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« L’enfant maltraité est celui qui est victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels,
négligences lourdes, ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique ».
Observatoire National de l’Action Sociale (ODAS)
En dehors des « accidents de la vie » qui concernent tous les êtres humains (et dont nous parlerons plus loin), à n’importe quel âge, nous savons que dès la vie intra-utérine, les enfants peuvent être victimes d’événements et de situations traumatiques qu’ils ressentent à travers les émotions de leurs parents.
Puis, en famille tout d’abord, à la crèche et à l’école plus tard, les enfants n’ont pas toujours la vie légère et insouciante qu’on aimerait leur prêter. Les difficultés affectives et relationnelles, des situations parfois très traumatisantes ponctuent leur quotidien, certaines installant un trouble de stress post-traumatique sans même que l’on s’en rende compte. Il devient alors chronique. La vie de famille n’est pas toujours une sinécure, elle est souvent très éloignée de l’image d’Épinal, tellement idéalisée, du mythe de la famille parfaite. Il m’est souvent arrivé de décrire la maltraitance familiale, qu’elle soit physique ou psychique – les deux allant malheureusement trop souvent ensemble. Je n’ai rien contre la notion de famille, loin de moi une telle idée, mais mon métier m’a évidemment amenée à rencontrer tant d’adultes blessés dans leur enfance et/ou leur adolescence qu’il n’est pas possible de parler des TSPT sans les évoquer.
Dès la vie intra-utérine
•Le lien entre l’enfant et le monde
Dès la grossesse, des liens profonds se créent, se développent et sont entretenus entre la mère et l’enfant : c’est la naissance d’un attachement extrêmement puissant fondé sur un échange émotionnel de chaque instant (nous ne cessons pas de ressentir des émotions, même si nous n’en avons pas conscience). Durant fort longtemps, l’homme de la rue comme les scientifiques pensaient que l’utérus n’était qu’une poche neutre et muette où pouvait se développer l’enfant, une sorte d’éprouvette géante, tout comme ils avaient la certitude que les bébés à naître ne relevaient que de la seule biologie, qu’ils n’étaient que des «organismes» vivants qui ne ressentaient rien, ne souffraient pas, n’éprouvaient aucun sentiment ni aucune émotion. Ces croyances ont aujourd’hui fort heureusement disparu et l’on sait très bien que ce qui se passe entre la mère et l’enfant – sans oublier le père –, tout au long de la vie intra-utérine, est fondamental en matière de lien et de santé physique tout autant que psychique.
La première communication entre la mère et son enfant est sensorielle : le bébé perçoit les mouvements de l’utérus, ses contractions – qui constituent une sorte de massage grâce aux pressions qu’il effectue sur sa peau. L’enfant perçoit également la chaleur liquide dans laquelle il baigne, «le clapotis interne de sa mère; il flotte dans un merveilleux hamac qui se balance tandis qu’elle marche8 ».
De plus, chaque caresse de la mère (ou du père) sur le ventre est ressentie par l’enfant, qui découvre une forme de toucher « extérieur » extrêmement importante pour lui dans la mesure où il s’agit d’une communication avec laquelle il «joue» puisqu’il y réagit en bougeant. Or une mère qui souffre de TSPT se caresse moins le ventre...
Une autre communication s’installe également, fondée sur l’odorat et sur le goût, puisque le fœtus avale le liquide amniotique, « goûtant ainsi sa mère 9 ».
Quant au père, il n’est pas absent de la vie sensorielle de l’enfant puisqu’il est « porteur d’une odeur de musc qui le caractérise, et que la mère inhale ces molécules odorantes, que l’on retrouve dans le liquide amniotique ».10 Or nous savons que, sous le coup de certaines émotions, particulièrement les plus pénibles, dont la peur, notre odeur se modifie : l’enfant alors s’en nourrit.
Quant au monde sonore de l’enfant, il est constant. Déjà aux alentours de leur vingt-cinquième semaine d’existence, même nichés à l’intérieur de l’utérus, les bébés réagissent aux sons. Le futur bébé est donc suffisamment structuré neurologiquement pour être capable de percevoir des informations auditives issues de son monde tout autant que de l’extérieur, les traiter et surtout les retenir. Plus forte que les bruits du placenta, la voix de la mère domine tout ce que le bébé peut entendre. Légèrement différente de la voix réelle, elle est plus grave, plus puissante. Dès que sa mère se met à parler, ses battements de cœur s’accélèrent, tout comme il est capable de percevoir les variations de tonalité de sa voix : il se comporte différemment en fonction de ce qu’il entend, il bouge et s’installe autrement. Il est donc capable de différencier non seulement une parole d’un chant, mais encore les diverses expressions émotionnelles qu’il peut percevoir – et les sons venus de l’extérieur ne sont pas constamment un fond musical agréable. Cris et gémissements, plaintes et pleurs ne lui sont pas inconnus. Et les expériences ne manquent pas qui nous racontent comment le bébé se met à sucer son pouce quand sa mère éprouve une baisse d’énergie, alors que lorsqu’elle est en forme, son rythme cardiaque s’accélère.
Ce qui se passe pendant la vie intra-utérine n’est décidément pas anodin et, de ces premiers moments de vie, dépendra une très grande part de la vie affective, relationnelle et émotionnelle de l’enfant devenu grand. Sa plus ou moins grande sensibilité à son environnement commence à se forger dès cette période : il sera plus ou moins touché par les traumatismes.
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Une étude éloquente
Une étude menée conjointement par des chercheurs de l’Inserm et un pédiatre endocrinologue de l’hôpital Bicêtre à Paris a démontré qu’un événement traumatisant pour la mère pouvait avoir des répercussions graves, traumatisantes également, sur la vie intra-utérine de son enfant. Ils ont étudié une population de mères dont l’époux était décédé ou très gravement blessé au cours de la Première Guerre mondiale : leurs enfants ont subi un tel stress que leur capital santé s’en est trouvé affecté, réduisant leur espérance de vie.
Cette étude portait sur 4 000 enfants nés entre août 1914 et décembre 1914, et qui avaient vécu ce stress précoce : ils ont perdu plus de deux années de vie par rapport aux autres enfants nés dans ce même temps et dont les pères étaient saufs.
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Les conséquences du stress prénatal
Le stress maternel prénatal va donc prédisposer l’enfant à une plus forte sensibilité au TSPT, en particulier lorsque le ou les événements traumatisants ont lieu au cours des deux premiers trimestres de la vie intra-utérine, plus précisément durant la dixième semaine de gestation (quand près de deux cent cinquante mille neurones sont produits quotidiennement par le cerveau, pendant la neurogenèse) et de la vingt-quatrième semaine à la trentième, quand les connexions s’établissent (par les relais synaptiques) entre les neurones. Si, au cours de ces périodes, la mère subit un stress grave (le décès de son époux ou compagnon, un deuil très douloureux ou un divorce difficile), cette construction peut en être touchée, entraînant des conséquences sur les plans physique, psychique, mental et comportemental.
8. Diane Ackerman, Le Livre des sens, voir bibliographie, p. 102.
10. Ibid., p. 104.
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Sylvie Tenenbaum est psychothérapeute depuis plus de trente-cinq ans. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages dont "Se libérer de l’emprise émotionnelle" (éditions Leduc.s) et "Vaincre la dépendance affective" (Albin Michel).