Le respect d’hier à aujourd’hui

                                                                                                                 

Les adultes se plaignent depuis toujours du manque de respect de leurs enfants. Le problème semble s’aggraver de génération en génération. « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans3 », disait Socrate il y a plus de 2 000 ans. L’irrespect ne date pas d’hier, on dirait ! De génération en génération, l’autorité s’est assouplie et l’éducation rigide en vogue il y a une cinquantaine d’années n’est plus la norme chez les jeunes parents.
© istock

                                                                                                                                                                                                                                                                               

            
                                                                                                               

Les adultes se plaignent depuis toujours du manque de respect de leurs enfants. Le problème semble s’aggraver de génération en génération. « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans3 », disait Socrate il y a plus de 2 000 ans. L’irrespect ne date pas d’hier, on dirait ! De génération en génération, l’autorité s’est assouplie et l’éducation rigide en vogue il y a une cinquantaine d’années n’est plus la norme chez les jeunes parents.

À ce propos, le psychiatre Rudolf Dreikurs écrit: « Souvenez-vous du temps où les mères faisaient sage- ment ce que les pères leur demandaient, ou du moins donnaient l’impression de se soumettre, parce que c’était comme ça et que c’était culturellement acceptable... À l’époque, les modèles de soumission étaient nombreux. Le père, en tant qu’employé, obéissait à son employeur (qui n’accordait souvent que peu d’intérêt à son opinion) pour ne pas perdre son travail. Les minorités acceptaient d’être soumises au mépris de leur dignité personnelle4. »

L’épouse obéissait à son mari. Les enfants, entourés de modèles de soumission, s’en imprégnaient. On exigeait le respect des enfants vis-à-vis de leurs aînés, mais les adultes n’avaient aucune obligation envers les enfants. « L’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère5 », indique le Code civil français. Selon la loi, à une époque, les parents devaient protéger l’enfant, mais ils n’étaient pas tenus de le respecter. Les enfants baissaient les yeux en s’adressant aux adultes. On confondait soumission et respect. Les « merci », « s’il vous plaît », « pardon » s’enseignaient et les « monsieur », « madame » et « mademoiselle » imposaient une distance entre l’enfant et l’adulte.

Il était impensable de contredire un adulte et encore moins de lui répondre de manière effrontée. Répondre, même poliment, était un manque de respect. Émilienne, 90 ans, raconte : « Les enfants, c’étaient des enfants, et ils devaient se taire à table puis demander la permis- sion pour se retirer. Pas question de discuter avec les adultes ! Jamais on n’aurait osé poser une question sur quoi que ce soit, ce qui nous a laissés dans l’ignorance d’une foule de choses...» Simon affirme quant à lui: « Les enfants étaient mieux élevés et plus respectueux de mon temps. » Peut-être, mais à quel prix ? Les femmes étaient soumises et n’avaient pas le droit de vote, les enseignants pouvaient taper sur les doigts de leurs élèves... Heureusement, l’évolution de la société a entraîné une multitude d’avancées significatives pour le mieux-être de tous. Cependant, cela ne s’est pas effectué sans conséquence, comme nous le constaterons plus loin.

L’enfant qui manquait de respect ou désobéissait à l’adulte se retrouvait avec un bonnet d’âne sur la tête et le dos tourné à la classe à l’école, puis à genoux dans un coin — parfois quelques heures — et privé de repas à la
maison. Les punitions marquaient l’enfance.

> Lucie, 59 ans
« Si on nous apercevait en train de mâcher de la gomme, on nous ordonnait de nous la coller sur le nez et de circuler dans toutes les classes de l’école pour afficher notre désobéissance. J’étais gênée pour l’élève qui entrait dans ma classe avec une gomme sur le nez ! Les enseignants croyaient-ils vraiment que nous humilier ainsi nous inciterait à respecter les règles ? Au contraire. Nous ne ressentions que haine et mépris à leur égard. En apparence, nous les respections, mais, en leur absence, on les affublait de toutes sortes de surnoms. Nous recherchions les occasions de recommencer, mais sans se faire prendre. L’obéissance était essentielle – obligatoire même – dans les rapports adultes-enfants. Gare aux opposants ! »

L’humiliation devant la classe ou la famille était chose courante, et même normale. Être déculotté devant les autres avant de recevoir la fessée en classe était une autre pratique acceptée. Les enfants de ces générations ont « ravalé » bien des paroles ! On pouvait tout leur dire, tout leur imposer sans qu’ils puissent répliquer. La fessée et les autres punitions violentes étaient également des pratiques courantes. Les adultes croyaient ainsi inspirer le respect.

