L’être humain et ses limites

Dès sa conception, le « moi » d’un être humain va expérimenter la notion de limite. Un esprit, une conscience dans une cellule, puis deux, puis une multitude vont donner naissance à un corps de bébé. Il faudra ensuite du temps et d’innombrables expériences vécues pour que ce « moi » expérimente et prenne conscience de ses limites corporelles, comportementales, mentales, spirituelles...


Dès sa conception, le « moi » d’un être humain va expérimenter la notion de limite. Un esprit, une conscience dans une cellule, puis deux, puis une multitude vont donner naissance à un corps de bébé. Il faudra ensuite du temps et d’innombrables expériences vécues pour que ce « moi » expérimente et prenne conscience de ses limites corporelles, comportementales, mentales, spirituelles...

Ces limites sont indispensables pour vivre sur terre, en société. Ainsi, l’être humain constitue son référentiel de base très tôt dans l’enfance. Pour appréhender les limites de son univers propre, l’être humain va avoir des perceptions, des sensations agréables ou désagréables. La souffrance est perçue dès les premiers moments de la conception, qu’elle soit physique ou psychique, et de façon très différente pour chacun. elle fait partie des détecteurs de limites de notre humanité. Chaque être en a une perception unique dans des domaines multiples.

À l’issue d’une grande discussion avec mon cousin prêtre sur le positionnement du « moi » et de la souffrance, il nous est paru fondamental de les dissocier. Son intervention sur ce sujet fut capitale. Mon travail fut de lui répondre en puisant dans le vécu des consultations pour aller au plus juste de mes perceptions sur le sujet. Nous n’étions pas dans une discussion philosophique et théorique, à propos de ce que nous en pensions, mais à l’écoute de ce que les séances de déliance pouvaient révéler. J’ai découvert que je devais lâcher une approche intellectuelle pure pour aborder la question autrement.

Au cœur d’une séance, les images me transportent dans des vécus émotionnels très forts. À chaque fois, aux côtés des patients venus consulter, le plus souvent au repos, allongés, je suis spectatrice et témoin d’une scène où l’image symbolisée de mon patient ou d’un aïeul me montre ce qu’il a vécu et ressenti.

Ici je dois vous préciser comment j’ai compris le mécanisme fonctionnel de ma façon d’accéder à l’image : j’utilise mes mains qui symboliquement servent de rallonge électrique (elles envoient de l’énergie). Fort de cela, l’inconscient du patient me transmet des informations que je réceptionne dans ma tête, exactement comme lorsque vous pensez à quelqu’un et que vous le voyez intérieurement. Mais là, je perçois des images qui ne sont pas les miennes, mais celles de mon patient.


L’image, donc, exprime une émotion qui peut être la colère, la tristesse, la honte, les traces émotionnelles laissées par la blessure... Mais ces traces, qui affectent parfois tout l’être, ne sont pas la personne. Le regard de prêtre posé par mon cousin sur la nature de l’Homme, de l’être humain, dans toute sa profondeur, m’a permis de mettre à jour cette distinction dont découle un regard qui change la perspective. Sans lui, je n’aurais pas relevé qu’il est fondamental de dissocier l’être de sa souffrance. La souffrance nous permet seulement d’être en contact avec nous-même, de nous percevoir comme toute sensation positive le fait aussi. elle nous révèle nos déséquilibres, incertitudes, difficultés, dysfonctionnements, fractures, faiblesses, zones d’ombres..., mais elle n’est pas « nous ».

La souffrance est vecteur d’informations, mais lorsqu’elle nous envahit, il peut être difficile de la mettre à l’extérieur de nous. Nous devenons la souffrance, la maladie, le handicap. Dans cet exposé, je la repositionne à l’extérieur du « moi » et observe comment elle interfère dans toutes les fibres de notre être*. elle pourrait être comparée à un flux électrique et le « moi » à l’ampoule, qui s’allumerait avec plus ou moins d’intensité et de couleurs différentes en fonction du flux qui l’alimente.


Comprendre le sens du symptôme
Le travail de déliance pourra s’effectuer si on permet à la souffrance d’exprimer ce qui l’anime, ce qui lui donne de la consistance pour ensuite lui permettre de s’apaiser. L’important est de retrouver son origine. C’est de notre responsabilité d’humains, pour nous permettre d’aller vers nous-mêmes. S’il y a confusion entre souffrance et « moi », il est nécessaire de prendre le temps de les différencier pour ne pas entraver ce travail libératoire.

Pour illustrer ce propos, j’ai personnellement expérimenté le phénomène. Après un très long travail personnel, malgré de nombreuses preuves de déliance et d’apaisement, j’ai ressenti une sorte d’urgence, de panique. Comme si j’étais dans l’œil d’un cyclone. Pour défusionner cette souffrance avec mon moi profond, j’ai fait appel à un thérapeute très compétent qui a libéré une douleur profonde qui atteignait mes jambes. Dans un travail de déliance qui a suivi, j’ai retrouvé la source, l’histoire qui avait lié mes jambes et donc ma capacité à avancer dans la vie.

