Mère / fille : une relation particulière

Elle commence par être une voix reconnaissable entre toutes. Une voix qui nous parvient étouffée dès les prémices de la vie. Elle est un rythme qui nous berce, des émotions qui nous secouent, un ventre qui nous expulse. Elle est le premier parfum qui frappe nos narines, le premier visage auquel s’accroche notre regard, le premier « peau contre peau », la première chaleur humaine... La mère est le centre de tout. Elle est à l’origine du monde, à l’origine de nous- mêmes. Elle est notre présent, notre futur, la première image de nous en femmes. Notre lien avec elle est unique. Il ne ressemble à aucun autre. Elle reste longtemps le phare de notre petite existence, la seule personne au monde que nous puissions appeler Maman. Elle ne sera jamais une femme parmi d’autres. Nous venons d’elle, nous sommes nées d’elle. Ce lien viscéral empêche tout recul. Ses phrases, ses regards, ses humeurs nous frappent de plein fouet. Elle seule provoque des émotions extrêmes, de l’amour absolu, de la haine totale. Venir de son ventre crée en nous un bouillonnement charnel, vivant, instinctif. C’est fort, c’est beau, c’est terrible : nous vibrons quand elle vibre. Nous rions quand elle rit, nous tremblons quand elle souffre...
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Elle commence par être une voix reconnaissable entre toutes. Une voix qui nous parvient étouffée dès les prémices de la vie. Elle est un rythme qui nous berce, des émotions qui nous secouent, un ventre qui nous expulse. Elle est le premier parfum qui frappe nos narines, le premier visage auquel s’accroche notre regard, le premier « peau contre peau », la première chaleur humaine... La mère est le centre de tout. Elle est à l’origine du monde, à l’origine de nous- mêmes. Elle est notre présent, notre futur, la première image de nous en femmes. Notre lien avec elle est unique. Il ne ressemble à aucun autre. Elle reste longtemps le phare de notre petite existence, la seule personne au monde que nous puissions appeler Maman. Elle ne sera jamais une femme parmi d’autres. Nous venons d’elle, nous sommes nées d’elle. Ce lien viscéral empêche tout recul. Ses phrases, ses regards, ses humeurs nous frappent de plein fouet. Elle seule provoque des émotions extrêmes, de l’amour absolu, de la haine totale. Venir de son ventre crée en nous un bouillonnement charnel, vivant, instinctif. C’est fort, c’est beau, c’est terrible : nous vibrons quand elle vibre. Nous rions quand elle rit, nous tremblons quand elle souffre...

L’amour d’une mère envers sa fille est souvent plus mesuré, plus lent à se mettre en route. Cette petite fille qu’on nous pose sur le ventre, comme elle est rouge, comme elle est fripée, cabossée, comme elle déroute... Parfois c’est un coup de foudre, un merveilleux élan mais d’autres fois, c’est une perte d’abord, puis un étonnement, puis une rencontre. L’instinct maternel dont on nous parle est démenti par les faits : ces bébés filles en Chine qui disparaissaient des statistiques quand la politique ne tolérait qu’un seul enfant par couple. Ces aristocrates au dix-huitième siècle qui confiaient leurs enfants à des nourrices, sans états d’âme3. Il y a toujours eu des mères pour aimer leurs enfants mais si l’amour maternel est si beau, c’est qu’il est porté par l’histoire d’une société, par l’accueil des pères et qu’il puise dans nos réserves de qualités humaines : l’intelligence, la sensibilité, l’empathie, le sens du devoir. Il passe par l’attendrissement : Comme elle est petite ! Par la morale : J’en suis responsable ! Par l’identification : Que deviendrait-elle sans moi ?

Une mère n’aime jamais tout à fait comme une fille. Les filles en parlent de manière si passionnée : Je l’adore ! Elle me tue ! Histoires de peau : Ma mère je ne peux pas l’embrasser, même pas la regarder... Les mères en général sont plus raisonnables. Moins de chair, moins d’émotion, moins d’instinct et tant mieux. C’est de sentir que sa mère ne luiest pas viscéralement attachée qui permet à la fille de se libérer d’elle. C’est aussi parce que l’amour maternel n’est pas qu’instinctif qu’il est structurant. Clémence, 14 ans, rentre un jour à la maison en minijupe, vraiment trop maquillée. Instinctivement, sa mère pourrait hurler : c’est dangereux pour une fille de se promener le soir dans cet accoutrement. L’amour maternel est plus raisonnable, plus intelligent. Gaëlle, sa mère, explique : Je lui ai demandé d’aller se changer et se démaquiller. Puis je lui ai dit que je comprenais qu’elle ne se sente plus une petite fille mais qu’elle n’était pas encore une femme. Si elle le souhaitait, je pouvais lui apprendre à s’habiller et à se maquiller différemment pour qu’elle puisse exprimer sa féminité, mais une féminité de son âge...

