La véritable histoire du sexe

Après tous les livres déjà écrits sur le sexe, tous les podcasts, les émissions de télévision, les articles de magazines et les questions-réponses à la radio, comment se fait-il que nous ayons toutes encore autant de questions ?
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Après tous les livres déjà écrits sur le sexe, tous les podcasts, les émissions de télévision, les articles de magazines et les questions-réponses à la radio, comment se fait-il que nous ayons toutes encore autant de questions ?

Comment dire ? La triste et fâcheuse réalité, c’est qu’on nous a menti – pas délibérément, ce n’est la faute de personne, mais quand même. On nous a raconté la mauvaise histoire.

Pendant très, très longtemps, en science et en médecine occidentales, la sexualité féminine a été présentée comme une sexualité masculine allégée – fondamentalement la même, mais pas aussi satisfaisante.

Par exemple, on supposait simplement que, puisque les hommes avaient des orgasmes pendant les rapports sexuels avec leur pénis dans le vagin (pénétration), les femmes devaient aussi avoir des orgasmes pendant ces rapports sexuels, et que si elles n’en avaient pas, c’est parce qu’elles étaient cassées.

En réalité, environ un quart des femmes ont des orgasmes réguliers pendant la pénétration. Les 75 % restants ont parfois, rarement ou jamais d’orgasme lors d’une pénétration, et elles sont pourtant toutes en bonne santé et normales. Une femme peut avoir un orgasme de bien d’autres façons – grâce à la masturbation, au sexe oral, à un vibromasseur, à la stimulation des seins, à la succion des orteils, ou à peu près de n’importe quelle façon imaginable – et jamais d’orgasme pendant la pénétration. C’est normal.

On pensait aussi que, puisque les organes génitaux des hommes reflètent généralement ce qui se passe dans leur esprit – si un pénis est en érection, la personne qui y est attachée est excitée –, les organes génitaux des femmes devraient de la même manière traduire leur expérience émotionnelle.

Et encore une fois, si c’est le cas pour certaines femmes, pour beaucoup, ça ne l’est pas. Une femme peut être parfaitement normale et en bonne santé et connaître une « non-concordance d’excitation », c’est-à-dire que le comportement de ses organes génitaux (qu’ils soient lubrifiés ou secs) peut ne pas correspondre à son expérience mentale (se sentir excitée ou non).

On supposait également que, puisque les hommes éprouvent un désir sexuel spontané et inopiné, les femmes devraient également avoir envie de relations sexuelles spontanées.
Là encore, c’est parfois vrai, mais pas toujours. Une femme peut être parfaitement normale et en bonne santé et ne jamais éprouver de désir sexuel spontané. Elle peut au contraire éprouver un désir « réactif », qui n’émerge que dans un contexte haute-ment érotique.

En réalité, les femmes et les hommes sont différents.
Mais attendez un peu. Les femmes et les hommes connaissent tous deux l’orgasme, le désir et l’excitation, et les hommes peuvent eux aussi connaître le désir réactif, la non-concordance de l’excitation et l’absence d’orgasme avec la pénétration. Les femmes et les hommes peuvent tous deux tomber amoureux, fantasmer, se masturber, être intrigués par le sexe ou éprouver un plaisir extatique. Ils peuvent tous deux exsuder des fluides, emprunter les chemins interdits de l’imagination sexuelle, croiser toutes les manifestations inattendues et surprenantes de la sexualité dans tous les domaines de la vie – et se confronter, parfois aussi, au refus inattendu et surprenant de la sexualité à se manifester, poliment ou non.

Donc... les femmes et les hommes sont-ils vraiment si différents ?
Le problème ici, c’est qu’on nous a appris à penser au sexe en termes de comportement, plutôt qu’en matière de processus biologiques, psychologiques et sociaux sous-tendant le comporte-ment. Nous pensons à notre comportement physiologique – afflux sanguin, sécrétions génitales et rythme cardiaque. Nous pensons à notre comportement social – ce que nous faisons au lit, avec qui nous le faisons et à quelle fréquence. De nombreux livres sur le sexe mettent l’accent sur ces questions ; ils expliquent combien de fois par semaine le couple moyen a des rapports sexuels ou donnent des instructions pour avoir un orgasme, et ils peuvent tout à fait être utiles.

