L’acquisition du langage est le fruit de multiples influences. Pour développer ses habiletés, l’enfant doit pouvoir compter sur un solide bagage génétique ainsi que sur les stimulations et la protection de son entourage. On peut se demander quelle est la part jouée par les variables génétiques et environnementales et par les caractéristiques propres à l’enfant dans le trouble du langage. Plus simplement, quels sont les facteurs de risque du trouble du langage ?
L’hérédité
Selon les études, l’hérédité augmente nettement le risque de trouble de langage chez l’enfant. Les troubles de langage sont en effet plus courants dans les familles des personnes dysphasiques. L’incidence de difficultés de langage dans la famille immédiate d’un individu atteint serait ainsi au moins trois fois plus élevée que dans la population générale (Choudhury et Benasich, 2003 ; Stromswold, 2001). Les parents peuvent donc transmettre à l’enfant certains gènes qui, en se combinant, entraînent l’apparition d’un trouble de langage ; ils peuvent en être porteurs sans en avoir eu de manifestations. Il est néanmoins assez fréquent que les parents nous mentionnent avoir eu des difficultés d’apprentissage du langage oral ou écrit lorsqu’ils étaient jeunes. Les frères et sœurs des jeunes ayant un trouble de langage sont aussi plus à risque.
Certaines études par ailleurs fascinantes se sont attardées à comparer les similitudes dans le langage de vrais jumeaux et de jumeaux non identiques. Les jumeaux partagent le même milieu familial; ils ont les mêmes parents, vivent dans les mêmes conditions et reçoivent les mêmes stimulations : ils bénéficient donc d’un environnement comparable, ce qui permet d’isoler l’influence des facteurs héréditaires. Ces études démontrent que les vrais jumeaux, qui ont donc le même bagage génétique, ont des profils de langage qui se ressemblent davantage que les jumeaux non identiques, qui ne partagent pas les mêmes gènes. Ce type d’études met en évidence un taux d’héritabilité d’environ 70 % chez les jeunes ayant un trouble de langage.
Au cours des dernières années, des chercheurs ont tenté d’aller encore plus loin et de mettre en évidence des particularités observables sur les gènes eux-mêmes. Quelques études ont ainsi permis d’associer des « variantes » de certains chromosomes à une plus grande prédisposition à développer un trouble de langage. Il n’a toutefois pas été démontré que ces variantes génétiques causent les particularités neurologiques décrites plus haut.
Enfin, dans l’état actuel des connaissances, les experts croient que le trouble de langage résulte de multiples facteurs de risque héréditaires transmis par les gènes, auxquels s’ajoutent divers facteurs environnementaux intervenant au cours de la vie de l’enfant. Le trouble de langage peut ainsi se comparer à des conditions comme l’asthme ou le diabète (Bishop, 2006).
La part de l’environnement
Les facteurs génétiques ne peuvent expliquer à eux seuls les troubles de langage. Des éléments environnementaux de différentes natures (par ex. : maladie, alimentation, stimulation, etc.) peuvent en effet intervenir à divers moments critiques du développement et faire augmenter ou diminuer le risque de trouble de langage. C’est le cas de certains « stresseurs » qui, en venant influencer l’environnement familial, risquent de fragiliser le développement de l’enfant au cours de la grossesse et après la naissance.
Dans une vaste étude publiée en 2002, Stanton-Chapman et ses collaborateurs ont démontré que le revenu familial, la stabilité de la cellule familiale, la scolarisation des parents, la présence de saines habitudes de vie et la qualité des soins périnatals donnés à l’enfant avaient une incidence sur le risque de présenter un trouble de langage. On peut ajouter que la formation d’un lien d’attachement solide et la constance des réponses aux besoins physiques et cognitifs de l’enfant sont également des facteurs de protection importants. Les enfants prédisposés à présenter un trouble de langage qui en bénéficient peuvent espérer avoir une évolution plus favorable et être moins affectés par les conséquences de leur trouble.
D’autres chercheurs se sont attardés au style de communication des parents. Certaines études ont démontré que les parents d’enfants atteints de troubles du langage utilisent généralement un langage plus simple et un style plus directif, et ont moins souvent recours à des stratégies de stimulation du langage. Il est toutefois difficile de savoir si ces différences sont la cause ou la conséquence des difficultés de langage de l’enfant. En effet, il est tout à fait probable que ces divergences soient le résultat d’une adaptation du parent aux besoins et aux réactions de l’enfant. En d’autres mots, l’utilisation d’un langage plus simple peut être essentielle pour l’enfant qui présente une compréhension limitée du langage. Elle peut constituer une réponse à ses problèmes de prononciation et de formulation. Quant à la stimulation du langage, le fait que l’enfant réagisse moins rapidement aux stratégies du parent peut les amener à les délaisser. C’est d’ailleurs ce que font ressortir certaines études. Ces différences peuvent finalement être dues aux difficultés de langage qu’expérimentent eux-mêmes certains parents.
Les facteurs propres à l’enfant
Certaines caractéristiques de l’enfant peuvent interférer avec son évolution. Par exemple, l’effet de ses autres capacités, de sa personnalité et de sa motivation à communiquer, sa disponibilité et sa soif d’apprendre sont des facteurs qui, bien que moins facilement mesurables, ont une incidence sur sa progression.
En résumé, il n’y a donc pas de cause unique pour expliquer la présence d’un trouble de langage chez l’enfant. La transmission de gènes « prédisposants » semble jouer un rôle important, mais des facteurs environnementaux et des facteurs propres à l’enfant viennent s’y ajouter. L’interaction complexe entre les facteurs de risque génétiques, environnementaux et personnels peut expliquer la diversité des manifestations retrouvées chez les jeunes atteints d’un trouble langagier, notamment dans l’évolution de leur langage, mais aussi dans d’autres volets de leur développement.
Isabelle Meilleur, Annick Proulx, Tamara Bacheleet, Annik Arsenault
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