Nous sommes des êtres d’émotions

DES ÉMOTIONS, POUR QUOI FAIRE ?
Quelque chose se passe en nous

Qu’est-ce donc qu’une émotion ? Une définition univoque est difficile à donner tant sont nombreuses les différentes approches des psychologues, biologistes, philosophes, etc. De manière générale, il s’agit d’une réaction spécifique à une situation donnée. C’est donc la réponse que nous donnons à la suite d’un événement déclencheur.

L’étymologie donne une indication précieuse. Le terme lui-même est un mot récent qui n’apparaît qu’au xvème siècle. À l’origine, le mot « émotion » sert à désigner une situation politique troublée tel un soulèvement ou une révolte populaire. En effet, le mot est construit sur le terme latin emovere (de ex, « hors de », et movere, « mouvoir/ susciter »). Emovere signifie donc « ébranler », « mettre en mouvement ». L’émotion désigne ainsi un mouvement provoqué par une excitation extérieure. On saisit alors mieux sa signification première : agitation ou confusion existant au sein d’un corps collectif et source d’un déséquilibre. Plus tard, au xviiie siècle, l’accent est mis sur l’expression de sentiments involontaires et irrationnels. Lentement, l’émotion se distingue des sentiments et des passions et devient autonome.

L’émotion est donc avant tout mouvement. La nier revient à l’intérioriser, avec le risque qu’elle macère en nous et finisse par exploser tel un volcan ou se traduise par diverses maladies psychosomatiques. La laisser s’exprimer permet de se sentir vivant, mais attention à ne pas se laisser déborder sous peine de perdre tout contrôle.

Une grande partie de nos émotions sont créées par nos pensées, elles peuvent naître et perdurer sans qu’aucun événement déclencheur externe ne se soit produit. Ainsi, il arrive que des scénarios catastrophe susceptibles de nous angoisser aient pour créatrices nos propres pensées et notre propre imagination.

Cette réaction est à la fois psychologique et physique. Elle peut nous inciter à agir ou au contraire nous paralyser, nous donner envie de fuir ou bien d’affronter. Elle peut nous paraître libératrice et nous donner un surcroît d’énergie, ou bien nous inhiber ou nous abattre. Elle va interférer sur notre rythme cardiaque, notre fréquence respiratoire, notre débit sanguin, notre tension musculaire, les expressions de notre visage ou la posture de notre corps, notre température corporelle, etc. On parle ainsi de « réponse psychophysiologique », mettant en jeu ce que nous comprenons de l’événement dans l’immédiat, notre manière de l’interpréter, notre perception de celui-ci tant avec nos capa- cités cognitives (mémoire, croyances, pensées) qu’avec un ou plusieurs de nos cinq sens.

Légitime ou pas ?
Nos différentes réactions
Nous avons tous, à cet instant précis où inter- vient une situation, un immense répertoire de réactions et de comportements possibles, et sommes dans l’obligation de choisir rapidement la réponse qui nous paraît la plus adaptée. L’émotion sert à nous faire réagir et nous faisons alors ce que nous pensons être le mieux. Sinon, nous ferions différemment ! Mais alors, pour- quoi nous en voulons-nous d’avoir réagi d’une manière que nous considérons ensuite comme stupide, inappropriée ou contre-productive ? Parce que nous analysons la situation après coup, une fois l’émotion apaisée. Mais, sur le moment, ç’a été plus fort que nous. Quelque chose que nous maîtrisons mal – et parfois pas du tout – nous a ordonné de réagir d’une manière spécifique. Tantôt c’est pour notre bien, tantôt nous estimons qu’il aurait été préférable d’agir différemment. Et pourtant, il y a bien là une logique, notamment celle de satisfaire un besoin brutalement mis à mal.

En outre, si les émotions ont souvent mauvaise presse alors qu’elles font intrinsèquement partie de notre manière d’être, c’est qu’elles ont été longtemps méprisées et incomprises quant à leur processus et à leur utilité. En fait, ce n’est pas l’émotion en elle-même qui pose problème, mais son intensité et son mode d’expression par rapport à une situation. Si votre collaborateur a accompli une action qui met en péril la réussite de votre projet, il est normal que vous soyez en colère contre lui. Vous pouvez le lui exprimer en exposant les conséquences de son acte en termes respectueux, ou bien en hurlant et en lui jetant à la figure le dossier litigieux. Dans un cas, l’expression de colère est acceptable, car celle-ci est contenue ; dans l’autre, elle ne l’est pas, car vous vous êtes laissé dominer par votre émotion.