Grâce à cet instinct qui s’éveille et à nos qualités humaines, ce bébé devient notre « petite chérie » ; elle ne sera plus jamais une étrangère. Nous l’avons portée, bercée, nourrie, accompagnée, soutenue, conseillée. Elle a nos traits, notre sang. Nous en sommes responsables. Nous l’avons vue grandir, évoluer et se transformer. En elle, il y a de nous à jamais.

Certes, on pourrait dire la même chose d’un garçon car lui aussi, nous l’avons porté et nourri. Lui aussi, nous l’avons soutenu, accompagné. Néanmoins, avoir une fille ou avoir un garçon, ce n’est pas la même chose. Nous nous reconnaissons moins dans un garçon. Il saute aux yeux qu’il n’est pas comme nous. Il est un peu plus étranger, un peu plus à distance. Comme nous n’avons pas le même sexe, nous savons qu’il n’aura pas le même vécu, pas les mêmes ambitions, pas la même place dans la société. Il est d’emblée du côté de son papa, du côté des hommes tandis qu’une fille...
Elle sera une petite fille, une femme et sans doute une mère comme nous l’avons été. Elle aura un destin comparable au nôtre puisqu’elle traversera les mêmes étapes, les mêmes bonheurs, les mêmes soucis. À une fille, on prête un parcours semblable au sien et certains pères en rajoutent en nous englobant sous cette appellation les filles ! Alors forcément, on met beaucoup de soi en elle. Pendant la grossesse, on espère qu’elle sera une « petite moi » en mieux. Aude, 23 ans et maman pour la première fois, imagine la petite fille qu’elle va mettre au monde. Elle espère qu’elle aura ses yeux bleus mais pas ses mains qu’elle trouve moches. Qu’elle sera plus grande en taille et qu’elle aura de beaux cheveux car les siens sont raides comme des baguettes. Elle aimerait qu’elle ait meilleur caractère car elle est consciente de devoir arrondir ses angles. Elle part d’elle-même pour imaginer sa petite fille tandis que pour un garçon, elle penserait plus au papa.

C’est à partir de notre propre expérience que nous encourageons une fille ou la mettons en garde : Tu verras comme c’est bien ! Ou : Attention à toi ! Observons que ce que nous disons n’est ni bien ni mal. Nous partons seulement de notre expérience, de qui nous sommes. Martine, 57 ans, par une phrase compliquée (accrochez-vous !) décrit toute la complexité de la relation mère-fille : Avec une fille c’est plus proche, plus embrouillé. Il m’a semblé à la fois étrange et merveilleux de voir éclore quelqu’un d’identique sans me prendre pour elle, sans la prendre pour moi, mais en m’appuyant sur ce que je connais de moi pour la comprendre et l’accompagner dans ce qu’elle est, et que je ne suis pas. Pour la valoriser en tant que femme et lui donner confiance en elle, lui dire qu’elle est belle, séduisante, aimable et donc que les hommes pourront l’aimer. Avec un fils, j’ai la même notion de ce que signifie être une mère mais il n’y a pas la même identification. Nous n’avons pas les mêmes choses à partager, pas les mêmes étapes de vie à traverser. J’ai des échanges plus nourris avec ma fille. Avec mes fils c’est plus factuel, avec ma fille plus psychologique, plus émotionnel. Si ma fille se fâche avec une copine, on en discute pendant des heures en cherchant à comprendre ce qui est arrivé, comment et pourquoi elle a dit ça, elle a fait ça ; on décortique... Mon fils arrive et il me dit : « Il est gonflant Mathieu » et c’est fini ! Avec une fille il y a des tas de circuits relationnels qui ne demandent qu’à s’activer et qui sont déjà tout tracés.

