Bien que l’on attribue souvent à l’augmentation des divorces et des séparations chez les couples en union libre l’apparition et la croissance des familles recomposées, celles-ci sont loin d’être un phénomène moderne. Du xvIe au xIxe siècle, la recomposition familiale était largement répandue. À cette époque, l’espérance de vie était très courte et les contraintes financières et de prise en charge des enfants obligeaient les veufs et les veuves à chercher rapidement à se remarier. On estime par exemple qu’au Québec, au xvIIe siècle, un mariage sur trois était en fait un remariage. Ces hauts taux de remariage signifient qu’une grande proportion d’enfants était élevée au sein de familles comprenant un beau-parent, voire un beau- père et une belle-mère, les parents d’origine étant morts tour à tour. Les taux de remariage restent élevés jusqu’au début du xxe siècle, quand l’espérance de vie augmente soudain de façon marquée. La vie conjugale connaît alors une période de stabilité qui sera cependant de courte durée. En effet, l’évolution des valeurs et des mentalités entraîne une nette augmentation des taux de divorce et, par la suite, des taux de recomposition familiale.
En examinant la situation de l’ensemble des familles, on constate que ce sont les années 1970 qui apportent les plus grands changements : baisse du taux de mariage et de remariage, baisse du taux de fécondité et augmentation du taux de divorce. Cela fait dire à un historien : « Ce n’est donc pas l’institution légale du mariage qui touche à sa fin, mais simplement l’idée que le mariage est “ pour la vie”1 ». On se marie par amour et on se sépare parce qu’on ne s’aime plus. Dans la mesure où l’union conjugale n’est pas satisfaisante, on préfère y mettre fin.
Mais au fait, à combien évaluer la proportion de familles intactes au Québec ? De familles monoparentales ? De familles recomposées ?
La famille en statistiques
Surpris par ces données ? Vous n’imaginiez pas qu’une si grande proportion d’enfants vivait avec leurs deux parents d’origine ? Ne vous en faites pas, la plupart des gens que nous rencontrons, qu’ils s’agissent de parents, de journalistes, d’enseignants ou d’intervenants, ont cette fausse impression. Comment cela se fait-il ? Une première confusion vient des médias, où l’on mentionne souvent que près d’une union conjugale sur deux se termine par un divorce. Et cela est vrai. On oublie cependant d’insister sur le fait que près de la moitié de ces couples n’ont pas d’enfant et que de très nombreux Québécois ne divorcent pas, puisqu’ils ne sont pas mariés...
Plus généralement, on sait que près d’un enfant sur dix en Amérique du Nord vit au sein d’une famille recomposée. Cette tendance semble également toucher plu- sieurs pays européens, dont la France (9 % des enfants), le Royaume-Uni (10 % des familles), l’Allemagne (13 % à 18 % des familles) et la Belgique (6 % des couples).
Bien que ces chiffres puissent vous paraître moins élevés que vous ne le pensiez, ils concernent globalement beaucoup d’enfants. En effet, au Québec, en 2006, un enfant sur 8 âgé de moins de 18 ans vivait en famille recomposée, ce qui correspond à 250 000 jeunes. Si on ajoute à ce groupe les enfants de familles monoparentales (qui vivront peut-être en famille recomposée demain), on parle de plus d’un demi-million de jeunes québécois !
Ainsi, l’enseignante de votre fils qui affirme que la moitié des élèves de sa classe provient de familles séparées n’a peut-être pas tort. Dans certains quartiers, on peut observer une surreprésentation de familles monoparentales ou recomposées. Par exemple, la proportion de familles recomposées est beaucoup plus élevée que la moyenne nationale (12,6 %) à Trois-Rivières (18,7 %), Sherbrooke (18,4 %) et au Saguenay (18,5 %), mais reste plus basse à Toronto (7,8%)10. Il est probable qu’un quartier en développement, comprenant des maisons unifamiliales, réunisse un grand nombre de familles intactes. La trajectoire familiale de ces jeunes unions en est à ses débuts. Dans un quartier défavorisé, on retrouvera fréquemment une grande proportion de familles monoparentales. Est-ce à dire que toutes les familles monoparentales sont pauvres ? Bien sûr que non. Par contre, on ne peut nier que les familles monoparentales, particulièrement lorsqu’elles sont dirigées par une femme, sont très largement surreprésentées parmi les familles qui doivent composer avec un faible revenu.
