Les routines du quotidien sont magiques, elles expriment votre spiritualité

Des siècles, sinon des millénaires d’histoire ont imprimé en nous une vision de la spiritualité relativement détachée de l’existence ordinaire. Pour mener une vie spirituelle, il faudrait se retirer du monde, soit durablement en entrant dans les ordres, soit temporairement en participant à des retraites loin de toute agitation. Au minimum, il faudrait consacrer chaque jour un temps à part à la spiritualité et vivre sa pratique au contact de la nature, dans une pièce de méditation privée ou, si l’on n’a pas ce luxe, en se levant aux aurores tandis que tout le monde dort.

La vie monacale, les retraites et les moments de retour sur soi ont bien sûr leur pertinence et leur raison d’être. Mais on pourrait être tenté de croire que la spiritualité est de facto séparée de la vie matérielle et que, lorsque l’on s’adonne à l’une, l’on ne peut s’adonner à l’autre. Ce serait « ou bien, ou bien » : prier ou travailler, méditer ou s’occuper de ses enfants.

Cette vision dualiste de la spiritualité, qui s’accompagne presque toujours de l’idée de renoncement, ne convient plus à une majorité d’entre nous. Nous attendons aujourd’hui de la spi- ritualité qu’elle touche notre cœur, qu’elle nous enthousiasme, qu’elle mette de la magie dans l’ordinaire des jours. Vivre une vie spirituelle ne rime plus nécessairement avec l’adhésion à une Église, à un enseignement ou à un groupe. Vivre une vie spirituelle, c’est grandir intérieurement, c’est se mettre au service des autres et du vivant, c’est incarner chaque jour un peu plus l’esprit qui nous habite dans nos relations et notre métier, ou encore s’efforcer d’exprimer toujours davantage ces qualités dites « spirituelles » que sont la bonté, l’amour, la compassion, la sagesse, la joie, le dévouement ou le courage.

Pour ma part, j’ai grandi dans la religion catholique. À l’adolescence, j’en ai trouvé le cadre trop étriqué, triste et culpabilisant, trop éloigné aussi des réalités de la vie quotidienne. Après une brève période athée, en réaction au carcan dans lequel on m'avait enfermé, ma nature profondément mystique a repris le dessus. J’ai alors éprouvé le besoin de découvrir comment les autres religions, philosophies et traditions spirituelles abordaient les grandes questions essentielles : le sens de la vie, la mort, l’au-delà, le mal, la souffrance.

Je me suis durablement immergé dans plusieurs traditions, en privilégiant toujours la pratique et l’expérience directe. La reli- gion nous demande de croire. La spiritualité, elle, nous invite à expérimenter, à découvrir les choses par nous-mêmes, de l’intérieur : à maints égards, elle s’apparente à la science par son côté rigoureux et méthodique, à la différence qu’elle s’exerce dans le domaine subjectif de l’intériorité et que ses résultats doivent être validés individuellement, là où ceux de la science – qui règne sur le monde objectif – sont valables pour tous.

Les êtres les plus spirituels dont j’ai eu la chance de croiser la route avaient une chose essentielle en commun : ils étaient profondément, intensément vivants. Ce n’étaient pas des personnes désincarnées, planant dans les hautes sphères, en extase permanente, loin des choses de ce monde. Non : c’étaient des êtres dynamiques, au regard intense et pétillant, avec souvent un grand sens de l’humour et une impressionnante capacité d’action. Plusieurs m’ont fait l’impression d’être des « piles atomiques » : ils dégageaient une énergie palpable, contagieuse, qui aidait les autres à vibrer à leur tour à leur niveau le plus élevé. Cette intensité spirituelle ne se manifestait pas seulement dans les moments d’enseignement ou de pratique spirituelle, mais à chaque instant, dans les actes les plus anodins du quotidien, du bricolage à la vaisselle, de la pratique d’un art ou d’un sport jusqu’à la manière de jouer aux cartes, au billard ou à la pétanque ! Avec eux, le quotidien était métamorphosé : il devenait littéralement magique et plein de sens. C’est en cela qu’ils étaient pour moi véritablement inspirants.

Quelque quarante années d’expérimentation spirituelle m’ont ainsi permis d’identifier, sous la multiplicité des formes propres à chaque tradition, les pratiques fondamentales que nous pouvons mettre en œuvre pour faire de chaque instant une occasion de progresser dans notre cheminement spirituel, c’est-à-dire sur le chemin de vie qu’est venue parcourir notre âme.

Ces pratiques fondamentales, que nous pouvons entreprendre au quotidien et à tout moment, se résument à des verbes. Le verbe, dans la grammaire, sert à indiquer l’action. Les quarante verbes que j’ai réunis dans les pages du livre présenté ci-dessous sont autant de moyens d’infuser de la conscience dans notre vie de tous les jours.

