Les clés de l'apaisement dans la relation mère-fille

C’était un dimanche après-midi d’octobre ensoleillé, près du Louvre à Paris. Nous nous disions avec mon amie Maylis que nous avions de la chance de vivre ce moment d’amitié dans un cadre si beau. Nous avons dérivé sur la condition des femmes, sur leur droit à l’avortement menacé en Pologne, aux États-Unis. Je lui ai raconté à quel point il était difficile d’être un « accident », une fille dont sa mère ne voulait pas. Elle m’a regardée gentiment : Oh tu sais, toutes les vies sont difficiles ! Puis elle a ajouté joyeusement : Et puis je suis bien contente que tu sois là !
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C’était un dimanche après-midi d’octobre ensoleillé, près du Louvre à Paris. Nous nous disions avec mon amie Maylis que nous avions de la chance de vivre ce moment d’amitié dans un cadre si beau. Nous avons dérivé sur la condition des femmes, sur leur droit à l’avortement menacé en Pologne, aux États-Unis. Je lui ai raconté à quel point il était difficile d’être un « accident », une fille dont sa mère ne voulait pas. Elle m’a regardée gentiment : Oh tu sais, toutes les vies sont difficiles ! Puis elle a ajouté joyeusement : Et puis je suis bien contente que tu sois là !

Sans le savoir, elle exprimait l’esprit de ce livre : oui, la relation mère-fille est parfois difficile mais au-delà de ces difficultés, elle apporte des bonheurs à savourer et d’autres à découvrir. Et si la relation mère-fille n’apporte pas grand-chose de positif, eh bien il reste à construire sa vie, ses amitiés, ses amours et c’est bon... N’est-ce pas ce que cherchaient les femmes que j’ai interviewées pour cette enquête : le bonheur d’être ensemble mères et filles et le bonheur pour soi, dans sa vie personnelle ? Je repense (tous les prénoms ont été changés) à Pomme, 39 ans, qui souffrait d’avoir été trop aimée. À Lucie, 35 ans, qui n’arrivait pas à s’extraire de l’enfance. À Manon, 23 ans, si proche de sa maman qu’elle ne pouvait se résoudre à la quitter. À Julia, 30 ans, terrassée depuis dix ans par une grave dépression et persuadée d’avoir une mère toxique. À Laetitia, 55 ans, racontant le départ de sa mère sur un quai de gare. Elle partait rejoindre son amoureux : elle avait des choses à vivre, comme elle l’a expliqué à sa petite fille de quatre ans. À Lilou, 28 ans, avec ses tatouages et son piercing dans le nez, essayant de s’inventer un « moi » sous les yeux de sa mère, estomaquée par ce « crime ». À Justine, 34 ans, qui a fait un enfant pour... sa mère qui cherche un sens à sa vie. À Elsa, 41 ans, que la thérapeute familiale prend à part : Faites attention à votre maman, elle est fragile ! À Catherine, 61 ans, une nouvelle jeune retraitée qui tourne en rond en pensant qu’elle a tout bon et qui ne comprend pas pourquoi ses filles ne l’appellent pas, ne viennent pas la voir.

Mais je pensais en parallèle aux rires de cette enquête : à la joie d’Annie, 63 ans, qui s’entend si bien avec ses jumelles. À Caroline, 30 ans, si fière d’avoir mis au monde une sacrée petite bonne femme aujourd’hui âgée de cinq ans. À Cathy, 44 ans, qui adore sa mère et refuse de faire entrer du négatif dans sa vie : Il faut qu’on se parle est sa phrase-clé et clarifier les choses son obsession...

Clarifier les choses : c’est aussi mon objectif en écrivant ce livre car nous sommes toutes un peu perdues. Qu’est-ce qu’une relation mère-fille réussie aujourd’hui ? Que veulent dire les conflits ? Pourquoi cette relation est-elle prise de tête pour nous et si simple pour d’autres filles ? Si simple pour d’autres mères et si difficile pour nous ? Quel est le rôle d’une mère ? Que peut-on lui demander sans trop exiger ? Et les filles sont-elles ingrates quand elles n’arrivent pas à reconnaître les points positifs de leur éducation – car il y en a forcément. Pourquoi sommes-nous si agacées ? Si déçues ? Et pourquoi n’arrive-t-on pas à se parler calmement ? Et dans dix ans, où en serons-nous ? Peut-on se réconcilier après s’être fâchées si fort ?