Mentionnons aussi que les statistiques officielles sous-estiment peut-être le nombre de jeunes vivant en famille recomposée. En effet, nous avons vu précédemment que les jeunes de familles recomposées peuvent être appelés à circuler entre la maison de papa et celle de maman. Prenons le cas de Mathieu, qui vit régulièrement avec sa mère (donc en famille monoparentale), mais va chez son père et la conjointe de ce dernier quatre jours tous les dix jours, ou celui de Sophie, qui est en garde par- tagée (une semaine avec son père, une semaine avec sa mère et son beau-père). Mathieu et Sophie, sur le plan démographique, sont identifiés comme appartenant à une seule famille.
Quand les choses bougent...
Peut-on penser que le nombre de familles recomposées au Québec va augmenter dans les prochaines années ? Mentionnons d’abord qu’entre les statistiques de 1994 et celles de 2006, on a observé que la proportion de familles recomposées était passée de 8,4 % à 10,7 % et que, pour la première fois dans le Québec industrialisé, le nombre de familles composées des deux parents d’origine est passé sous la barre des 65 %11. Un autre changement s’est produit dans les dernières années : on voit de plus en plus de familles recomposées mixtes, c’est-à-dire des familles qui comprennent des enfants des unions précédentes d’au moins un des deux conjoints, mais dont le couple recomposé a aussi eu un enfant ensemble.
Par ailleurs, lorsqu’on examine la situation de familles comprenant de jeunes enfants, certains indices suggèrent que les unions actuelles sont plus fragiles, particulièrement les couples en union de fait, qui sont très nom- breux au Québec. Cela pourrait présumer d’une hausse probable du nombre de familles monoparentales et, par répercussion (les Québécois aiment la vie de couple !), des familles recomposées. En effet, l’examen de la trajectoire familiale d’une cohorte d’enfants nés en famille intacte en 1983-1984 fait ressortir que 20 % d’entre eux ont connu la séparation de leurs parents et que parmi ces derniers, 60% ont vécu au moins une recomposi- tion familiale, ces deux événements survenant avant qu’ils aient atteint l’âge de 10 ans. Qui plus est, dans quatre situations sur dix, l’enfant aura connu une double recomposition, c’est-à-dire que ses parents, de part et d’autre, auront formé une nouvelle union. Des données encore plus récentes portant sur des enfants nés en 1998 montrent qu’à l’âge de 6 ans, 28 % d’entre eux ont vécu au moins un épisode de vie en famille monoparentale et 13 % au moins un épisode de vie en famille recomposée. Il faudrait pouvoir lire l’avenir pour affirmer que la proportion de familles recomposées poursuivra sa progression. Toutefois, une chose est certaine, un enfant qui ne vit pas avec ses deux parents a de fortes chances de vivre un jour ou l’autre en famille recomposée.
Au-delà de ces statistiques, il importe de retenir que ce qui caractérise les familles recomposées contemporaines, c’est qu’elles se forment après la séparation des parents, que ces derniers sont généralement toujours vivants et que leur progéniture est souvent appelée à circuler de la maison de maman à celle de papa. Tout un défi, nous confient régulièrement les personnes qui ont vécu cette situation, adultes comme enfants !
Marie-Christine Saint-Jacques
et Claudine Parent
Si cet extrait vous a intéressé,
vous pouvez en lire plus
en cliquant sur l'icone ci-dessous