Mais si vous voulez vraiment comprendre la sexualité humaine, le comportement seul ne vous donnera pas toutes les réponses. Essayer de comprendre la sexualité en observant le comporte- ment, c’est comme essayer de comprendre l’amour en regardant le portrait de mariage d’un couple... et les papiers du divorce. Pouvoir décrire ce qui s’est passé – deux personnes se sont mariées puis ont divorcé – ne nous aide pas vraiment à comprendre. Ce que nous voulons savoir, c’est pourquoi et comment ça s’est passé. Ce couple a-t-il arrêté de s’aimer après leur mariage, et est-ce pour cette raison qu’ils ont divorcé ? Ou bien n’ont-ils jamais été amoureux mais, forcés de se marier, et le divorce les a libérés ? En l’absence de preuves tangibles, nous ne pouvons que faire des hypothèses.

Jusqu’à très récemment, il en allait de même pour le sexe – principalement des suppositions. Mais nous sommes à un tournant crucial dans la science du sexe car, après des décennies de recherche décrivant les mécanismes de la réponse sexuelle humaine, nous comprenons enfin le pourquoi et le comment – le processus sous-tendant le comportement.

Au cours de la dernière décennie du xxe siècle, les chercheurs de l’Institut Kinsey pour la recherche sur le sexe, le genre et la reproduction, Erick Janssen et John Bancroft, ont développé un modèle de réponse sexuelle humaine qui présente un prin- cipe d’organisation pour comprendre la véritable histoire du sexe. Selon leur « modèle à double contrôle », le mécanisme de réponse sexuelle dans notre cerveau est composé de deux éléments universels – à savoir un accélérateur sexuel et un frein sexuel – et ces éléments réagissent à de vastes catégories de stimuli sexuels, y compris les sensations génitales, les stimuli visuels et le contexte émotionnel. Et la sensibilité de chaque composant varie d’une personne à l’autre.

Il en résulte que l’excitation sexuelle, le désir et l’orgasme sont des expériences presque universelles, mais le moment et la manière dont nous les vivons dépendent largement de la sensibilité de nos « frein » et « accélérateur » et du type de stimulation qu’ils reçoivent.
C’est là le mécanisme qui sous-tend le comportement – le pourquoi et le comment. Et c’est la règle qui gouverne l’histoire que je vais raconter dans ce livre : nous sommes tous constitués des mêmes éléments, mais en chacun de nous, ceux-ci sont organisés d’une manière unique qui peut évoluer au cours de notre vie.
Aucune organisation n’est meilleure ou pire qu’une autre, et aucune phase de notre vie n’est meilleure ou pire qu’une autre ; elles sont simplement différentes. Un pommier peut être en bonne santé, quelle que soit la variété de pommes qu’il produit, bien qu’une variété puisse avoir besoin d’un ensoleillement direct constant et qu’une autre préfère un peu d’ombre. Et un pommier peut être en bonne santé lorsqu’il est une graine, lorsqu’il est un semis, lorsqu’il pousse et perd ses feuilles à la fin de la saison, ainsi que lorsqu’il est chargé de fruits à la fin de l’été. Mais il a des besoins différents à chacune de ces étapes de sa vie.
Vous aussi, vous êtes en bonne santé et normale au début de votre développement sexuel, à mesure que vous grandissez et que vous portez les fruits de la vie avec confiance et joie à l’intérieur de votre corps. Vous êtes en bonne santé lorsque vous avez besoin de beaucoup de soleil, et vous êtes en bonne santé lorsque vous profitez d’un peu d’ombre. Voilà la véritable histoire. Nous sommes toutes pareilles. Nous sommes toutes différentes. Nous sommes toutes normales.

                                                                                   Emily Nagoski

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