Clarifier, c’est-à-dire mettre en mots ce que les mères et les filles pressentent de leur relation sans pouvoir le nommer. Souvent au cours de cette enquête, j’ai pensé : Ah mais oui, c’est exactement ça ! Car il s’agit bien d’une enquête au pays des mères et des filles parlant de leur relation d’adulte à adulte, même si elles évoquent l’enfance dont elle dépend. J’en ai interrogé une centaine – autant de mères que de filles – pendant un peu plus d’un an. La plus jeune avait 19 ans, la plus âgée, 72 ans. Je les ai trouvées dans mon entourage (amies, lectrices, coachées, car toutes les femmes ont des choses à dire sur la relation mère-fille). Je suis passée par les réseaux sociaux (merci aux blogueuses qui ont bien voulu relayer ma demande) en rédigeant un message vague, pour voir ce qui émergerait spontanément. Il disait : Je travaille sur la relation mère-fille d’aujourd’hui. Qui voudrait bien m’aider à réfléchir ou témoigner ? Merci de me contacter en message privé. Les réponses sont arrivées vite et nombreuses. J’ai retenu quelques relations extrêmes – très heureuses ou très difficiles –, mais la majorité concernait des relations moyennes, « normales », lointaines, un peu « bizarres » parce que mères et filles les cernaient mal. Les interviews duraient rarement moins d’une demi-heure, parfois plus de quatre heures.

Tous mes livres s’appuient sur une enquête humaine car personne n’est mieux placé pour parler de l’amour que les amoureux, du divorce que les « divorçants », des mères et des filles que les femmes elles-mêmes. D’habitude, je cesse d’échanger quand arrive un sentiment de déjà-vu, de déjà entendu mais cette fois, les histoires étaient si singulières, les configurations mère-fille si différentes que je ne pouvais pas m’arrêter. J’ai tourné autour de l’angle à donner à ce livre pendant des semaines. Je pensais dialogue, réconciliation, fusion, importance du respect... mais il manquait quelque chose. Ce n’était pas suffisamment juste. Après des mois à changer de point de vue à chaque nouvelle interview, je me suis arrêtée sur la notion d’apaisement. N’est-ce pas ce que nous cherchons toutes ? Une forme de sérénité dans la relation ? Que cessent les ruminations, le malaise, les prises de tête ? Et puis j’ai rencontré Elsa, 35 ans. L’apaisement, ça ne me parle pas ! Ma mère, j’ai envie de la tuer, a-t-elle constaté dans un grand sourire, comme si ce « tendre » aveu était une étape bien assumée. Alors je suis revenue à la case départ pour constater que mon sujet était tout simplement la relation mère-fille dans tous ses états.

Comme je suis « coach de vie » – et que les coaches sont censés donner des conseils –, j’ai failli truffer ce livre d’encadrés concrets du genre dites ceci, ne faites pas cela (en moins directif tout de même), parce que c’est rassurant. En un clic on trouve sur Internet : comment récupérer son ex, comment endormir un bébé, comment bien s’entendre avec sa fille ou sa mère en 5 lignes. On peut dire qu’une bonne relation mère-fille passe par la confiance, ça oui. Mais par quels gestes, par quels mots la gagner ? Chacune les trouvera. Dans ma bibliothèque s’alignent aussi des dizaines de livres sur la relation mère-fille. L’un parle de ravage. Un autre avertit : s’en sortir ou y laisser sa peau. Tous proposent de se libérer et les plus doux de se réconcilier... Mais en quoi ai-je voulu finalement, après bien des détours et des réflexions, me différencier ? En dédramatisant la relation mère-fille qui, pourtant, vit de sacrés quarts d’heure ! Et en ne donnant aucune perspective de rapprochement ou de réconciliation.Dans certaines histoires, il est bon de rester fâchées pendant un long moment. Un temps mis à profit pour construire d’autres relations, pour trouver comment bien vivre avec soi-même surtout, et pour mesurer combien la relation mère-fille est unique, et combien elle manque parfois, finalement.

Dans ce livre, j’aimerais laisser le loisir à chaque relation mère-fille de se positionner tranquillement. Il est des mères et des filles qui se voient une fois par an. D’autres qui se téléphonent trois fois par jour. Comment pourrais-je décider que les unes font bien et les autres mal ? L’autre point qui me laisse sceptique est celui de se « libérer » de sa mère... mais elle nous constitue ! L’histoire d’amour que nous vivons avec elle nous façonne dans notre manière d’étendre le linge, de dire bonjour Madame plutôt que bonjour tout court, de considérer que les hommes sont... ou ne sont pas, d’avoir peur quand on sonne à la porte ou de penser joyeusement : tiens, qui est-ce ? D’aimer se maquiller ou de le voir comme une perte de temps. Il s’agit plutôt de faire avec la manière dont cette histoire nous a façonnée, d’en garder ce qui nous plaît, d’en guérir ce qui fait mal, d’en revoir les croyances, d’en apprécier les apports...

J’espère dans ce livre non pas multiplier les conseils mais vous dire tout ce que j’ai appris sur la relation mère- fille au cours de cette enquête, dans ma pratique, dans ma vie... afin que quelque chose puisse faire écho en vous. Afin que vous puissiez vous dire à un moment ou un autre de cette lecture – comme j’ai pu le faire moi-même en écoutant les femmes : Ah mais oui, c’est exactement ce que je vis, ce que je ressens, ce que je recherche...

