Les différentes facettes du trouble de langage


La prononciation
La prononciation s’attarde aux sons qui composent les mots et à la façon de les combiner. On parle aussi de phonologie ou de sons de la parole. La prononciation se développe habituellement avant 7 ans.

Les difficultés de prononciation sont fréquentes chez l’enfant atteint d’un trouble de langage, surtout en bas âge. Malgré ce fait, les chercheurs tendent à séparer cet aspect des autres dimensions du langage et parlent de trouble de développement des sons de la parole. Celui- ci se manifeste souvent par :
◗ l’absence de certains sons ou de certaines de leurs caractéristiques dans le répertoire de l’enfant (par ex. : la nasalisation pour les sons m,n,gn,an,on,in ou la vibration des cordes vocales pour les b,d,g,v,z,j ;
◗ certaines transformations de sons atypiques pour l’âge (par ex. : l’omission des consonnes en fin de mot chez l’enfant de plus de 3 ans). Ces transformations suivent souvent une logique bien précise, facile ou non à identifier. Le tableau suivant présente les transformations les plus fréquentes.

Ces difficultés de prononciation empêchent l’enfant de bien se faire comprendre et peuvent avoir un impact sur l’acquisition de certaines composantes de la phrase et l’apprentissage du langage écrit. Elles se résorbent cependant progressivement lorsque l’enfant est suivi en orthophonie.

Les transformations de sons peuvent avoir différentes origines. Par exemple, les difficultés de prononciation s’accompagnent parfois de difficultés de perception auditive. L’enfant saisit moins bien les différences subtiles entre les sons lorsqu’ils sont prononcés par l’interlocuteur ou qu’il les prononce lui-même ; il peut avoir de la difficulté à déceler ses propres « erreurs » et à les corriger. L’apprentissage du langage écrit apporte souvent une manifestation tangible de ce type de difficulté ; l’enfant confond alors beaucoup les sons similaires lorsqu’il écrit ou lit (par ex.: p et b, f et v, ch et s sont confondus). Il est donc important de s’y attarder lors de l’intervention. On peut par exemple exagérer chacun des sons et accorder plus de temps à l’enfant pour les analyser, notamment en ralentissant le débit de parole.

Les difficultés de prononciation peuvent aussi être liées à l’incapacité à réaliser certains sons sur le plan articulatoire.

Elles peuvent finalement être le fruit d’une dyspraxie verbale, un trouble moteur qui se traduit par de grandes difficultés à retrouver « le bon programme » et à planifier les multiples petits mouvements nécessaires pour parler (la vibration des cordes vocales, le positionnement du voile du palais, de la langue et des lèvres, etc.). Cette condition vient s’ajouter au trouble de langage chez un certain pourcentage d’enfants et affecte souvent de façon importante et persistante l’intelligibilité de l’enfant. L’intervention doit être plus soutenue dans ce cas. Vous pouvez consulter le chapitre 5 pour plus de détails sur cette condition et sur son lien avec le trouble de langage.

Le vocabulaire
Le vocabulaire est la portion du langage qui s’attarde aux mots et à leur sens. On parle aussi souvent de lexique et de sémantique. S’il croît très rapidement en bas âge, le vocabulaire continue toutefois de s’enrichir tout au long de la vie.

On observe une lenteur dans l’acquisition des mots chez plusieurs enfants qui ont un trouble de langage. Il s’agit souvent de l’un des premiers signes notés par les parents. Il n’est pas inhabituel de les voir produire leurs premiers mots après 18 mois. De fait, le vocabulaire qu’ils comprennent et utilisent se compare souvent à celui d’en- fants plus jeunes. Son étendue et sa diversité sont souvent moins importantes que celles de leurs pairs. L’enfant dysphasique met ainsi du temps à apprendre de nouveaux mots et à élargir son vocabulaire avec une diversité de noms, d’adjectifs et de verbes. Il aura par exemple besoin de plus de temps pour nommer le personnel de la garderie ou de l’école, les lieux (par ex.: cour, gymnase, corridor, secrétariat) et les activités qu’il y fait. Lors de la lecture d’albums, certains mots devront lui être expliqués pour qu’il en comprenne le sens (par ex. : soudain, jaloux, ennuyé).