L’originalité de l’approche que je vous propose, en particulier pour les verbes de la seconde moitié du livre, est qu’elle repose sur une mise en correspondance de notre vie intérieure et de nos actes extérieurs. Le moindre de nos gestes peut ainsi favoriser en nous une action symboliquement équivalente. Lorsque j’allume une bougie ou un feu en conscience, par exemple, cet acte peut contribuer à ce que s’allume aussi en moi le feu de l’amour inconditionnel.

Toutes les grandes traditions l’affirment : l’être humain est un microcosme du macrocosme. Tout ce qui existe dans l’Univers a son équivalent en nous. La raison en est simple : le Cosmos est Un. Chaque chose est reliée à toutes les autres et possède la même architecture invisible, comme on le découvre lorsqu’on dépasse leur forme apparente pour s’intéresser à leur structure profonde. Le symbole du cercle avec un point au milieu , sur lequel je vous invite à méditer au chapitre 9, se retrouve aussi bien dans le système solaire (le soleil et les planètes qui tournent autour), dans l’atome (les électrons qui gravitent autour du noyau), que dans l’œil, dans la cellule ou les organisations humaines.

Spiritualiser et ritualiser votre vie, c’est donc en retrouver l’unité sous-jacente. C’est découvrir que tout est lié. Surtout, c’est activer ces liens en conscience, délibérément, pour favoriser votre évolution intérieure. La vraie magie est là : c’est la connaissance et l’utilisation de ces correspondances, au service du meilleur, du plus beau, du plus lumineux.

Pour cela, pas besoin d’aller au pied de l’Everest, au mont Bugarach ou à Mount Shasta. Votre appartement ou votre maison suffisent, ainsi que votre jardin si vous en avez un. Votre cuisine, votre atelier ou la nature peuvent devenir vos temples. Vos ustensiles ou vos outils peuvent faire office d’objets de culte. Vos routines quotidiennes peuvent se muer en rituels.
La spiritualité est partout, elle imprègne tout. N’est-il pas grand temps de cesser de vouloir l’enfermer entre quatre murs ou d’en limiter l’expression à des formes dogmatiques et codi- fiées depuis des siècles ?

La spiritualité est vivante, de sorte que tout ce que nous vivons peut en devenir une manifestation authentique, pour peu qu’on y mette l’intention consciente. Cela veut dire que la moindre de nos activités comme la soi-disant « corvée » peut contribuer à nous faire grandir intérieurement. Il n’y a pas des moments importants, où nous serions en scène, et d’autres moins, où nous serions en coulisses. Tout compte, tout peut être utilisé, conscientisé, transformé. Une méditation pratiquée machinale- ment nous apporte moins que la vaisselle faite en conscience.

En écrivant cela, une histoire me revient en mémoire. Deux moines ont sollicité une audience auprès du pape pour lui sou- mettre une requête. Le premier voit sa demande acceptée, tandis que le second essuie un refus. Le premier lui avait demandé : « Puis-je prier pendant que je fume ? » Et le second : « Puis-je fumer pendant que je prie ? » Sous une forme humoristique, cette histoire est d’une immense sagesse. Elle montre la différence entre sacraliser ce qui est profane (spiritualiser l’acte de fumer par la prière) ou profaner ce qui est sacré (avilir l’acte de prier en fumant). Si ces deux moines s’adonnaient à leur pratique respective côte à côte, en apparence ils sembleraient faire la même chose : prier et fumer. Mais, intérieurement, le centre de gravité de leur conscience ne serait pas du tout placé au même endroit, de sorte que les résultats de leur activité iraient dans des directions totalement opposées. C’est la même différence qu’entre servir la spiritualité et se servir d’elle.

La spiritualité et la magie ne résident pas (exclusivement) dans telle posture ni telle prière. Elles sont avant tout dans l’attitude intérieure et dans l’intention, elles sont dans la conscience et dans le cœur avec lesquels nous faisons les choses. Bien sûr, il existe des prières magnifiques et des formules très puissantes, j’en connais et en utilise personnellement beaucoup, mais elles ne sont rien sans l’attention et l’amour avec lesquelles on les récite, comme le souligne l’histoire qui suit.

On raconte qu’un jour un évêque entend parler d’un berger qui garde ses moutons sur une île proche des côtes et qui réaliserait des guérisons miraculeuses. Curieux et un peu méfiant à la fois, l’évêque décide de lui rendre visite et demande au passeur qui achemine les malades de lui faire traverser le kilomètre de mer qui le sépare de l’île. Parvenu à terre, il se dirige vers le berger dans ses champs et entreprend de le questionner :
— Alors, comme ça, il paraît que tu fais des guérisons miraculeuses ?
— Oh, pas moi, répond le berger. Je demande au Ciel.
— Très bien. Peux-tu me montrer comment tu pries, en ce cas ?
— Avec joie, répond le brave homme. Je pose mon bâton sur le sol et je saute trois fois par-dessus, les bras écartés, en louant le Ciel de tout mon cœur !
— Ah, mais ça ne va pas du tout, rétorque l’évêque, choqué. Je vais te montrer comment faire. Tu dois te mettre à genoux, joindre les deux mains en prière comme ceci et réciter le Notre Père, comme je vais te l’enseigner.