Des manifestations toujours présentes
La tradition philosophique a longuement et vivement discuté de la légitimité des émotions. Pour certains auteurs, une émotion peut fausser la rectitude du jugement, par conséquent il convient de faire des efforts pour l’amoindrir, voire la supprimer. Or, les manifestations de l’émotion sont toujours présentes. C’est ce que l’on constate d’ailleurs chez les personnes atteintes d’alexithymie, qui désigne l’incapacité d’identifier ses propres émotions. Elles ne savent pas mettre de mots sur leurs émotions, peuvent paraître détachées, éprouvent des difficultés à établir des liens avec autrui et surtout à dire ce qu’elles ressentent. Mais, en tout état de cause, elles ressentent les manifestations physiologiques de leurs émotions : pâleur, rougissement, accélération des battements cardiaques et du rythme respiratoire, etc.

À un manager qui un jour semblait mettre en doute que l’on ressente tous des émotions (dans lesquelles il voyait un signe de faiblesse voire un « manque de virilité »), j’avais proposé un rapide jeu de rôle. Je lui exposai trois situations et lui demandai de dire ce qu’il ressentait. Dans ce jeu, j’étais son patron et lui dis d’abord que son travail était lamentable. Puis, je lui annonçai que, face à une telle nullité, j’allais mettre fin à son contrat. Et enfin tout l’inverse, que son dossier était absolument excellent et qu’il allait recevoir une belle promotion. Dans ces trois cas, exposés en un échange verbal de quelques minutes, il put constater qu’il avait ressenti successivement trois émotions : colère, peur et joie. Tout ce que j’avais dit avait, à chaque fois, déclenché une réaction à laquelle était attachée une émotion spécifique. Cet homme niait le ressenti des émotions tout simplement parce qu’il était mal à l’aise avec l’expression de celles-ci chez certaines personnes ou dans certaines situations. Après cet exercice, il a compris que lui aussi, comme tout le monde, était avant tout un être d’émotions.

C’est très probablement à cause de cette non-compréhension du mécanisme des émotions et de leur rôle que beaucoup de conceptions philosophiques ont voulu disjoindre émotion et raison puis émotion et action. Or, il existe une composante essentielle pour agir, c’est la motivation, laquelle dépend de l’émotion ressentie lorsque l’on se représente un projet. La seule dimension mentale et intellectuelle ne suffit pas. Il nous faut aussi ressentir quelque chose qui nous donne envie, et ce « quelque chose », c’est une émotion.

Vous-même, quand vous échafaudez un projet (acheter une maison, conduire une action commerciale ou planifier vos prochaines vacances...), vous avez certes besoin d’une construction mentale mais aussi d’un ressenti. Si vous éprouvez de la joie à faire aboutir votre projet, votre engagement (et conséquemment vos comportements) sera très différent que si vous éprouvez de l’ennui ou de l’indifférence.

Une émotion « à l’insu de notre plein gré »
Une émotion, disions-nous, est une réaction à un événement. Nous ne réagissons pas tous de la même manière au même événement : ce qui vous inquiète va terroriser votre voisin et laisser totalement indifférent telle autre personne. Ce qui vous inquiétait, il y a quelques semaines, vous laisse aujourd’hui très serein ou... vous met en panique. Tout cela parce que votre degré de réaction est fonction de votre interprétation strictement personnelle de l’événement en question.

Ensuite, il faut comprendre que votre réaction n’est pas préméditée. Elle survient « à l’insu de votre plein gré ». En effet, vous ne vous êtes pas levé ce matin en vous disant : « Tiens, j’aimerais bien avoir une grosse colère à 10 heures et peut- être une frayeur vers 16 h 30. » Et cela parce que vous ne décidez pas d’éprouver telle émotion s’il y a un événement déclencheur. Cela étant, vous pouvez vous lever avec une appréhension, qui peut se manifester par une réaction physique comme un mal de ventre ou une respiration difficile, parce que vous devez passer un examen en fin de matinée. En réalité, vous « actualisez » cet examen futur au moment où vous y pensez et cela déclenche l’émotion correspondante. Cela peut aussi concerner la joie, si vous savez que vous allez retrouver l’élu(e) de votre cœur en début de soirée : cette perspective déclenche alors cette émotion par anticipation. Il y a donc une logique, mais ce qui engendre telle ou telle émotion, c’est bien l’événement en question et la représentation que vous vous en faites.

