Le développement des relations interpersonnelles


La communication est au cœur des relations humaines. Le langage facilite en effet la compréhension, l’échange d’opinions et d’idées et le partage d’émotions et de préoccupations. Il permet de véhiculer différents messages visant à établir un lien avec l’autre, à le maintenir et à le faire évoluer. Le langage permet également la mise en œuvre de toute une gamme d’habiletés sociales qui facilitent l’intégration au sein d’un groupe et alimentent le désir d’être ensemble. On pense par exemple aux salutations, à la politesse et à l’humour. Ces habiletés sociales s’acquièrent graduellement dès la petite enfance, au contact des autres, et elles évoluent au gré du cheminement de chacun. Elles sont influencées par l’environnement immédiat ainsi que par les valeurs véhiculées par la société, les classes sociales et les époques.

Le trouble du langage vient compliquer les interactions sociales. Les difficultés rencontrées varient d’un enfant à l’autre. L’association entre le trouble de langage et les difficultés relationnelles n’est donc pas systématique. Fort heureusement, le langage n’est pas la seule compétence utile pour interagir avec autrui ; l’enfant qui le désire peut établir la communication autrement qu’avec le langage. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’enfant qui évolue avec un trouble du langage présente généralement autant d’intérêt à socialiser que ses pairs. Cette motivation lui permet souvent de surmonter ses difficultés langagières.

Dans ce chapitre, nous nous attarderons aux difficultés que peut rencontrer l’enfant avec un trouble de langage dans l’acquisition et l’utilisation des habiletés relationnelles. Afin de mieux les comprendre, nous illustrerons différentes réactions d’enfants d’âge scolaire et préscolaire devant affronter leurs limites dans des contextes sociaux. Nous aborderons certaines stratégies d’accompagnement pouvant les aider à développer les habiletés sociales qu’ils ont le plus de mal à maîtriser. L’évolution des habiletés sociales chez l’adolescent et le jeune adulte sera quant à elle abordée dans la section finale du livre.

Les interactions sociales... pas si simples que ça !
Les interactions sociales peuvent être divisées en différentes étapes ou activités. Chacune d’elles exige un ensemble d’habiletés que certains jeunes ayant un trouble de langage mettent plus de temps à développer. Le niveau de maîtrise de ces comportements et attitudes influence la prise de contact et la poursuite de la relation. Par ailleurs, l’affirmation de soi, l’expression et la gestion des émotions inhérentes aux relations humaines ainsi que la capacité à percevoir celles des autres jouent aussi sur l’évolution des interactions. Enfin, d’autres facteurs comme l’apparence, le contexte (lieux et circonstances entourant l’échange) et certaines autres caractéristiques de la communication peuvent faire varier la conclusion de l’échange. On pense notamment à l’intonation, à l’intensité vocale, au débit, à la gestuelle, aux mouvements des yeux et du visage ainsi qu’à la posture du corps.
Les expressions du visage sont un moyen de commu- nication très important. Une étude menée auprès d’enfants dysphasiques (Trement et Goupil, 2014) a cependant démontré que les expressions du visage ne concordaient pas toujours avec ce que ces enfants ressentaient. Ceux- ci peuvent en effet sourire lorsqu’ils sont mal à l’aise ou rire lorsqu’ils se font réprimander. Le lien entre ce type de réaction et le trouble du langage est encore flou, mais il est évident qu’une telle situation peut influencer l’interprétation de l’interlocuteur.

Le regard est un autre puissant instrument de commu- nication. Il permet d’amorcer l’échange et contribue à guider les interactions et le tour de parole. Il peut également permettre d’exprimer des émotions. Or, l’enfant atteint d’un trouble de langage peut présenter des difficultés à établir et à maintenir un contact visuel en raison d’un trouble attentionnel, d’un retard dans certaines phases du développement ou d’une motivation plus faible à socialiser. Il peut ainsi tarder à savoir lire les intentions et les émotions dans le regard de l’autre.
La posture et les gestes jouent également un rôle dans la communication en reflétant l’engagement de la per- sonne dans l’échange. Plusieurs enfants présentant un trouble du langage les utilisent très souvent d’emblée pour se faire comprendre.

L’écoute, quant à elle, est une habileté indispensable qui démontre l’intérêt porté à l’autre et assure la continuité de l’échange. L’écoute active permet de renchérir, de reformuler et de questionner pour valider sa compréhension. Or, les atteintes de l’attention et de la compréhension rendent l’écoute difficile. Elles jouent également sur l’acquisition d’autres habiletés, telles que les habiletés pragmatiques, qui déterminent la capacité de l’enfant à adapter sa façon de communiquer en fonction du contexte, des besoins ou des intentions de chacun (c’est-à-dire les siens et ceux de son interlocuteur). Ces habiletés exigent de se mettre à la place de l’autre et de maîtriser certaines habiletés verbales.

