« En l’année 1525, entre le mercredi et le jeudi faisant suite au dimanche de Pentecôte, je vis pendant la nuit cette image dans mon sommeil : un grand nombre de colonnes d’eau tombant du ciel. La première toucha la terre à six kilomètres environ de moi avec une force terrifiante, un bruit et une clameur formidable, noyant la terre. Je fus envahi d’un effroi si insupportable que je me réveillai avant que l’eau ne rencontrât de nouveau la terre. Et les eaux étaient tombées en quantités très abondantes. Certaines tombaient plus loin, d’autres plus près, et elles venaient toutes de si haut qu’elles semblaient tomber avec une égale lenteur. Mais quand la première colonne d’eau, qui frappa la terre, approcha, elle tomba avec une rapidité, un souffle et un rugissement tels que je me réveillai tellement effrayé que tout mon corps tremblait, et pendant un long moment je ne pus pas reprendre mon calme. Aussi quand je me levai, je peignis ici ce que j’avais vu. » Il faut dire que ce rêveur était le grand peintre allemand Albrecht Dürer. S’agit-il d’un simple cauchemar ou bien d’une vision prophétique d’un cyclone ? Cela correspond-il à un événement extérieur ou à une simple implosion à l’intérieur de sa psyché ? En tout cas de sa peur le peintre a fait un tableau saisissant par une sublimation (Dieu tire toujours le meilleur parti des choses, conclut-il.)
Les rêves ont toujours intrigué l’humanité et pendant longtemps elle leur a accordé la plus grande importance. Selon la Bible, toute l’histoire des Juifs est axée sur les rêves et leurs interprétations. Le dieu des Juifs étant supérieur à tous les autres dieux, les Juifs vont toujours être les meilleurs interprètes de rêves. Joseph, grand interprète des rêves, doit sa fortune à ce qu’il donne le sens exact des rêves du panetier, puis de l’échanson de Pharaon, enfin il avertit Pharaon lui-même des risques de famine avec les rêves des sept vaches grasses et des sept vaches maigres. (Genèse 40 et 41). Lors de l’exil à Babylone, Daniel trouve le sens du rêve de l’arbre de Nabuchodonosor, qu’aucun devin chaldéen ne parvenait à comprendre, mais il a dù retrouver lui-même le rêve que le roi ne voulait pas dire ! (Daniel, IV, 16). L’aventure des Hébreux commence avec le songe de l’échelle de Jacob à Béthel (Gé- nèse, XXVIII, 10) et se continue avec Gédéon (Juges VII, 13), Salomon (Rois III, 5), Job (XXXVIII, 4 et Psaumes 42,9), etc. Yahvé dit : « Écoutez donc mes paroles, s’il y a parmi vous un prophète, c’est en vision que je me révèle à lui, c’est dans un songe que je lui parle. » (Nombres XII, 6).
Les Évangiles voient toujours dans les songes des messages de Dieu. Joseph veut répudier Marie, qui est enceinte : un ange du Seigneur lui apparaît en songe et lui dit de la garder (Mathieu I, 18). Les trois Rois mages « ayant été instruits en songe de ne pas revenir vers Hérode, rentrèrent par un autre chemin » (Mathieu II, 13). De même « Après qu’ils se furent retirés, voici qu’un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph disant : fuis en Égypte... Or Hérode étant mort, voici qu’un ange du Seigneur apparut à Joseph en Égypte disant : lève-toi et rentre » (Mathieu, II, 12, 13). Par la suite, il fallait commencer par être circoncis pour devenir chrétien. Contre l’avis de Jacques, c’est un rêve de Pierre qui va ouvrir le christianisme aux non-juifs non-circoncis (Actes des apôtres X, 10). Ensuite la victoire totale du christianisme pour devenir la religion officielle de l’État romain se fait en l’an 312 par le rêve de la croix de Constantin le Grand.
À nouveau, Freud rend les rêves intéressants en montrant qu’ils disent la vérité cachée et qu’ils contribuent à guérir malaises et maladies. Les traumatismes engendrent ces cauchemars des enfants et de certains adultes, car « l’enfant qui n’a pas grandi dort toujours quel- que part dans la nuit de l’âme ».
Ainsi une question est posée avec ce rêve de la promenade.
« J’entre dans une vallée, de plus en plus sombre. Je ne vois plus le ciel étoilé. Il y a une cascade qui tombe dans une sorte de lac... Maintenant il y a des forêts et des collines. Tout est pourri et visqueux. Je dois grimper sur ces collines. On entend comme une musique, très lente comme un tambour ou plutôt un tam-tam régulier. Il y a une grotte mais je ne veux pas y entrer, cela suinte. Une araignée, une araignée énorme, une mygale, avance vers moi. Dans la forêt il y a des plantes carnivores et les corbeaux ont envahi le ciel. Le sol n’est pas stable et il commence à s’effriter et à s’effondrer. C’est plein de petits vers et de fourmis en colonnes. En haut il y a deux collines, blanches, non, roses. Elles sont plutôt laiteuses. On dirait bien deux énormes seins fermes. » En disant ces derniers mots le rêveur se demande s’il n’était pas un nain minuscule se promenant sur le corps allongé de sa mère. Et par conséquent il va falloir sortir de cette régression, en comprenant pourquoi la mort de son père l’avait projeté seul face à sa mère, devenue inconsciemment une mère-montagne, comme pour Gulliver.
Un tout autre type de rêve est donné avec ce récit :
« J’avance vite et légèrement. Je cours de plus en plus vite et de plus en plus facilement. Finalement je me rends compte que je ne marche pas, je ne pose pas les pieds au sol. Je flotte à vingt ou trente centimè- tres au-dessus du sol. Alors je me retourne pour regarder le chemin que j’ai parcouru. Et j’ai la surprise de voir une pelouse, partout où je suis passé a fleuri une herbe verte, jeune et tendre. Le ciel est bleu et la lumière éclatante. Je suis stupéfait et heureux, mais personne encore ne semble l’avoir remarqué. Je me suis réveillé plein de joie, en forme pour toute la journée. » Là tout est simple et clair. Pas de code, pas besoin d’interprétation, le songe se donne de lui-même. Les couleurs y sont intenses, belles et transparentes. Tout y est net et ins- pire la confiance et la joie.
Doit-on distinguer et opposer les cauchemars et les songes ?
Pourquoi nous parle-t-on de rêves éveillés et de rêves lucides ?
Certaines visions viennent-elles de l’inconscient et d’autres du sur- conscient ?
Les psychanalystes peuvent-ils seuls nous expliquer ces rêves ou bien pouvons-nous avec ce livre progresser à la rencontre de nous- même ?
Peut-on aussi apprendre à diriger ses rêves ? Plutôt que de les comprendre, il faudrait arriver à transformer ses rêves. Ce serait beaucoup plus important. Ce projet, autrefois très secret, restait caché dans les voies initiatiques, l’étude de ces diverses voies montre qu’elles se confirment et se complètent. Après allons-nous pouvoir construire notre propre méthode synthétique ?
Pourquoi rêvons-nous ? Pourquoi tous les êtres humains sont-ils organisés pour rêver quatre ou cinq fois par nuit ? Les conséquences pratiques et théoriques sont encore insoupçonnées. La prise au sérieux du rêve peut-elle tout changer, nous amener à transformer notre façon de vivre, à rénover nos sociétés et nous révéler le sens de notre existence ?
Marc-Alain Descamps
Si cet extrait vous a intéressé,
vous pouvez en lire plus
en cliquant sur l'icone ci-dessous