L’acquisition des mots grammaticaux (par ex. : déterminants, pronoms, prépositions) et de certains concepts plus spécifiques (par ex. : adjectifs et adverbes qui précisent le temps, l’espace et la manière) peut par ailleurs tarder. Concrètement, l’enfant a du mal à comprendre les consignes et les explications relatives à l’endroit où certains mots tels que seulement, tout seul, tout à l’heure, après se trouvent. En bas âge, les difficultés touchant la compréhension du vocabulaire entraîneront souvent des crises. À l’âge scolaire, les difficultés demeurent souvent présentes sous une autre forme, par exemple pour les concepts mathématiques et les mots moins familiers, plus « littéraires » ou ayant un sens figuré (par ex. : expressions à double sens). L’enfant répond alors un peu « à côté » de la question ou de la consigne. Les enfants dysphasiques utilisent en outre moins de mots faisant référence à des processus mentaux nécessaires dans la vie des apprenants (par ex.: penser, croire, imaginer, réfléchir, expliquer, etc.). Ils peuvent aussi avoir de la difficulté à utiliser les expressions propres à leur génération à l’adolescence.

Enfin, les jeunes ayant un trouble de langage démontrent généralement une connaissance moins approfondie du sens des mots. L’enfant comprendra par exemple que le mot congé est une journée pendant laquelle il ne va pas à l’école, mais il aura besoin de plus d’explication pour comprendre qu’il peut être en congé à cause d’une maladie, d’un voyage, d’une fête ou pour la fin de semaine. On constate cependant une grande variabilité d’un enfant à l’autre en ce qui concerne ces aspects.
Des chercheurs ont tenté de mesurer l’exposition nécessaire pour favoriser l’apprentissage des mots chez le jeune dysphasique. Il semble que celui-ci doive être beaucoup plus souvent exposé aux mots et bénéficier de plus d’occasions de les produire que ses pairs pour les comprendre et commencer à les utiliser. De plus, pour que ces nouvelles connaissances se maintiennent, les mots doivent être répétés de façon régulière, préférablement dans un contexte significatif.

Selon certains chercheurs, les enfants atteints d’un trouble de langage ont plus de difficulté à porter attention aux mots et à en construire des représentations, c’est-à-dire à emmagasiner des connaissances sur ces derniers (forme sonore du mot, caractéristiques physiques de l’objet, son, mouvement, usage, etc.). Ces enfants auraient également plus de mal à établir des liens entre les mots pour former ce que l’on appelle des réseaux sémantiques. Il est donc important de favoriser une stimulation basée sur une exposition fréquente aux mots dans le contexte où ils apparaissent naturellement et sur l’approfondissement des liens avec les mots que l’enfant connaît déjà.

Les difficultés d’accès lexical
Les difficultés d’accès lexical sont une autre manifestation du trouble de langage liée au vocabulaire. On estime qu’elles affectent la majorité des enfants dysphasiques, dont environ 25 % de façon plus importante (Dockrell, Messer, George et Wilson, 1998). Il s’agit en fait de la difficulté à retrouver un mot connu — le fameux « mot sur le bout de la langue ». Ces difficultés sont aussi assez courantes dans la population générale.

Chez les personnes atteintes d’un trouble de langage comme dans la population, les difficultés d’accès lexical prennent la forme de délais de réponse, de répétitions, de révisions, de mots vagues (par ex. : chose, ça, affaire) ainsi que de substitutions de mots par d’autres. Ces remplacements ne sont généralement pas fortuits, puisque les mots dits s’approchent souvent de la forme sonore ou du sens des mots que l’enfant veut produire. C’est le cas de perruque, qui remplace perruche, ou de lion, qui remplace tigre. En général, l’enfant peut trouver le bon mot si on lui suggère la première syllabe ou si on lui donne un choix de réponses.
Ici encore, plusieurs experts considèrent que le manque de connaissances conservées en mémoire pour chaque mot et les liens plus faibles entre celles-ci sont en cause. Un bout de chemin reste néanmoins à faire pour bien comprendre ces difficultés.

La morphosyntaxe ou l’élaboration des phrases
La morphosyntaxe est l’art de combiner les mots pour créer des phrases et d’apporter des précisions par l’ajout de mots grammaticaux ou de marques modifiant la forme des mots (conjugaison, accord et ajout de variantes comme les suffixes et les préfixes). L’acquisition des règles mor- phosyntaxiques de base se fait généralement avant l’âge de 6 ans. La complexité et le niveau de raffinement du langage continuent cependant d’évoluer bien après cet âge. Il en va de même pour la compréhension des élé- ments morphosyntaxiques, qui continue de s’enrichir longtemps après l’entrée à l’école.