Les habiletés dites « pragmatiques » jouent un rôle cru- cial dans les interactions sociales. Chez les enfants ayant un trouble de langage, elles sont généralement assez bien préservées. Néanmoins, le manque de moyens verbaux peut avoir des répercussions sur la facilité avec laquelle ils les mettent en pratique. Le trouble de langage peut en effet affecter divers éléments :
◗ rapidité avec laquelle l’enfant peut établir un contact, amorcer un échange et le poursuivre, de même que changer de sujet au bon moment ;
◗ aisance à communiquer selon les attentes pour des buts variés (faire des demandes, poser des questions, y répondre, raconter, argumenter, etc.) ;
◗ respect des règles de communication/conversation (fournir une information véridique, claire, pertinente, en quantité suffisante, en lien avec le sujet) ;
◗ réparation des bris de communication éventuels (poser des questions, faire des demandes de clarification, reformuler différemment, s’ajuster aux interruptions de l’échange).

Chez l’enfant, les difficultés de compréhension peuvent limiter la capacité à répondre aux questions ou à ajuster son message aux propos de l’interlocuteur, ce qui peut entraîner l’abandon de l’échange. Évidemment, les difficultés à comprendre certains mots, tournures de phrase ou expressions à double sens (idiomes, ironie, sarcasme, jeux de mots, etc.) peuvent limiter la capacité de l’enfant à inférer l’état émotif de l’interlocuteur et à s’y ajuster. Ses difficultés expressives peuvent aussi l’empêcher de prendre sa place dans les conversations. À la fin du primaire et à l’adolescence, ces problèmes se traduisent parfois par un manque de tact, une difficulté à bien utiliser les expressions propres à sa génération et une utilisation plus restreinte de comportements communicatifs socialement désirables (par ex. : complimenter, blaguer, raconter, s’excuser, suggérer un compromis, etc.).

Le respect du tour de parole fait partie des habiletés pragmatiques et sociales. La parole se prend ou se donne par un accord mutuel et implicite qui s’établit par l’observation et l’écoute. Ces deux dernières habiletés sont donc nécessaires pour prendre la parole en temps opportun et respecter le tour de l’autre. De plus, de bonnes habiletés langagières sont essentielles pour assurer une alternance équilibrée des tours de parole.

Enfin, la maîtrise de certaines habiletés ou conventions sociales telles que l’utilisation de formules de politesse ou de salutations peut exiger plus de temps chez les enfants présentant un trouble de langage, soit en raison des difficultés d’expression ou de compréhension ou encore de la présence de troubles associés. À cet égard, l’apprentissage de l’expression, de la gestion des émotions et de l’affirmation de soi peuvent être un enjeu pour l’enfant ayant un trouble de langage, tout comme le développement des compétences de gestion des conflits et de coopération dans le cadre de jeux d’équipe ou de travaux scolaires.

L’enfant ayant un trouble de langage présente souvent certaines forces — le partage, l’entraide, la collaboration, l’empathie et, surtout, l’enthousiasme à l’idée de se faire des amis — qui l’aident à entrer en relation avec ses pairs ou à déployer différentes stratégies lui permettant de s’inclure dans un groupe en dépit de ses difficultés.

Ces quelques lignes montrent bien la complexité des facteurs qui influencent les interactions sociales. Elles laissent entrevoir les obstacles auxquels peuvent faire face les personnes qui évoluent avec un trouble du lan- gage. La mise en situation qui suit donne un aperçu de ce à quoi peuvent ressembler les premières expériences sociales d’un enfant dysphasique. Des stratégies d’accompagnement pouvant faciliter les apprentissages sont par ailleurs proposées en parallèle.

Les relations interpersonnelles
« Allô ! Je m’appelle Juliette. Est-ce que tu veux jouer avec moi?» [...] «À quoi tu joues?» [...] «Ah non, je ne connais pas ce jeu. Comment on joue ? »

Ce scénario, idéal d’un point de vue d’adulte, a bien peu à voir avec la réalité. Il s’agit là d’une formule bien construite qui ne se présente que dans un contexte exemplaire. Les prises de contact entre les enfants ne se font pas toujours de cette façon. Cette présentation comporte plusieurs défis pour l’enfant qui éprouve des difficultés langagières. Certains intervenants spécialisés auprès des enfants présentant un trouble du langage révisent ainsi leur modèle de manière à ce qu’il puisse être plus facilement reproduit par l’enfant.

