L’immaturité et la souffrance affectives constituent une constante récurrente présente chez les personnes qui viennent me consulter. Leur vécu appartient à l’histoire du siècle dernier et a pour cadre des contextes où les mères ont été dominantes dans l’éducation de leurs enfants. Cet état des choses s’est en effet mis en place dans une période historique marquée par des générations de parents qui n’avaient pas une conscience claire du développement de l’enfant et de sa croissance vers une autonomie adulte. C’est dans ce contexte « peu éclairé » par une conscience psychologique que les femmes ont occupé le terrain, en essayant d’être de « bonnes mères ». La responsabilité des pères est tout aussi importante car elle s’est très souvent inscrite en creux dans l’absence et la distance. Ce qui nous semble aujourd’hui un comportement inadéquat, à ajuster, a correspondu à un moment donné à une normalité. Nous constatons aujourd’hui l’immaturité affective qui en est la conséquence. Un regard plus éclairé peut mesurer l’ignorance et le manque de conscience qui en toute « bonne foi » ont mis enplace ces situations dont les effets sont bien présents au début du troisième millénaire. Les reproches aux générations passées n’ont pas lieu d’être dans une perspective d’évolution de l’individu. Chaque génération a fait au mieux avec l’ouverture d’esprit et la conscience propres à son époque. Les manques et les blessures dont nous héritons constituent les empreintes du travail d’évolution à réaliser dans la vie à venir pour les générations futures. Chaque individu naît dans un contexte à partir duquel il est amené à évoluer. Les limites de ce contexte contiennent les germes de son évolution future.
Il me semble que nous entrons dans une nouvelle étape de croissance dans le processus évolutif, grâce à une conscience plus éclairée et à une maturation des individus. Ce processus évolutif qui s’est imposé ces quarante dernières années a remis en question le modèle de vies linéaires bien clôturées et sans sur- prise, et a touché tous les niveaux de la vie individuelle. Accepté ou non, il a ouvert ce qui était figé et inadapté à la situation nouvelle. C’est comme si le potentiel de l’humanité avait actualisé de nouvelles possibilités grâce à une compréhension plus éclairée du chemin à parcourir.
Il est difficile pour les jeunes générations de comprendre l’énorme saut en avant qui a été accompli en quarante ans. La remise en question de l’obéissance aveugle à des forces d’oppression et d’autorité a ouvert le champ de la responsabilité personnelle et de la réflexion après mai 68. Les individus progressent aujourd’hui vers un état plus adulte, grâce à une prise de conscience de leur responsabilité personnelle dans ce qui leur arrive et de leurs possibilités d’action.
Ce qu’on a parfois appelé « l’émergence spirituelle » à partir des années 70-80 reste une dimension un peu floue, semblable à une zone sans repères où l’individu tâtonne à la recherche d’une identité plus entière, comme poussé par une force intérieure animée d’une énergie nouvelle qui s’impose.
La capacité d’assumer une responsabilité personnelle dans son propre cheminement, au-delà des normes et des possibilités officielles et reconnues, me semble un indicateur intéressant de la maturité en train d’émerger dans la société actuelle, et que je constate dans la démarche thérapeutique en particulier. Elle me semble en lien avec une ouverture d’esprit et une attitude intérieure capables de ressentir et de décider ce qui est bon pour soi, comme si les anciens repères étaient en décalage avec les besoins nouveaux. Cette nouvelle attitude, à l’opposé de l’état d’esprit de « l’État providence » se démarque par une capacité « d’investir » pour soi afin de cheminer vers un bien-être ou un mieux-être. Cet investissement non remboursé par la Sécurité Sociale engage la responsabilité de l’individu et suppose une réflexion par rapport à ses propres choix.
Pour moi, ces nouvelles attitudes constituent un chemin de maturité, dans lequel un individu autonome a coupé les cordons ombilicaux le reliant à des repères auxquels il a besoin d’ajouter de nouvelles dimensions.
Lydie Bader
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