> Hélène, 62 ans
« Le jour de mes 16 ans, on m’a traitée de dévergondée à l’école alors que je m’appliquais pour la première fois un trait de crayon sur les paupières. Mes parents, eux, me traitaient de “ paresseuse ” lorsque je ne travaillais pas assez vite à leur goût, de “ tête de linotte ” lorsque j’oubliais quelque chose et de “ sans dessein ”lorsque je commettais une erreur. Ces critiques blessantes me suivent encore et me sont collées à la peau. Je me suis promis que mes enfants n’entendraient jamais de tels jugements négatifs et blessants de ma part. »

C’est sans doute l’un des motifs pour lesquels de nombreux parents laissent tout passer : ils craignent tellement de blesser comme ils l’ont été !

Une enfance faite de soumission et d’obéissance aveugle, passée à exécuter sans jamais rechigner, voilà de quoi marquer, voire gâcher une existence. Les jeunes plus affirmatifs, qualifiés « d’opposants » à une époque, se retrouvaient parfois dans des classes spéciales, voire dans des maisons de correction ou des maisons de redressement où étaient enfermés les garçons mineurs désobéissants. Un article paru dans Le Figaro évoque même un exemple extrême de ce genre d’établissement, aux États-Unis. Les pensionnaires de l’établissement en question étaient régulièrement battus et violés, parfois jusqu’à la mort. Plus d’une centaine de sépultures ont été découvertes. Plusieurs de ces décès ne figurent sur aucun registre. « Il semble- rait toutefois qu’aucun coupable ne fasse l’objet d’une action en justice6.» Au moindre écart de conduite, on retirait ces jeunes de leur famille afin de leur apprendre le respect. Et de quelle façon ? En les confinant dans des endroits conçus pour être encore plus stricts et rigides, et où pouvaient avoir lieu des actes malsains, répréhensibles et très violents.

Que dire du sort des femmes québécoises qui, il y a quelques décennies, osaient s’exprimer et réclamer une place bien à elles ? De celles qui refusaient simplement d’obéir à leur mari ? « À peine érigés, on remplit les asiles... Des hommes y font même enfermer leur femme parce qu’elle revendique ses droits7. » Nous sommes bien loin du respect. Tous ceux qui dérogeaient un tant soit peu aux normes étaient exclus, rejetés, enfermés et, le plus souvent, maltraités. Et on s’étonnait que certains se révoltent !

Le manque de respect, de considération et de sensibilité aux autres semble avoir toujours existé. Certaines situations ne se produisent plus aujourd’hui, mais les blessures causées par ces conduites ne disparaîtront jamais totalement. Nul besoin de se reporter très loin dans le temps pour observer des situations ayant causé des dommages aux enfants.

> Samuel
Récemment, Samuel, 10 ans, surnommé « le tannant de la classe » par ses camarades depuis la maternelle, a été hué alors qu’il s’apprêtait à prononcer son discours pour accéder au titre de président de classe. Malgré ce manque de respect inacceptable, l’enseignante est demeurée muette. Il n’y a eu ni excuses ni réparation. Elle n’a même pas demandé aux élèves de cesser de rire. Maintenant, Samuel refuse de retourner en classe.

 

Le manque de respect peut prendre diverses formes, aussi blessantes les unes que les autres. Le rôle de l’adulte est essentiel pour exiger le respect entre enfants. Des enseignants me parlent régulièrement de collègues qui crient, adoptent des attitudes vengeresses envers leurs élèves ou expriment des jugements négatifs sur eux en dehors des classes. Ces comportements irrespectueux de la part d’adultes dont le métier est de prendre soin de ces enfants m’attristent profondément. Ces élèves sont victimes d’irrespect et leurs besoins affectifs demeurent criants. Comment peuvent-ils s’épanouir dans de telles conditions ?