Aborder un ami
Simple en apparence, cette prise de contact peut toute- fois comporter quelques embûches pour un enfant qui présente un trouble du langage. Tout d’abord, pour établir un contact avec l’autre, l’enfant doit avoir confiance en sa capacité de se faire comprendre. Il doit ainsi faire abstraction du fait que ses phrases ne sont pas aussi claires que celles de ses pairs et qu’elles ne sont pas toujours comprises. Son amorce de conversation pourrait ressembler à : « Allô, moi appè Zuyette. Veux zouer » ou se résumer à un simple « Veux zouer ». L’intonation employée a aussi une influence sur la réaction de l’autre. Si la fillette est enjouée et utilise un ton interrogatif, l’autre ressentira son enthousiasme et comprendra qu’elle ne lui impose pas sa présence. Toutefois, si Juliette emploie une intonation plus impérative, l’ami peut percevoir sa demande comme un ordre et réagir négativement. Encore faut-il qu’elle ait choisi d’utiliser les mots. Certains enfants utilisent promptement l’action pour exprimer leur intention. Ainsi, Juliette pourrait choisir de s’inviter sans préavis et sans attendre l’opinion de l’autre.

Et si l’autre la repoussait ? L’émotion ressentie par Juliette pourrait alors influencer sa réaction : si elle est triste, elle pourrait se mettre à pleurer et se retirer ; si elle est fâchée, elle pourrait pousser l’ami ou lui arracher son jouet... La réaction de l’autre pourrait aussi influencer les initiatives ultérieures de Juliette, un rejet pouvant entraîner une perte de motivation quant aux occasions futures. Ainsi, certains enfants qui évoluent avec un trouble du langage cessent de chercher à établir des contacts avec leurs pairs, surtout s’ils sont timides. Ils préfèrent jouer seuls pour ne pas s’imposer ou courir le risque d’être rejetés. Ce mécanisme d’évitement, s’il perdure dans le temps, peut graduellement amener ces enfants à s’isoler.

Toutefois, la volonté de l’enfant de se faire des amis l’amène très souvent à compenser son trouble de langage par des forces personnelles qui lui ont permis d’obtenir des résultats positifs par le passé. Ainsi, il a la possibilité de miser sur l’enthousiasme, le sourire, le sens de l’humour ainsi que les démonstrations d’intérêt envers l’autre (écoute, partage, entraide, collaboration, etc.), une série d’attitudes qui favorisent les relations interpersonnelles. Ces forces peuvent s’acquérir naturellement grâce aux modèles fournis par l’entourage et aux occasions offertes par l’environnement. Ces habiletés sociales non verbales peuvent ainsi devenir des atouts pour compenser les difficultés langagières.

Miser sur le développement des aptitudes prosociales non verbales
La vie quotidienne offre de multiples occasions pouvant servir à stimuler, encourager et soutenir l’enfant dans l’acquisition des habiletés de socialisation. Les parents peuvent par exemple profiter d’une rencontre inattendue ou planifiée pour intégrer l’enfant à l’échange en prenant soin de le présenter. Cette attention toute simple confirme à l’enfant qu’il a de l’importance et qu’il peut prendre part à la discussion, et lui montre la formule à adopter lors d’une rencontre. Le parent peut ensuite féliciter l’enfant, discuter des ajustements à faire ou pour- suivre son enseignement en lui parlant par exemple du lien qu’il entretient avec l’autre personne ou de tout autre sujet pertinent. Il ne faut pas hésiter à souligner les forces de l’enfant et à répondre à ses questionnements.

Lorsque l’activité est planifiée d’avance, les stratégies et les attentes peuvent être présentées au préalable à l’enfant et illustrées par des mises en situation. À l’occasion d’une fête d’enfants, par exemple, le parent peut parler, entre autres, des personnes que l’enfant connaît, des comportements attendus, des adultes de référence et du déroulement habituel de l’activité. Il est toutefois possible qu’il doive réduire ses attentes et procéder par étapes. Il peut ainsi rester avec l’enfant jusqu’à ce qu’il retrouve son ami parmi les autres et profiter de l’occasion pour l’aider à se présenter aux enfants qu’il ne connaît pas. Pour renforcer l’estime de l’enfant, l’adulte a intérêt à choisir un défi plus petit et lui offrir ainsi la possibilité de vivre un succès. Ce succès peut ensuite servir de motivation pour relever le défi suivant. L’accompagnement du parent lors des premières expériences sociales est rassurant et constructif pour l’enfant. Il peut aussi être pertinent de recevoir un ami à la maison pour permettre au parent d’accompagner concrètement son enfant dans l’apprentissage de la socialisation...

 

 

Isabelle Meilleur, Annick Proulx, Tamara Bacheleet, Annik Arsenault

 

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Les troubles du langage chez l'enfant