Le berger écoute attentivement ses instructions. Puis l’évêque, mission accomplie, demande au passeur de le ramener sur la côte. Alors qu’il est à mi-chemin, il est rattrapé par le berger qui court sur l’eau et, arrivé à sa hauteur, lui demande :
— J’ai oublié la prière que vous m’avez apprise, pouvez-vous me la redire ?
Depuis le succès mondial de la série Harry Potter, des centaines de millions d’entre nous se sont mis à rêver de pouvoirs magiques. En réalité, nous avons tous une baguette magique qu’il ne tient qu’à nous d’utiliser : c’est la conscience ! Mettre de la conscience dans son quotidien, c’est comme toucher un objet ou une personne avec une baguette magique et les voir instantanément transformés (et soi-même avec). Nous cherchons la magie et le merveilleux bien loin, dans de vieux grimoires et des formules antiques pour certains, dans des rituels secrets et des cérémonies réservées aux initiés pour d’autres, ou encore dans des pays lointains : en réalité, la magie, le sacré, le merveilleux sont à notre portée, sous nos yeux... pour peu que nous activions la baguette magique de la conscience.


Les quarante verbes qui suivent vous donneront l’occasion d’utiliser cette baguette magique et de transformer votre quotidien, tout en vous transformant progressivement vous-même. Pour celui ou celle qui a décidé de mettre de la magie dans son ordinaire, il arrive un moment, avec la pratique et l’expérience, où il n’est plus de situation, d’activité, de jeu, de travail ni de corvée (si tant est que ce mot ait encore un sens...) qui ne puisse être mis au service de sa vie spirituelle.

Spiritualiser le quotidien, comme j’aime l’écrire, c’est aussi le ritualiser, lui conférer quelque chose de sacré. Spiritualisez votre vie, ritualisez-la, et plus rien ne sera jamais pareil, même si tout devait rester comme avant ! La magie, ce n’est pas faire autre chose, mais faire différemment, c’est-à-dire mieux, en conscience, d’une manière qui permet de manifester concrètement le meilleur de notre être, à chaque instant. Quand je mange en conscience, mon repas devient rituel, communion. Quand je me lave en conscience, ma toilette devient ablution. Quand je parle en conscience, mon propos devient une expression du Verbe, du Logos. Quand que je touche l’être aimé en conscience, mon geste devient bénédiction.

Extérieurement, la différence n’est peut-être pas visible, ou à peine sensible, mais intérieurement... tout est transformé ! Le quotidien devient magique.

Une mise en garde s’impose, toutefois. Il ne serait pas sage de vouloir mettre en pratique tous ces verbes en même temps ! Gare à l’indigestion, à l’overdose ! Qui va piano va sano e va lontano, dit le proverbe. Allez-y progressivement, piano piano, et vous irez loin, très loin. Prenez votre temps. Et tant qu’à faire, prenez-y aussi du plaisir. Oui, du plaisir ! En voilà un mot habituellement banni du vocabulaire spirituel. Mais pourquoi la spiritualité devrait-elle rimer avec souffrance, stoïcisme ou sérieux ? Qu’elle réclame des efforts, oui, c’est vrai, mais au même titre que la pratique d’un sport ou d’un instrument de musique, et l’on sait combien ces activités procurent aussi de bonheur et de joies.

Amusez-vous avec ces verbes et les pratiques qui les accompagnent, comme les enfants qui apprennent tout en jouant. Alternez les exercices. Accordez-vous des moments off. Que votre chemin se fasse toujours dans l’amour de soi et le respect de soi. C’est tellement important !

Puisse la pratique des verbes proposés dans ces pages vous conduire, à votre rythme, à devenir autonome, à inventer vos propres exercices et à développer vos propres rituels, pour devenir un magicien ou une magicienne. Que l’artiste qui sommeille en vous s’exprime pleinement, afin que votre vie devienne, comme dirait don Miguel Ruiz, votre œuvre la plus accomplie. On n’apprend pas le dessin ou la musique pour se contenter de redessiner ou de rejouer les œuvres des autres, mais bien pour exprimer un jour en plénitude sa propre créativité. L’esprit est créateur. La vie est spirituelle. Plus vous spiritualiserez votre vie, plus votre créativité trouvera à s’exprimer sous des formes qui vous émerveilleront.

C’est ce que je vous souhaite du fond du cœur !

 

Olivier Clerc

 
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