Cette logique se retrouve dans une multitude d’actions quotidiennes. Vous marchez dans la rue et manquez de tomber en trébuchant : vous avez eu peur pendant quelques secondes et c’est normal. Les superbes vacances que vous avez passées vont s’achever. Au moment de quitter un lieu et des personnes qui vous ont enchanté, il est légitime de ressentir une certaine tristesse. Vous venez de finaliser un dossier complexe et votre patron vous félicite pour votre travail. Vous ressentez une joie très agréable.

Prenons encore un autre exemple qui illustre l’impact de nos pensées (et de notre imagination). Il est 17 heures, votre téléphone sonne. Vous décrochez avec pour seule interrogation : quelle est cette personne ou bien que va-t-elle me dire ? Pas d’émotion particulière. Il est 23 heures, votre téléphone sonne. Vous décrochez à toute vitesse, le cœur battant, très inquiet. Objectivement, c’est la même sonnerie avec juste un décalage de quelques heures, mais votre interprétation de ce qui se passe est très différente. Dans le premier cas, vous êtes par exemple sur votre lieu de travail et il est habituel que l’on vous appelle. Dans le second, l’heure est inhabituelle et vous redoutez l’espace d’un court instant qu’il soit arrivé un accident à l’un de vos proches. Vous avez donc, en une fraction de seconde, imaginé un événement probable et négatif, et votre corps a instantanément réagi. Ce n’est qu’en entendant votre enfant vous dire qu’il est bien rentré chez lui que vous vous apaisez et que votre cœur retrouve son rythme normal.

Quand vous roulez sur une petite route de montagne, c’est bien parce que vous avez peur de rater un virage et de tomber dans un précipice que vous roulez à une vitesse modérée. La peur que suscite un événement probable et futur mais que vous actualisez vous permet de sauvegarder votre intégrité physique. Vous pouvez remercier cette peur, car elle vous protège d’un vrai danger potentiel. En revanche, sur une autre route en fond de vallée, dégagée et plate, il y a un endroit où vous avez été témoin autrefois d’un grave accident. Vous vous dites que, rationnellement, il n’y a aucun danger à passer à cet endroit, comme des milliers d’autres véhicules, mais vous vous sentez empli d’inquiétude. Ici, c’est vous-même qui créez l’événement déclencheur d’émotion : l’accident vous revient en mémoire et vous imaginez que cela pourrait vous arriver. Cette pensée vous dérange et vous estimez que votre peur est idiote, mais c’est plus fort que vous : sur une centaine de mètres, vous êtes tendu et inquiet, et redoutez que ce qui est arrivé à d’autres ne vous arrive aussi. Là, votre peur n’est pas utile, mais vous n’y pouvez rien (pour l’instant !).

Dans toutes ces situations, vous n’avez à aucun moment commandé la survenance de tel type d’émotion ni de son intensité. Cette émotion et la force avec laquelle elle s’exprime sont indépendantes de votre volonté. Notre organisme se prépare à interagir d’une certaine manière avec son environnement. Il y a des cas où cela nous est bénéfique et d’autres où ça l’est moins de sauvegarder votre intégrité physique. Vous pouvez remercier cette peur, car elle vous protège d’un vrai danger potentiel. En revanche, sur une autre route en fond de vallée, dégagée et plate, il y a un endroit où vous avez été témoin autrefois d’un grave accident. Vous vous dites que, rationnellement, il n’y a aucun danger à passer à cet endroit, comme des milliers d’autres véhicules, mais vous vous sentez empli d’inquiétude. Ici, c’est vous-même qui créez l’événement déclencheur d’émotion : l’accident vous revient en mémoire et vous imaginez que cela pourrait vous arriver. Cette pensée vous dérange et vous estimez que votre peur est idiote, mais c’est plus fort que vous : sur une centaine de mètres, vous êtes tendu et inquiet, et redoutez que ce qui est arrivé à d’autres ne vous arrive aussi. Là, votre peur n’est pas utile, mais vous n’y pouvez rien (pour l’instant !).

Dans toutes ces situations, vous n’avez à aucun moment commandé la survenance de tel type d’émotion ni de son intensité. Cette émotion et la force avec laquelle elle s’exprime sont indépendantes de votre volonté. Notre organisme se prépare à interagir d’une certaine manière avec son environnement. Il y a des cas où cela nous est bénéfique et d’autres où ça l’est moins.

Xavier Cornette de Saint-Cyr

 
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