Au nom de la souffrance, nous ne devons pas aller à l’origine du « moi », ce n’est pas notre champ d’action. Pour ma part, je me suis interdit de chercher à savoir pour Savoir. Cela concerne un autre registre qui n’est pas celui du thérapeute. « La curiosité de connaître les choses a été donnée aux hommes en guise de fléau », dit la Sainte Écriture (ecclésiaste, I, 18). Cela nous engage à la plus grande prudence, et beaucoup peut être dit autour de cet interdit touchant au sacré.

Retrouver le déclencheur des symptômes
Ma quête consiste donc à retrouver le déclencheur des symptômes observés. Car toute douleur, y compris la moindre, peut exister sur de multiples plans, même non visibles (la douleur d’une jambe absente pour un unijambiste, à titre d’exemple). Libérer le déclencheur ne soigne pas. Cela va permettre aux autres thérapeutes en charge du patient d’accéder à un terrain potentiellement prêt à évoluer. Appliquée sur des enfants en grande difficulté qui m’ont été adressés par un psychomotricien, la déliance confirme cette complémentarité des disciplines et du travail thérapeutique. Ce travail à plusieurs permet très rapidement un changement de comportement des enfants qui deviennent plus réactifs au protocole du psychomotricien.

L’ouverture d’esprit de ce thérapeute lui permet d’être au cœur de sa compétence. Cette complémentarité nous permet de travailler en étroite collaboration depuis plusieurs années, et nous a permis d’accompagner ensemble et avec succès plusieurs enfants en grande difficulté. Cette confiance mutuelle est suffisamment rare et exceptionnelle pour mériter d’être mentionnée. Lorsque plusieurs personnes interviennent sur le même patient, il est souvent impossible de détecter quelle est la part de chacun dans la restauration de son comportement. est-il vraiment essentiel d’identifier le déclic vertueux ou n’est- ce pas l’évolution positive et libératrice qui doit être l’objectif primordial ? Il me semble que c’est une occasion formidable pour un thérapeute de lâcher un peu son ego en se concentrant sur le but de son travail. Il a participé à la transformation et continue son chemin pour être disponible pour d’autres. Cette collégialité existe de plus en plus au sein des hôpitaux et de certains cabinets médicaux, le patient en est le principal bénéficiaire.

Les psycho-généalogistes font un travail remarquable sur l’apaisement des troubles hérités du passé et obtiennent de très bons résultats. Je pense pourtant que ces résultats ne pourront être définitifs que s’ils ont atteint le nœud originel. Sans libération et après un moment d’apaisement, le risque de résonance du nœud originel demeure. Cette résonance peut affecter le patient lui-même ou, par « ricochet » comme le dit Serge Tisseron, sa descendance, de génération en génération. Il est donc fondamental de retourner à la racine, à la toute première fois, pour permettre une véritable libération. Plus le temps passe, plus le nœud peut s’inscrire à des degrés de matérialisation ou concrétisation différents et nécessiter plusieurs consultations pour le libérer pleinement, en fonction du niveau d’acceptation de l’inconscient du patient. Cet assentiment de la part du patient n’appartient pas au thérapeute.

La métaphore de la mauvaise herbe l’illustre très bien. La méthode pour l’« arracher » et la difficulté rencontrée pour retirer une mauvaise herbe dépendent de son ancienneté, de son environnement (terre sèche, dure ou meuble). elle a plus ou moins de racines annexes, de ramifications à partir de la racine principale. Il faut y aller délicatement, avec savoir-faire, patience, en étant sûr de son tour de main quand on perçoit que « tout va venir ». Parfois une racine peut céder, il faudra attendre les prochaines repousses (ou symptômes) pour y revenir.

Maintenant, si le symptôme disparaît après une consultation, c’est qu’il n’a plus besoin de s’exprimer. Cela arrive plus souvent chez les enfants que chez les adultes, même si chez ces derniers de nettes améliorations sont observées. Les patients qui choisissent l’approche de la déliance consultent pour des raisons importantes après avoir testé diverses techniques et thérapies classiques, sans résultat sur le long terme.

Il est important d’intégrer qu’une problématique résonne sur plusieurs plans et il faut y revenir plusieurs fois pour apaiser l’ensemble de la situation. Comme dans les procédés de photographie, l’information est engrangée, mais non visible. Il faut l’amplifier pour obtenir une image visible et la regarder sur toutes ses facettes.

 

Isabelle Dadvisard
"Comment devenir riche de son passé"
Editions Dervy
 

                      

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