Selon plusieurs experts, les difficultés morphosyntaxi- ques sont l’une des caractéristiques les plus fréquentes et visibles du trouble de langage. Chez les enfants qui le présentent, la période d’apprentissage de la grammaire est plus longue et décalée dans le temps. En bref, il semble que l’utilisation des marques morphologiques plus dis- crètes ou plus complexes de la langue (accord de genre, conjugaison de verbe, utilisation des pronoms complé- ments) varie davantage chez ces enfants. L’apprentissage des règles de combinaisons des mots est également déca- lé dans le temps; lorsque les jeunes démontrent une connaissance de ces règles, ils ont de la difficulté à les appliquer avec constance.

Chez les jeunes atteints d’un trouble de langage, les difficultés morphosyntaxiques se manifestent par :
◗ la présence de phrases incomplètes, voire télégraphiques, c’est-à-dire où sont omis les mots grammaticaux tels que les articles ou les pronoms (par ex. : « Toi manger pomme » ou « Non moi allé ») ;
◗ une utilisation et une compréhension réduites de certains mots grammaticaux tels que les pronoms sujets, les pronoms compléments, les déterminants possessifs et démonstratifs et les prépositions (par ex. : « Veux manger une pomme » pour l’enfant qui n’a pas encore appris à manipuler les pronoms) ;
◗ la persistance de formes linguistiques moins matures, par exemple «C’est le toutou à moi» au lieu de « C’est mon toutou » ;
◗ un délai dans l’apparition des combinaisons de mots. L’enfant s’exprime par des mots isolés et varie le sens de son message principalement par son intonation ;
◗ des difficultés à comprendre le sens des marques de temps, de genre ou de nombre ou encore certaines structures de phrase et une maîtrise plus tardive de la conjugaison des verbes ainsi que des accords en genre et en nombre (ex : l’enfant aura de la difficulté à comprendre que l’action se fera plus tard lorsqu’on lui dit « Tu vas y aller) ;
◗ un emploi moins fréquent de certaines structures de phrase plus élaborées (par ex. : ajout d’un deuxième complément après le verbe, utilisation de phrases mettant en relation deux verbes avec... parce que..., ...mais..., ...si..., ...quand..., ...sinon...) ;
◗ des difficultés à ajouter des détails à certaines composantes de la phrase afin d’être plus précis (par ex. : adjectifs, adverbes, propositions relatives) ;
◗ une utilisation réduite des mots alors, en premier, ensuite, pourtant, etc. qui servent à lier les énoncés entre eux, notamment dans un récit ou une explication ;
◗ un manque de compréhension des consignes, des explications et des récits à cause d’une difficulté à déterminer qui fait quoi, quand, avec quoi, à quelle condition et de quelle manière (par ex. : « Tu dois t’habiller pendant que tu écoutes la télévision », « Tu pourras jouer après avoir rangé ton casse-tête», « Tu pourras te lever si tu as mangé ton repas » ou encore «Vous pouvez manger des fruits, mais pas des raisins »).

Chez les enfants d’âge scolaire, ce type de difficulté se traduit par une utilisation réduite ou une absence de certaines formes plus complexes. On constate aussi une utilisation plus restreinte de divers mots pour désigner la personne ou la chose dont on parle (une fille, la fille, cette fille, elle, etc.). Comme le souligne Rescorla (2013), ce sont tous ces petits éléments qui apportent richesse, perspective et profondeur aux échanges et aux récits des enfants. Ils se retrouvent largement dans le langage écrit et dans le langage plus formel ; un enfant qui ne les maî- trise pas part donc avec un handicap pour comprendre les explications, les histoires et les textes, et en produire lui-même. Enfin, si l’enfant est incapable d’analyser les composantes de la phrase, par exemple de dire ce qui se cache sous les pronoms qu’il lit, il risque d’avoir de la difficulté à identifier qui fait quoi dans la phrase et à comprendre les liens entre les phrases.

La pragmatique : l’utilisation du langage et les règles de communication
La pragmatique est l’adaptation de la communication en fonction du contexte, des besoins ou des intentions de la personne qui parle et de son interlocuteur. Elle met en lumière la façon de converser, d’expliquer et de raconter ainsi que le respect des règles de communication culturellement admises (véracité, clarté, dosage de l’information, politesse, maintien du sujet, etc.). Elle s’attarde aussi à la compréhension des intentions de l’autre et aux sous- entendus. Les jeunes dysphasiques s’en sortent généralement plutôt bien sur ce plan, mais ils ont parfois de la difficulté à démontrer leur compétence en raison d’un manque de mots et de moyens linguistiques. De plus, l’expérience clinique nous démontre qu’il ne faut pas négliger l’influence de facteurs autres tels que la timidité et les difficultés d’attention sur la façon de communiquer des jeunes ayant un trouble de langage.

