L’autisme expliqué



Il est curieux de constater que certaines inventions ont été faites simultanément par des personnes différentes travaillant de façon indépendante. Ainsi, le phonographe fut inventé en 1877 en France par Charles Cros et à la même époque aux États-Unis par Thomas Edison, chacun ignorant les travaux de l’autre. Et il ne s’agit pas uniquement d’inventions mais aussi d’idées. De même, la théorie de la sélection naturelle des espèces fut formalisée de façon indépendante la même année, en 1858, par Charles Darwin et Alfred Russel Wallace. De nombreux autres exemples existent, notamment en physique et en mathématiques... On pourrait dire que ces découvertes étaient « dans l’air du temps ».

En ce qui concerne notre sujet, deux médecins travaillant de façon indépendante et loin l’un de l’autre individualisèrent l’autisme la même année, en 1943.

L’individualisation de l’autisme
Cette année-là, aux États-Unis, le pédopsychiatre Léo Kanner publie dans la revue Nervous Child l’article Autistic Disturbance of Affective Contact (« Les perturbations autistiques du contact affectif ») relatant des observations qu’il a faites depuis cinq ans sur un groupe de onze enfants. Ces enfants présentaient deux points communs essentiels: le refus des contacts sociaux et le refus de tout changement, que Léo Kanner nomma respectivement aloneness (« rester seul ») et sameness (« sans changement »). La même année, à Vienne, le pédiatre autrichien Hans Asperger écrit un article intitulé Die Autistischen Psychopathen (« La psychopathie autistique »). Dans cet article, Hans Asperger relate ses observations faites sur quatre jeunes garçons présentant tous les mêmes troubles ou particularités :
• un manque d’empathie ;
• un intérêt d’une intensité inhabituelle pour des sujets originaux avec une tendance à monopoliser la conversation sur ces sujets ;
• un déficit de la communication non verbale ;
• une difficulté à se faire des relations amicales ;
• une maladresse gestuelle.

On peut remarquer que Léo Kanner et Hans Asperger ont tous deux utilisé le qualificatif « autistique ». En effet, ce terme existait déjà dans le vocabulaire médical. Il avait été créé en 1911 par Eugen Bleuler, un psychiatre suisse, grand découvreur et spécialiste de la schizophrénie (que l’on appelait avant lui dementia praecox, « démence précoce ») pour qualifier le refus de la réalité par les schizophrènes.

Dans les années qui suivirent, les deux descriptions de l’autisme connurent des destinées bien différentes. La description de l’autisme de Léo Kanner connut une large diffusion et une large reconnaissance, tout d’abord aux États-Unis, puis dans l’ensemble du monde occidental. L’autisme tel que l’avait individualisé Hans Asperger resta pour sa part méconnu jusqu’en 1981, date à laquelle ces travaux furent redécouverts par Lorna Wing, une psychiatre anglaise. Comme l’appellation initiale « psychopathie » qu’avait utilisée Hans Asperger renvoyait à des données très péjoratives, Lorna Wing nomma cet autisme un peu particulier « syndrome d’Asperger ».


Reconnaissance des troubles autistiques
La CIM (Classification internationale des maladies) est un système promu par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) pour universaliser la description et l’étude des maladies en général. La CIM permet à des médecins de pays différents de parler le même langage. Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders = Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), quant à lui, est publié par l’APA (American Psychiatric Association = Association américaine de psychiatrie) et tend à décrire de façon exhaustive les troubles psychiatriques (les mauvaises langues prétendent que le DSM en crée même de nouveaux de toutes pièces...). Ces deux types de classification reconnaissent l’autisme, ou pour être plus précis, les autismes, c’est-à-dire l’autisme infantile de Kanner, l’autisme de haut niveau et le syndrome d’Asperger, tous trois étant regroupés dans ce que l’on appelle les troubles envahissants du développement, qui se confondent plus ou moins avec ce que l’on appelle les troubles du spectre autistique. En ce qui concerne le DSM, il est instructif de noter que la première édition, le DSM I, parue en 1952, ignore lediagnostic d’autisme. De même que le DSMII, paru en 1968. Il faut attendre 1980 et l’arrivée du DSM III pour que le terme « autisme » apparaisse et la parution du DSM IV en 1994 pour la reconnaissance du syndrome autistique avec l’individualisation du syndrome d’Asperger. Le DSM 5 (à partir de la cinquième édition, le manuel est numéroté en chiffres romains), quant à lui, a en quelque sorte « fait le ménage », nous verrons comment par la suite.

L’autisme infantile de Kanner
L’autisme infantile tel que l’a défini Léo Kanner a donc été longtemps la seule forme d’autisme connu du corps médical et du grand public. Pour être considéré comme autiste, une personne doit présenter ce que l’on appelle la « triade autistique » encore appelée « triade de Wing » :
• des troubles dans les interactions sociales ;
• des troubles dans la communication verbale et/ou non verbale, entre autres l’absence de contact oculaire ;
• des intérêts et des comportements restreints et répétitifs, stéréotypés.

