PANDÉMIE ET SANTÉ MENTALE, LA FACE CACHÉE DE L’ICEBERG

La pandémie du COVID-19 et les mesures qu’elle a entraînées (premier confinement, fermeture des terrasses, des bars et restaurants, cinémas, théâtres et lieux de rencontres … couvre-feu, deuxième confinement, restrictions des déplacements interrégionaux …) sont autant d’éléments qui mettent à mal la santé mentale des français.

 

Cela fait le buzz sur toutes les chaines d’information : le week-end dernier plus de cent personnes se sont retrouvées sur les pelouses du parc des Buttes Chaumont pour fêter un anniversaire. « La plupart étaient sans masque, et sans respect des gestes barrières … » L’aspect transgressif de ces évènements qui se multiplient dans les grandes agglomérations doit être considéré par les pouvoirs publics comme le symptôme d’une jeunesse en souffrance. Le psychothérapeute spécialiste du trouble de la personnalité borderline et Président Fondateur de l'AFORPEL (Association pour la Formation et la Promotion de l’État Limite) Pierre Nants, fait le point sur une situation plus qu'alarmante.
 

 

1- Pandémie et santé mentale : la face cachée de l’iceberg

 

Les problèmes de santé mentale sont souvent associés aux éléments suivants : changement social et sociétal rapide ; conditions de travail éprouvantes ; isolement ou/et exclusion sociale ; mode de vie malsain ; risques de mauvaise santé physique ; et, selon l’OMS, violation des droits de l’homme.

 

Le 23 mars 2020, Santé Publique France a lancé l'enquête CoviPrev afin de suivre l’évolution des comportements (gestes barrières mais également respect du confinement, consommation d’alcool et de tabac, alimentation et activité physique) et de la santé mentale (bien-être, troubles).

 

Cette enquête met notamment en évidence comment la situation épidémique et les mesures prises pour la contrôler affectent de façon importante la santé mentale de la population, et en particulier en termes de symptomatologie anxiodépressive.

 

Les femmes, les jeunes et les personnes plus âgées - et plus généralement les habitants d’un logement de moins de 30 m2 ont vu leurs niveaux d’anxiété, de dépression, fortement dégradés. Enfin, la hausse de consommation de médicaments psychotropes comme les anxiolytiques et les antidépresseurs a aussi beaucoup augmenté avec le risque de créer une dépendance supplémentaire.

 


En termes de santé mentale, les résultats de l’enquête sont alarmants :

 

  • 20% des Français interrogés déclarent souffrir d’un état dépressif, soit 10 points de plus par rapport au niveau hors épidémie.
  • 21% souffrent d’un état anxieux, soit 7.5 points de plus par rapport au niveau hors épidémie
  • 65% déclarent avoir des problèmes de sommeil au cours des 8 derniers jours, soit 16 points de plus par rapport au niveau hors épidémie
  • 9% déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours de l’année ce qui représente 4 points de plus par rapport au niveau hors épidémie.   
     

 

L’enquête observe également l’évolution de la consommation de tabac, d’alcool depuis le confinement. Là aussi, les chiffres sont tristement éloquents :

 

  • Tabac : 7% des personnes interrogées déclarent que leur consommation de tabac a augmenté à cause de l’ennui, manque d’activité (74%), à cause du stress (48%). L’augmentation de la consommation de tabac concerne les 25-34 ans (41%), les actifs en télé travail (37%), les femmes (31%). L’enquête indique que la consommation de tabac augmente avec le niveau d’anxiété et elle est plus importante dans les cas de dépression probable ou avérée.        
     
  • Alcool : 11% déclarent que leur consommation d’alcool a augmenté depuis le confinement. Les raisons mentionnées sont l’ennui, le manque d’activité (32%) et le stress (15%). On note également que la consommation d’alcool augmente avec le risque d’anxiété et de dépression.
     

 

2- Une population à risque : les personnes borderlines

 


Depuis 2013, l’AFORPEL, (Association pour la Formation et la Promotion de l’État Limite) propose aux personnes qui se sentent concernées par le trouble de la personnalité borderline un questionnaire qui permet de repérer les conséquences des dysfonctionnements émotionnels en lien avec cette maladie.

 

Depuis le 11/11/2013, 196 087 personnes ont répondu à ce questionnaire.

 

Des résultats inquiétants :

 

  • 10,55 % des répondants déclarent avoir une addiction à au moins un produit toxique
  • 41,74 % font état de comportements auto agressifs (scarifications, brulures, coupures…)
  • 53,06 % reconnaissent avoir eu des gestes et/ou des paroles violentes vis-à-vis de leur entourage.

 

Idéations suicidaires en hausse :

Enfin, et surtout, 28,55 % rapportent avoir fait une tentative de suicide dans les 8 semaines précédant la réponse au questionnaire AFORPEL, contre 9% des personnes interrogées par CoviPrev, ce qui représentait déjà une augmentation de 4 points par rapport à la période hors Covid.

 

État d’urgence : 

En précisant les résultats de l’enquête CoviPrev, ces chiffres doivent alerter les professionnels de santé mentale. En effet, si on admet que près de 3,5% de la population française souffre d’une forme plus ou moins grave du trouble borderline, alors il est urgent de prévoir une sensibilisation des soignants, en particulier les psychologues et les psychiatres à la prise en charge des symptômes d’une pandémie de santé mentale qui s’annonce redoutable.