UNE RELATION POREUSE
Identification, le mot est lâché. Elle, c’est moi. Moi, c’est elle. Mère et fille s’imbriquent. On pourrait même parler d’une relation « poreuse ». La porosité est la caractéristique de l’éponge ou du buvard qui absorbe les éléments extérieurs et s’en imprègne. Une maman élève sa fille en partant d’elle-même et de son expérience de la vie, des hommes, de la société, de la féminité. Elle lui transmet le plaisir de s’habiller, de faire la cuisine, de partir travailler, d’aimer le père de sa fille... Sa fille, qui la scrute pour grandir, sent si sa maman est bien dans sa peau, si elle aime son corps féminin, si elle pense du bien des hommes, si elle les voit comme de « grands enfants » ou des lâches ou des coquins ou des gens merveilleux qu’il fait bon rencontrer. Elle sent si elle aime avoir des enfants, si elle l’aime, elle, si elle aime la vie, si elle aime les gens. Une petite fille est une éponge qui s’imprègne des croyances mais aussi des émotions. Quand sa maman a mal, elle a mal. Quand elle angoissée, elle se désorganise. Quand elle souffre, elle vacille. Quand elle est heureuse, elle sourit. Quand elle est calme, elle pense que tout va bien. Voilà pourquoi tant de filles cherchent à rendre leur mère heureuse, pour se sentir bien, allégées, car tant que leur mère est triste, elles le sont aussi. Jennifer, 32 ans, est devenue hypocondriaque pour avoir vu sa mère souffrir d’un cancer. Depuis, elle-même se croit malade. Carine, 50 ans, obsédée par son poids traque les kilos en trop de... sa fille qui se voit grosse alors qu’elle ne l’est pas.

Les mères attentives essaient de protéger leur fille de cette porosité. Elles ferment certaines portes de la communication pour limiter ce système de vases communicants, elles savent aussi se taire pour laisser leur fille penser par elle-même. Elles savent que des ennuis, des difficultés doivent rester secrets ou au moins être minimisés ou parlés parce que les mots adoucissent les émotions et déchargent les filles de la mission qu’elles se donnent de rendre maman heureuse.

Mais les mères aussi sont des éponges : quand leur fille souffre, elles ont mal. Quand elle divorce, elles se déchirent. Quand elle accouche, elles s’affolent... Voilà ce qui complique la relation mère-fille et la rend à la fois plus proche et plus complexe qu’avec un garçon. Il y a des mamans qui sont d’emblée un peu plus mal à l’aise avec une fille. Elles préfèrent davantage de distance. La proximité les inquiète ou les intimide. Elles n’aiment pas se sentir responsables à ce point. D’autres se sentent mal à l’aise avec la féminité. Cette petite fille qui les scrute vient titiller leurs points faibles. Jo, comme on l’appelle (diminutif de Marie- José), 49 ans, a grandi dans un monde de garçons ; elle n’avait que des frères. Elle a peu joué à la poupée, ne s’est jamais maquillée. Dans son milieu catho-tradi comme elle dit, c’était mal vu. À peine un peu de bleu aux paupières quand elle a marié son fils, le port d’une robe ce jour-là en ayant l’impression d’être déguisée toute la soirée. Ses efforts de féminité se sont arrêtés là. Elle constate avec humour que la garde-robe de son mari et la sienne sont très semblables : pantalons, chemises, chaussures à talons plats... Ouf ! Elle n’a eu que des garçons. C’est un soulagement. Pour avoir une fille il faut aimer la féminité. Ce n’est pas mon truc. Pour moi être une femme – j’ai été élevée comme ça – se borne à avoir des enfants et un mari bien sûr...

De son côté, Bérénice, 35 ans, voulait absolument une fille pour ne pas rester seule avec les garçons, explique-t-elle. Je rêvais d’une complice, d’une copine pour partager des trucs de filles, m’enfermer dans la salle de bains, parler de fringues, de maquillage, lui transmettre le goût des parfums, des bijoux, des vêtements. J’aime tellement la féminité que j’avais envie de transmettre tous ses bonheurs.... Je lui ai appris à se faire belle et à se sentir belle. Je ne me serais pas arrêtée d’avoir des enfants, jusqu’à ce que j’aie une fille. Salomé c’est toute ma joie !

Patricia Delahaie
 
 


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