Cette triade ne mentionne pas une caractéristique pourtant importante, voire essentielle : le refus du changement qui va par exemple se manifester par de l’anxiété, de l’agitation ou des cris quand l’environnement familier change. De plus, dans la plupart des cas, il y a également un déficit intellectuel, bien que plusieurs des enfants ayant été étudiés par Léo Kanner dans sa publication initiale aient possédé un niveau intellectuel correct, ce qui correspondrait plutôt de nos jours à la définition d’un autisme de haut niveau.

L’autisme de haut niveau
Il convient de préciser tout de suite une donnée essentielle : parler d’autisme de haut niveau ne signifie pas qu’il s’agit automatiquement d’un autisme conférant à la personne des capacités intellectuelles extraordinaires. Le qualificatif « de haut niveau » signifie tout simplement qu’il n’y a ici aucune déficience mentale, que la personne possède un QI (quotient intellectuel) situé entre 80 et 110, comme la plupart de nos semblables. Une personne autiste de haut niveau présentera donc les mêmes troubles qu’un autre autiste, la fameuse triade autistique, mais sans déficience intellectuelle. Ceci étant dit, il existe des cas rares d’autistes de haut niveau possédant un QI très élevé et/ou des capacités intellectuelles hors du commun. Parmi ces capacités extraordinaires, on peut citer la possibilité de dire quel est le jour de la semaine pour n’importe quelle date, la capacité d’apprendre des langues étrangères en un temps très court, ou bien encore la maîtrise acquise très rapidement d’un instrument de musique.

Le syndrome d’Asperger
Le syndrome d’Asperger était décrit dans le DSM IV, mais il disparaît en tant que tel dans le DSM 5 où il n’est plus qu’une forme « légère » de trouble du spectre autistique. Il faut bien reconnaître que dans le syndrome d’Asperger, tout comme dans l’autisme, on retrouve les mêmes caractéristiques : des perturbations des interactions sociales et de la communication, des centres d’intérêt restreints et un refus du changement. Certains spécialistes continuent de penser qu’il s’agit pourtant de deux entités différentes et que le syndrome d’Asperger se différencie de l’autisme de haut niveau par :
• l’absencederetarddansl’acquisitiondulangage,voiremême une acquisition précoce de ce langage ;
• une façon de parler qui manque de naturel, un peu guindée, trop formelle, voire précieuse ;
• des sens (audition, odorat, toucher) hypersensibles ;
• une altération de la coordination motrice donnant une démarche spéciale ;
• des centres d’intérêt un peu plus variés, mais souvent « bizarres » ;
• très souvent, une culture générale très développée, voire encyclopédique ;
• une meilleure insertion sociale.

Le débat sur la caractérisation du syndrome d’Asperger en tant que pathologie à part entière ou en tant que forme légère des troubles du spectre autistique est loin d’être terminé. De plus, il faut aussi tenir compte du fait qu’il est plus « valorisant » d’être étiqueté Asperger qu’autiste, même de « haut niveau »...

Terminons ce paragraphe en signalant qu’une personne présentant un syndrome d’Asperger peut être appelée Asperger ou « aspie ».

QUELQUES AUTISTES CÉLÈBRES
Plusieurs personnes autistes de haut niveau ou Asperger ont écrit des livres autobiographiques dans lesquels ils détaillent leurs particularités. Parmi les plus connues, on peut citer Temple Grandin, Daniel Tammet ou encore Georges Schovanec (voir la bibliographie à la fin de cet ouvrage). Par ailleurs, certaines personnes un peu originales et particulièrement douées intellectuellement ont présenté dans le passé des caractéristiques qui pourraient les faire considérer comme autistes : intérêt hors norme pour un sujet très précis, refus des contacts sociaux... Ceci semble hasardeux, mais on peut signaler parmi ces candidats autistes Thomas Edison, Albert Einstein, Bobby Fischer, Isaac Newton...

Aux États-Unis, les CDC (Centers for Disease Control and prevention = Centres pour le contrôle et la prévention des maladies) forment la principale agence gouvernementale en matière de protection de la santé publique et de prévention des maladies, en particulier dans le domaine des maladies infectieuses. En mars 2012, ces CDC ont publié des statistiques très intéressantes concernant la fréquence de l’autisme entre 2001 (année à partir de laquelle les CDC ont commencé à s’intéresser au sujet) et 2008.

En 2008, en ce qui concerne les enfants âgés de 8 ans, 11,8/1000 présentaient des troubles du spectre autistique, ce qui revient à dire qu’à cet âge, 1 enfant américain sur 88 est concerné. Ceci représente une augmentation de 75 % par rapport à l’année 2001, ce qui est considérable. Pour ce qui est de la répartition par sexe, l’étude indique que, toujours à l’âge de 8 ans, l’autisme concerne un 1 garçon sur 42 et 1 fille sur 189. On retrouve donc la répartition inégale des troubles autistiques qui était déjà connue d’environ 1 garçon pour 4 filles. Pour le nombre total de cas, les CDC estiment qu’il y aurait aux États-Unis environ 1 million de personnes présentant un trouble du spectre autistique.

