L’intensité du présent : la force du souvenir



Ce qui donne la force aux souvenirs d’enfants c’est justement le moment de cet investissement total de l’être, dégagé d’un avant et d’un après et engagé totalement dans ce qu’il vit pour l’occuper si pleinement que, parfois, il ne reste de place pour rien d’autre. C’est une empreinte. C’est elle qui confère l’intensité, c’est elle qui marque. D’autant plus intensément que l’événement surgit sur le terrain vierge, ou presque, de l’enfance.

Pour certains, cette « présentitude », lorsqu’elle passe d’heureuse à douloureuse, parvient à une sorte d’alternance où être présent, à soi, aux autres, à ce que l’on est et fait, est tout de même réalisable, acceptable, accessible. Attitude salvatrice et résiliente produite par ce mouvement de l’un à l’autre, chemin d’accession à des issues, des possibles. Pour d’autres, le présent a été si douloureux que seul l’oubli est la réponse adaptée. Pour d’autres encore – ou est-ce que ce sont les mêmes ? –, le souvenir douloureux reste ancré là, bloqué figé, ressenti, perçu comme fort et désuet à la fois, microtraumatisme dont on se souvient et que l’on évite d’évoquer. D’allure neutre au mieux, inopérant au pire, mais néanmoins présent, consciemment ou inconsciemment, et dans tous les cas agissant. Cette amnésie est une sorte de défense naturelle, ni voulue ni choisie, mais néanmoins active. En effet, des études conduites en 2007 à l’université de Colorado par le neuroscientifique Brendam Depue concluent que, lorsque l’on désire oublier un événement ou une image, notre cerveau réduit l’activité de la partie chargée de recevoir et d’enregistrer les souvenirs. Cela expliquerait l’estompage ou l’absence de souvenir liés à certains événements, en particulier douloureux. Dès lors, ces vécus de l’enfance restent dans le présent et donc appartiennent au quotidien de celui qui les a vécus tant que la métabolisation ne sera pas faite. Par conséquent, tous ceux pour qui le passé reste présent, qu’ils soient ceux pour qui l’oubli a pris le pas sur le souvenir, ou pour tous les autres, chacun à sa mesure et selon son histoire, ignorent ce qu’est être présent ne serait-ce qu’à soi. La seule présence à soi est une absence, un manque. Cette présence est alors faite de vide, d’angoisse, de ce que l’on évite... Le vide génère l’angoisse. Souvent, elle cherche sa réponse par le remplissage et les addictions. Distinction subtile et peut-être toute intellectuelle, car y a-t-il une différence réelle entre se remplir et être addict ? Ne serait-ce pas une façon d’être présent que de se remplir pour se sentir et se ressentir, donc vivre et exister ?

• Le présent des stoïciens
Épicurisme et stoïcisme privilégient le présent au détriment du passé et surtout du futur. Ils posent comme principe que le bonheur doit se trouver dans le seul présent. Un instant de bonheur est comme une poussière d’étoile et contient en lui tout l’univers. Chaque instant d’existence prend donc une valeur infinie, puisqu’elle contient potentiellement toutes les autres. Pierre Hadot nous dit qu’ « épicurisme et stoïcisme invitent à replacer l’instant présent dans la perspective du cosmos et à reconnaître une valeur infinie au moindre moment d’existence1 ». Et de rajouter, en citant Cicéron : « Un temps infini ne peut pas nous faire goûter un plaisir plus grand que celui qui nous fait goûter le temps que nous avons limité2. » C’est cet abord des choses que tous ceux qui souffrent de comportements addictifs ont du mal à accepter, intégrer et mettre en œuvre. Le plaisir semble naître de la quantité ingurgitée, souvent démesurée, plus que de la qualité goûtée avec mesure dans un esprit de délectation, en vue d’en savourer chaque instant.