C’est donc un livre personnel, qui est le fruit d’une enquête et d’une expérience. On pourrait dire que je réfléchis sur la relation mère-fille depuis l’âge de cinq ans. Depuis qu’une belle dame blonde passait me voir chez mes grands-parents, me tendait son cou parfumé et suggérait : Embrasse-moi mon petit homme ! Je ne comprenais rien à ce qu’elle était, à ce qu’elle disait, à ce qu’elle faisait. Elle était pour moi une fascinante énigme. Sur mes dessins d’enfants, on ne voyait pas une maison avec un soleil, un papa, une maman, des enfants, un chien et une balançoire. On voyait une immense femme en robe de princesse avec un diadème dans les cheveux : ma mère bien sûr ! Quand j’ai été adulte, l’une de mes belles-sœurs a prononcé cette phrase lumineuse : Au fond ta mère n’a jamais eu d’enfant... Mais il faut du temps pour concevoir ce mystère, comme il en existe bien d’autres quand on parle des mères et des filles. Cela suppose de démêler des pelotes de mots, de regards, d’attitudes incompréhensibles. C’est pourquoi les filles douloureuses ont souvent besoin d’une aide psychologique pour remonter le fil des traumatismes. Certaines se reprochent d’être encore en souffrance à trente, quarante, cinquante ans ! Mais elles doivent réfléchir à la mesure des dommages subis et décortiquer arête par arête un passé difficile à avaler. Les humains sont ainsi faits : leur cœur se guérit par la tête. C’est de penser qui les sauve. Il arrive qu’avec nos mères, tout soit si embrouillé que c’est un sacré travail !

Il y a quinze ans, j’ai publié un livre qui s’intitulait : Être la fille de sa mère et ne plus en souffrir. On pourrait croire que le sujet est aussi atemporel que le couple ou l’amour et pourtant son contenu, par certains aspects, semble démodé. Les filles douloureuses d’alors l’étaient dans le contexte de l’époque. Elles avaient été élevées par des mères qui préféraient leur fils parce qu’un petit mâle était mieux qu’une « pisseuse », comme on disait encore. Des mères qui souvent s’étaient senties coincées dans des rôles, des études, des mariages, des vies qu’elles n’avaient pas vraiment choisis car les propositions faites aux femmes étaient étroites. Les filles d’aujourd’hui ont grandi dans un climat plus favorable. Grâce à la contraception, leurs mères ont choisi le père et le nombre d’enfants adapté à leur désir, à leur mode de vie. Beaucoup ont apprécié d’avoir des filles car entre fille et garçon, on ne faisait plus de différence. Souvent féministes, elles ont aimé et voulu que toutes les portes s’ouvrent. Elles n’ont pas été des femmes victimes. Elles ont su divorcer quand elles s’étaient trompées d’amour. Elles savaient aussi que « l’enfant est une personne ». Elles ont pratiqué l’écoute, cessé de posséder la vérité avec un grand V sur ce qu’est une femme « bien », une femme formatée. Bref, elles ont essayé d’élever leurs filles dans l’écoute et le respect, en les laissant libres de choisir leur voie, leurs amours, leur sexualité. Les progrès sont donc considérables !

Les mères de la génération Y 1 (les trentenaires) sont les premières à avoir élevé des filles pour qu’elles soient libres d’advenir à soi, comme disent les psychanalystes, mais rien de ce qui est humain n’étant parfait, il est aujourd’hui d’autres écueils. Et si mère et fille s’aimaient presque trop ? Et si certaines étaient devenues trop proches, trop complices ? À moins qu’il ne s’agisse d’une fusion joyeuse, dont témoigne Hélène dans ce livre.

La relation mère-fille est compliquée (le mot le plus souvent employé pour la qualifier) si l’on tient compte de tous les paramètres qui la façonnent : il y a l’histoire de la mère et celle de la conception, de la grossesse, de la naissance, le rôle du père, des frères et sœurs, du caractère de la petite fille, de son physique, de ses atouts, de ses imperfections, de son affectivité, des événements de vie (divorces, deuils...) qui traversent la famille, des gènes, des influences, des croyances et des inconscients. Ce qui fait beaucoup de choses, beaucoup de monde ! Et un sujet compliqué en effet, difficile à cerner. Aussi vais-je me centrer sur l’essentiel en me demandant ce que sont les besoins d’une fille adulte en pleine construction de vie. Qu’attend-elle de sa mère ? Qu’est-ce qui ne va pas quand il y a du malaise, des conflits, des silences, des fâcheries ? Ne pas rester dans l’incompréhension, dans la prise de tête, avancer... voilà ce que les mères et les filles demandent. Je proposerai donc les trois clés qui se dégagent pour y parvenir. Un comprendre. Deux s’ajuster. Trois aimer.

Patricia Delahaie
 
 


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