> Brigitte
« Je me considère très privilégiée de vivre dans un pays où les droits de l’enfant existent, où l’enfant est généralement respecté. Il y a deux ans, je suis intervenue dans un pays où la punition corporelle est quotidiennement pratiquée, mais où la volonté de la remplacer par des moyens bienveillants prend place graduellement. Dans le coin de chaque classe, il y avait un fouet. On m’a dit qu’il n’était pas utilisé et que sa simple présence suffisait à convaincre les élèves de se tenir tranquilles. Le moyen de correction le plus utilisé consiste à pincer la peau de l’enfant tout en la tordant. Les marques sont moins apparentes que celles du fouet... Malgré tout, certains parents se présentent à l’école avec leur enfant après avoir reçu un avis soulignant son com- portement répréhensible et exigent qu’il soit fouetté. Des enfants de 3 ans s’entassent à 50 dans une seule classe. Les enseignants doivent attendre six à neuf mois avant d’être rémunérés. À l’époque où j’y étais, le seul guichet automatique de la ville ne fonctionnait plus et il fallait attendre huit heures pour faire une transaction à la banque. Je pourrais écrire des pages sur ce que j’ai vu et entendu, mais ce que j’ai surtout retenu, c’est que ces adultes sont quotidiennement victimes de maltraitance de la part du gouvernement ou d’autres personnes en position d’autorité. Comment pourraient-ils offrir quelque chose de différent à leurs enfants dans ce contexte ? J’ai rangé mes belles méthodes et me suis appliquée à leur offrir un peu d’humanité, d’amour, de bienveillance et d’espoir. »

Des milliers d’histoires d’irrespect et d’abus peuvent être recensées dans tous les pays, même les plus « civilisés ». Ici, au Canada, le placement de 150 000 enfants autochtones dans des pensionnats a été qualifié de « génocide culturel » par le journaliste Hugo De Grandpré8. Dans plusieurs communautés autochtones que j’ai visitées, on m’a raconté que les mères pleuraient pendant des jours le départ de leurs petits, souvent embarqués de force dans le train qui les amenait au pensionnat pour plu- sieurs mois. Les villages étaient « vidés » de leurs enfants. On voulait, clamait-on, en faire de « vrais Canadiens » en « tuant l’Indien » en eux. Et cela en les maltraitant et abusant d’eux, a-t-on su beaucoup plus tard. Les quelque 300 0009 « orphelins de Duplessis » ont quant à eux été faussement déclarés malades mentaux par le gouverne- ment du Québec et confinés dans des institutions psychiatriques. Il s’agit du plus important cas de maltraitance d’enfants de l’histoire du Canada10.

Ce ne sont là que quelques-uns des abus et crimes de toutes sortes ayant été commis. Souvent, ces abus sont demeurés impunis. Si de nombreuses avancées ont été effectuées au fil des ans en termes de respect, il reste encore beaucoup à faire pour que chaque personne soit respectée et fasse preuve de respect, dans tous les sens du mot. Nos façons d’agir et nos réactions aux manques de respect peuvent apporter des changements positifs importants. Nous nous attarderons sur cet aspect dans les prochains chapitres.

Les conséquences sur les enfants
Comment apprendre le respect dans les contextes énoncés précédemment? L’enfant humilié devient souvent un adulte qui humilie à son tour. Des études mettent également en évidence un lien entre les coups reçus durant l’enfance et l’agressivité à l’âge adulte : « Les châtiments corporels imposent à court terme une obéissance de l’enfant, mais, à long terme, ils produisent de la peur, de l’agressivité, un désir de vengeance ou de révolte et la volonté d’occuper à son tour une position de pouvoir.

Ainsi, la violence physique envers les enfants est souvent
à l’origine de la violence physique chez les adultes11. »

Si l’adulte ayant été abusé ou violenté ne fait aucune introspection, il risque de reproduire de façon spontanée les comportements adoptés à son égard dans son enfance.

 

Brigitte Racine


Si cet extrait vous a plu, vous pouvez en lire plus
en cliquant sur la couverture du livre ci-dessous :