ou dans celle cinématographique.

Brigitte Allain-Dupré

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