Au vu de ces chiffres, on peut se demander si cette augmentation de fréquence est réellement récente ou plus ancienne. Une étude californienne citée dans le Journal of nutritional and environmental medicine (Journal de médecine nutritionnelle et environnementale) permet de penser que cette augmentation date déjà de plusieurs années. En effet, cette étude montre que la fréquence des troubles autistiques en Californie a été multipliée par 3 entre 1987 et 1998.

EN FRANCE
La HAS (Haute autorité de santé) estimait en 2010 qu’environ 8 000 enfants autistes naissaient par an, soit 1 enfant sur 150 naissances. Il y aurait 50 000 cas d’autisme de Kanner dans notre pays et le Collectif Autisme estime que le nombre de personnes présentant un trouble du spectre autistique, toutes formes confondues, serait de 600 000 en France.

AU ROYAUME-UNI
Le British Journal of Psychiatry (Journal britannique de psychiatrie) a publié les résultats d’une étude menée au Royaume-Uni par le Pr Simon Baron-Cohen, une sommité mondiale en matière d’autisme. Ce travail montre que 1 enfant sur 66 présente des troubles autistiques.

AU NIVEAU MONDIAL
En avril 2009, à l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, l’ONU a déclaré :

« Aujourd’hui l’autisme affecte au moins 67 millions de personnes et est, de tous les troubles graves du développement, celui qui connaît la plus rapide expansion dans le monde. »

Quelle(s) explication(s) ?
Les modifications des critères diagnostiques ?
Ces dernières années, les critères diagnostiques des troubles autistiques ont été modifiés dans le sens d’un élargissement. Ainsi, des personnes sans déficit intellectuel qui auraient autrefois été considérées comme tout simplement bizarres, excentriques et peu sociables sont maintenant considérées comme présentant un trouble autistique mineur de haut niveau.

Une meilleure détection des cas ?
Lorna Wing n’a repris et fait connaître les travaux de Hans Asperger qu’en 1981. La diffusion de ces connaissances s’est ensuite faite lentement et il y a encore quelques années, les formes d’autisme de haut niveau étaient ignorées non seulement du grand public, mais aussi de la majorité des médecins généralistes (ne parlons pas des psychiatres !) qui sont les mieux placés pour détecter ces cas de façon précoce.

Une augmentation réelle ?
Les deux explications ci-dessus permettent certainement d’expliquer en partie l’augmentation constatée un peu partout dans le monde du nombre de cas de troubles autistiques, mais cette augmentation est tellement importante – certains n’hésitent pas à parler d’explosion du nombre de cas – qu’on peut se demander si elle n’est pas bien réelle. Nous verrons bientôt que les troubles autistiques ont très probablement une origine multifactorielle : en partie génétique et en partie environnementale. Comme il n’y a aucune raison pour que les gènes impliqués deviennent plus fréquents dans la population, les chercheurs qui se sont intéressés au problème avancent des hypothèses liées à l’environnement et au mode de vie.

En France, au début des années 1970, les parents avaient en moyenne 24 ans au moment de la naissance de leur premier enfant, en 2010, ils en avaient 28. L’âge des parents au moment de la naissance de leur deuxième enfant est passé dans le même laps de temps de 28 ans à 31 ans. Ce phénomène est probablement en cause. On sait en effet que plus les parents conçoivent un enfant tardivement (ceci est valable aussi bien pour la mère que pour le père), plus cet enfant a des risques de présenter des troubles autistiques.

En outre, c’est un truisme d’affirmer que le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus pollué. Une équipe de l’Inserm de Grenoble a publié en 2011 les résultats d’une étude. Ce travail consistait à rechercher chez des femmes enceintes des produits chimiques connus pour être dangereux pour le développement de l’enfant, dont le fameux Bisphénol A. Il est édifiant de constater que 95 % des femmes en âge de procréer présentent des taux problématiques de cette substance reconnue comme nocive. Et le Bisphénol A n’est pas le seul polluant répandu dans notre environnement puisqu’on estime que nous sommes exposés à environ 100 000 substances chimiques différentes. Certaines sont connues pour avoir un effet nocif sur l’organisme, mais seulement 3 000 d’entre elles ont été testées et on ignore totalement les éventuels effets des autres... REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals = Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques) est un règlement européen entré en vigueur le 1er juin 2007. Il prévoit l’évaluation de 3 000 molécules d’ici 2017. Espérons que ceci permettra enfin une prévention dans les prochaines années. Enfin, si ce programme ne connaît pas de retard ou n’est pas purement et simplement « mis de côté »...


Dr. Michel Lenois     

                        
                                                                              

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