En conversation
En règle générale, les enfants avec un trouble de langage ont de bonnes habiletés pour interagir avec les autres : ils peuvent amorcer des échanges, participer à ceux entamés par les autres et respecter les règles de base de la conversation. Bref, on sent bien leur désir de communiquer et leur compréhension de ce qui est attendu de l’autre. Malgré l’utilisation variée qu’ils font du langage, ils peuvent toutefois être maladroits lorsque les échanges deviennent plus complexes et exigent une bonne maîtrise des habiletés décrites précédemment. Par exemple, une difficulté à manipuler l’ordre des mots ou à utiliser les pronoms peut limiter la capacité à formu- ler une question poliment ; une difficulté à utiliser les mots permettant de créer des liens entre les événements (parce que, si, ensuite, etc.) peut sérieusement limiter la capacité à donner une explication et à relater clairement un fait vécu. Finalement, les difficultés d’accès lexical ont souvent un grand impact sur la capacité du jeune à prendre rapidement sa place dans les échanges et à livrer son message avec fluidité. Divers chercheurs ont par exemple démontré que les jeunes dysphasiques fai- saient moins de demandes d’information, s’inséraient moins facilement dans les conversations et avaient plus de difficulté à passer d’un sujet à l’autre et à argumenter.

Chez l’adolescent, les difficultés d’utilisation du langage peuvent se traduire par un manque de tact ou encore par des difficultés à varier la forme des énoncés en fonction du contexte ou à donner une rétroaction à l’interlocuteur pour l’inciter à poursuivre la communication. De même, l’interprétation des intentions de l’interlocuteur à l’aide des indices linguistiques (par ex.: ironie, sarcasme, fatigue, souhait de clore l’échange, etc.) peut être plus difficile.

Les difficultés à relater un événement
Au début du primaire, alors que les habiletés narratives se développent rapidement chez leurs pairs, bon nombre d’enfants dysphasiques ont de la difficulté à raconter les événements de leur quotidien et, plus encore, à livrer des histoires inventées.

Les récits des enfants ayant un trouble de langage sont généralement moins détaillés. Ils comptent davantage de lacunes quant à la formulation des phrases et moins d’éléments permettant aux interlocuteurs de faire des liens entre les énoncés. Ils semblent donc plus décousus. Les difficultés morphosyntaxiques décrites plus haut se font sentir : le temps de verbe n’est pas toujours maintenu du début à la fin du récit, les noms des personnes ne sont pas toujours précisés au départ, les pronoms qui les remplacent sont imprécis ou varient peu. Enfin, les mots de liaison ou de progression (par ex. : mais, alors, enfin) habituellement utilisés dans le récit sont fréquemment omis.

Des études démontrent que ces habiletés doivent être stimulées et leur apprentissage, morcelé afin de permettre à ces jeunes de mieux communiquer.

Le développement du langage écrit
Les habiletés orales de la majorité des jeunes ayant bénéficié d’une intervention adaptée à leurs besoins ont généralement assez bien évolué lorsque ces derniers atteignent le milieu du primaire. Les difficultés présentes dans la petite enfance sont néanmoins susceptibles de se transposer dans l’apprentissage et l’utilisation du langage écrit.

Tout d’abord, certains enfants dysphasiques ont du mal à développer leurs habiletés de prélecture. On pense entre autres à la connaissance des conventions de l’écrit (lecture de gauche à droite, distinction entre l’endroit et l’envers d’un livre), au nom des lettres ainsi qu’à la capa- cité à associer un son à une lettre et à isoler et segmenter les sons des mots. Ces enfants peuvent également avoir de la difficulté à acquérir d’autres habiletés métalinguis- tiques expressives et réceptives (par ex. : reconnaissance de phrases erronées, capacité à les corriger).

Par ailleurs, il est évident que les difficultés rencontrées sur le plan du lexique et de la morphosyntaxe ainsi que les immaturités sur le plan de l’utilisation du langage se retrouvent souvent dans les productions écrites de ces jeunes et influencent leur compréhension des textes écrits. On estime que ces difficultés affectent jusqu’à 90 % des jeunes ayant un trouble de langage. On attribue parfois un diagnostic de dyslexie ou de dysorthographie aux jeunes chez qui les difficultés à lire et à écrire persistent. Cet aspect sera traité plus longuement dans le chapitre 5, qui porte sur les liens entre les divers troubles de développement.

 

Isabelle Meilleur, Annick Proulx, Tamara Bacheleet, Annik Arsenault

 

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Les troubles du langage chez l'enfant