Selon Sénèque, il convient de séparer deux choses : le souvenir des difficultés d’autrefois et la crainte de l’avenir. L’un ne me concerne plus, l’autre ne me concerne pas encore. On peut dire que le secret de la joie stoïcienne, c’est de vivre chaque instant comme s’il était le dernier. Hadot précise que pour les stoïciens, « le bonheur ne regarde ni vers l’avant ni vers l’arrière et c’est ainsi que s’éternise l’instant3. » Il ajoute, dans une interview à Philosophie magazine : « Un autre exercice spirituel est la concentration sur le présent. Je dis quelquefois, tout en reconnaissant la difficulté de l’exercice : on devrait vivre ment enrichi et modifié. L’un des principaux textes relatifs à cette pratique dans la spiritualité chrétienne est Exercices spirituels d’Ignace de Loyola (1491-1556). Fondateur de l’ordre des jésuites, dans cet ouvrage il définit, dès la « première annotation » le titre. « Par ce terme d’exercices spirituels, on entend toute manière d’examiner sa conscience, de méditer, de contempler, de prier vocalement et mentalement, et d’autres opérations spirituelles, comme il sera dit plus loin. De même, en effet, que se promener, marcher et courir sont des exercices corporels, de même appelle-t-on exercices spirituels toute manière de préparer et de disposer l’âme pour écarter de soi toutes les affections désordonnées et, après les avoir écartées, pour chercher et trouver la volonté divine dans la disposition de sa vie en vue du salut de son âme1. » Par cette définition, il tente de nous donner des moyens et nous invite à nous mettre en condition, avec tout notre être, pour accéder à Dieu et ainsi sauver notre âme. Si l’on exclut l’objectif religieux de ces exercices, plus laïquement, ils ont pour but de nous rendre présent à nous-même, en écartant tout ce qui peut nous distraire de cette forme de concentration. Ce qui revient à nous aider à nous rendre présents. Jérôme Nadal – secré- taire d’Ignace de Loyola, puis vicaire général de la Compagnie de Jésus –, sous l’instigation de ce dernier, fait réaliser un recueil de gravures connu sous le nom de Evangelicae Historiae Imagines dans le but d’apprendre et de faciliter aux novices l’accès à la méditation. Les légendes contiennent le titre de la scène évangélique, mais également une série d’annotations qui expliquent, par des renvois de lettres insérées dans l’image (A, B, C, etc.) telle ou telle partie de la scène représentée ou du lieu où elle se déroule (ce qui s’appelle la « composition de lieu » dans les Exercices spirituels). Le recueil suit l’ordre des contemplations données par Ignace de Loyola dans les Exercices, dont il devient un complément. Il est une aide pour le retraitant à se plonger entièrement dans la scène qu’il contemple, à s’y rendre présent comme s’il y était. Cela signifie que la représentation mentale, stimulée par la suggestion visuelle, opère un déplacement de la personne qui lui permet de recevoir et de sentir les messages, mais aussi les sensations que sa présence dans les lieux, même virtuelle, lui laisse éprouver. Comme le rapporte Matteo Ricci1, il s’agit d’un ouvrage d’une utilité aussi grande que la Bible. « Pendant que nous parlons, nous pouvons mettre sous les yeux de nos interlocuteurs des choses que les mots seuls ne pourraient expliquer. »

• La méditation dans le bouddhisme, le soufisme
De même, la méditation a toujours été un fondement et un élément central du bouddhisme. Rappelons que le Bouddha historique a trouvé son éveil spirituel en méditant sous l’« arbre de la Bodhi ». Le zen, branche du bouddhisme, est aussi centré sur la méditation silen- cieuse et parvient à une acception occidentalisée du terme sous une forme de sérénité. Aujourd’hui, on ne peut se référer au bouddhisme sans évoquer le bouddhisme tibétain représenté par le dalaï-lama et Matthieu Ricard en France et dans le monde...
 

Corinne Van Loey    
                                                                              

Si cet extrait vous a intéressé,
vous pouvez en lire plus
en cliquant sur l'icone ci-dessous 

 Hypnose, EMDR, EFT